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— Vous connaissez le Krokodyl ? C’est un restaurant amusant, où on peut souper. Je les connais, nous pourrions avoir des places sans réserver… Mais peut-être voulez-vous aller vous coucher.

— Non, non, assura Malko.

Avant le Krokodyl, il fallait parler à Wanda Michnik. La belle Anne-Liese devait dépendre directement du Directorat n°1. Le bureau technique opérationnel. C’était du travail soigné, même s’il manquait de finesse.

* * *

Enfin, c’était fini, ils étaient tous morts ! Malko se leva le premier. Anne-Liese lui jeta un regard surpris.

— Je ne suis pas au même vestiaire que vous, dit-il, retrouvons-nous à la sortie. En bas.

Il fonça à travers les travées et repéra Wanda Michnik. Il descendit le grand escalier derrière elle qui tourna à gauche vers un vestiaire encore vide. Pas question de garder un manteau : à l’entrée, les ouvreuses vous forçaient à vous dépouiller avec l’énergique sollicitude des gardiennes de goulag. Du coin de l’œil, Malko aperçut Wanda Michnik attrapant une peau de mouton retournée.

Pas question de sortir sans manteau par -10°C. Son vestiaire à lui était déjà assiégé par une meute compacte. Il prit son ticket et l’enroula dans un billet de un dollar, se fila au premier rang et le brandit devant le nez de la préposée.

L’effet fut instantané : laissant tomber le vison qu’elle tenait, elle prit le ticket de Malko, ignorant superbement les vingt mains qui se tendaient vers elle.

Entre un dollar[25] et cinq zlotys, l’hésitation n’était pas permise. Malko, sa pelisse sur le bras, fonça vers la sortie. Anne-Liese était en train de descendre le grand escalier, superbe et distante, suivie par les regards humides des stakhanovistes. Malko écarta le rideau de cuir coupe-froid et chercha des yeux Wanda Michnik.

Des dizaines de bus stationnaient en face de l’Opéra ainsi que quelques taxis. Déjà assiégés par la foule. Wanda se précipita vers le premier. Aussitôt, le chauffeur, qui venait de refuser de charger deux couples, baissa sa glace et l’appela. Malko était trop loin pour comprendre leur conversation, mais il vit le chauffeur hocher la tête affirmativement et Wanda s’engouffra dans le véhicule, une Fiat Polski noire.

Bousculant les spectateurs qui couraient vers les bus, Malko se précipita, dérapant sur le verglas. Le taxi démarrait. Il cria :

— Wanda !

Qu’elle l’ait entendu ou non, la jeune femme se retourna et l’aperçut. À son geste, il devina qu’elle disait au chauffeur de stopper. Mais le taxi ne s’arrêta pas. Malko la vit tenter d’ouvrir la portière et se rejeter sur la banquette avec une expression terrifiée.

Le taxi accéléra, filant vers Senatorska. Malko s’arrêta, ivre de rage. Wanda Michnik venait de se faire enlever sous ses yeux par une voiture du S.B. dont les portières n’avaient pas de poignées à l’intérieur. Voilà pourquoi il avait refusé d’autres clients.

Un coup de klaxon le fit sursauter. Un taxi vide arrivait sur l’esplanade. Un taxi radio, portant le numéro d’appel sur la portière : 919. Quarante personnes couraient déjà vers lui. Malko plongea la main dans sa poche, ramena un billet de vingt dollars et le brandit devant le pare-brise.

Le taxi fit un brusque écart, manquant écraser un vieux couple, et s’arrêta à la hauteur de Malko.

Celui-ci s’y jeta. Pas un murmure dans la foule. Un homme capable de payer 20 dollars pour un taxi – un mois de salaire – méritait le respect. Le chauffeur se retourna, hilare.

— You American ? I spent two years in America.

Son anglais était douteux, mais Malko eut envie de l’embrasser. On apercevait encore les feux rouges du Polski noir s’éloignant dans Senatorska. Il les montra au chauffeur.

— Ma girl-friend est dans cette voiture, dit-il. Nous nous sommes disputés, je veux la rattraper.

Le chauffeur eut un hochement de tête compréhensif et démarra en trombe. Malko se retourna pour apercevoir la haute silhouette d’Anne-Liese émerger de l’Opéra, dominant la foule. La fin d’une belle histoire d’amour. Le taxi zigzaguait sur le sol verglacé.

Dieu merci, la circulation était assez fluide pour qu’il n’y ait pas de problème. Malko se demanda soudain ce qu’il allait faire. Les Polonais étaient chez eux et ne lui feraient pas de cadeau. Mais, s’il ratait Wanda Michnik, il pouvait reprendre le premier avion.

Il se pencha en avant. Les feux rouges du faux taxi se rapprochaient. Dans quelques instants, il l’aurait rattrapé. Le chauffeur se retourna :

— Qu’est-ce qu’on fait ?

Chapitre VII

Le taxi venait de stopper au feu rouge, au coin de la rue Kozia. Ils s’arrêtèrent derrière. Malko réfléchissait à la vitesse d’un ordinateur. D’abord attirer l’attention de Wanda. Mais elle était enfoncée dans son siège. Son taxi redémarra. Le prochain feu, à une centaine de mètres, était au croisement de Krakowskie Przedmiescie, la grande artère commerçante, tout près de Stare Miasto[26]. Malko eut une inspiration. Choisissant un billet de cent dollars dans sa liasse, il l’agita sous le nez du chauffeur.

— Au prochain feu, dit-il, vous le heurtez tout doucement à l’arrière… Comme ça, il sera obligé de s’arrêter. Peut-être qu’elle lui a raconté des histoires. Ensuite, je l’emmène.

Le chauffeur n’hésita qu’une fraction de seconde. Il empocha le billet et se cala dans son siège.

— Attention, accrochez-vous.

Les deux véhicules roulaient à trente à l’heure. Le premier stoppa. Le chauffeur de Malko freina, débraya et vint mourir doucement sur le pare-chocs arrière de l’autre dès qu’il s’arrêta au feu.

Il y eut une légère secousse et un choc métallique. Instantanément, le chauffeur du faux taxi jaillit de son véhicule et vint vers l’autre en l’invectivant. Malko attendit qu’il ait engagé le dialogue avec le sien pour descendre de l’autre côté. Accroupi en train d’examiner les dégâts, le chauffeur ne le vit même pas.

Il ouvrit la portière de droite du « faux » taxi. Wanda Michnik, recroquevillée sur la banquette, sursauta. Malko tendit la main.

— Venez, vite.

Il suffoquait presque sous la bise glaciale. La jeune femme se laissa tirer à l’extérieur. Les deux chauffeurs discutaient toujours avec animation. Wanda Michnik sembla retrouver d’un coup ses esprits.

— Par ici, fit-elle.

Ils partirent en courant le long de la place Zamkowy, vers la vieille ville, dont les rues étaient interdites aux voitures. Le faux chauffeur s’aperçut de leur fuite au moment où ils tournaient. Ils longèrent des palissades protégeant des travaux et s’engouffrèrent dans une rue étroite et déserte, sans trottoir, bordée de ravissants immeubles reconstitués après la guerre.

— Où allons-nous ? demanda Malko.

— Je connais un endroit, dit Wanda en anglais, d’une voix essoufflée. Mais il faut y arriver vite, ils vont nous poursuivre. Oh, j’ai eu si peur.

Malko réalisa qu’elle lui parlait comme s’ils s’étaient toujours connus.

Leurs pas claquaient sur les pavés, la brume et l’absence de voitures avec le silence qui en découlait créaient une ambiance irréelle. On se serait cru dans un décor de film. Ils débouchèrent sur une grande place rectangulaire bordée des mêmes maisons aux teintes pastel tendre, des XVIIe et XVIIIe siècles, reconstituées amoureusement, le Rynek, la place du marché. Wanda s’engouffra à gauche dans un couloir, sans allumer, le traversa, franchit une cour et ressortit dans une rue étroite. Elle tourna à gauche et enfin pénétra dans une petite maison à trois étages. Ils montèrent l’escalier sans un mot. Au second, Wanda ouvrit une porte et poussa Malko à l’intérieur. Il y faisait glacial. La jeune femme s’affaira dans le noir, alluma un radiateur électrique et une ampoule nue pendant au bout d’un fil.

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25

150 zlotys au marché noir.

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26

La vieille ville.