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— Si vous saviez le bien que vous me faites !

— Pourquoi ?

Tout son corps était penché vers Malko. Cette fois, elle ne prit même pas la précaution de coller sa bouche contre son oreille.

— Parce que je croyais être devenue folle, dit-elle. Je n’osais plus parler à mes meilleurs amis. On me repoussait. On m’a même soupçonnée de travailler pour le S.B. On a dit qu’ils m’avaient achetée. Et maintenant, vous surgissez, de nulle part, je ne vous connais pas. Et vous me dites que Roman Ziolek est un agent du S.B.

— C’est vrai ?

Maryla Nowicka le fixa. Il y eut quelques secondes de tension incroyable, puis elle jeta :

— Bien sûr que c’est vrai. Mais, dans tout Varsovie, je suis la seule à le croire.

Chapitre X

Malko sentit une grande chaleur l’envahir, comme si on lui avait injecté un dopant. Il resta silencieux, sous le coup de l’émotion. Il avait eu raison. Julius Zydowski avait bien été assassiné par le S.B. parce qu’il pouvait faire échouer la plus énorme opération de « désinformation » montée par les services spéciaux polonais depuis l’après-guerre. On avait dû garder le traître au frais pendant des années pour un coup pareil. Tout à fait dans la manière communiste. La gynécologue le fixait dans la pénombre. Leurs yeux s’étaient maintenant habitués à l’obscurité et ils se distinguaient assez bien.

— Vous êtes déçu ? demanda-t-elle.

— Non, dit Malko, mais la dernière personne qui m’a parlé de Ziolek a été liquidée physiquement par les gens du S.B… À Vienne, en Autriche. C’est la raison pour laquelle je me trouve à Varsovie.

Maryla Nowicka ne parut pas surprise :

— Liquidée ? Ce n’est pas étonnant. Mais cela m’est égal. Si je peux leur nuire avant…

— Que savez-vous de Roman Ziolek ? demanda Malko. Maintenant, ils se parlaient face à face, très bas. Il craignait que la gynécologue s’évanouisse comme un mirage.

Un incident pouvait les séparer. Maryla Nowicka secoua la tête :

— Pas grand-chose, hélas. Sinon, on m’aurait crue. Mais j’ai rencontré une femme qui a très bien connu Roman Ziolek pendant la guerre. C’était sa maîtresse, elle était très jeune, seize ou dix-huit ans. Il était amoureux fou d’elle. Il a eu l’imprudence de se confier à elle. Pourtant, elle savait qu’il avait fait parvenir à un informateur de la Gestapo une liste des chefs non communistes de la Résistance.

— Himmel ! dit Malko, vous connaissez cette histoire aussi.

La gynécologue hocha la tête sans relever…

— À l’époque, cette fille était très jeune, elle ne comprenait pas. Mais elle savait que Ziolek était profondément communiste et elle est persuadée qu’il l’est toujours.

— Pourquoi n’a-t-elle rien dit ?

Maryla Nowicka le fixa, les yeux pleins de commisération.

— Vous ne savez pas comment nous vivons ! Elle a peur. Comme nous tous. Roman Ziolek la croit morte. Elle s’est mariée, elle a changé de nom, son mari est mort depuis…

— Où vit-elle ?

La gynécologue secoua la tête.

— Je ne sais pas.

Son enthousiasme retomba d’un seul coup. Tout ce mal pour rien.

— Comment l’avez-vous rencontrée ?

— Par des amis du Znak[34]. Elle cherchait un gynécologue. À cause d’un kyste. Je l’ai soignée. Comme elle n’avait pas beaucoup d’argent, je ne l’ai pas fait payer. Elle savait que je militais. Alors, elle m’a raconté son histoire pour me remercier. Mais je ne suis jamais allée chez elle. Je la soignais à mon cabinet. Et comme ce n’était pas officiel, il n’y avait pas de dossier… Malko était sur des charbons ardents.

— Vous ne savez rien d’autre sur elle ? Comment est-elle ?

— Brune. De grands yeux sombres. Grande. Elle a dû être très belle, elle est encore belle. À peu près cinquante ans…

— Son nom ?

— Je ne sais pas. Son prénom est Halina.

Malko se tut, découragé. Toucher au but et se trouver bloqué ainsi ! La gynécologue dit tout à coup :

— Attendez ! Je me souviens qu’elle m’a dit aller se confesser tous les dimanches à un prêtre de l’église des Dominicains. C’était un peu un ami pour elle. Je le connais aussi.

— Lui, comment s’appelle-t-il ?

— Jacek Pajdak.

Malko scruta le visage dans la pénombre.

— Pourquoi l’avez-vous crue ?

— Pourquoi est-ce que je vous crois ? Il y a des choses que l’on n’explique pas. À son ton, j’ai senti qu’elle disait la vérité. Enfin presque toute…

— Comment, presque toute ?…

La gynécologue eut un sourire plein d’indulgence.

— J’ai eu l’impression que cette Halina était toujours amoureuse de Roman Ziolek après tout ce temps. C’est pour ça qu’elle n’a pas voulu le dénoncer. Il y a des choses qu’on ne fait pas à l’homme qu’on a aimé…

— Je vois, dit Malko.

Cela n’allait pas faciliter sa tâche. Soudain, après un crescendo de musique, la lumière se ralluma. Ils reprirent aussitôt une attitude neutre.

— Il va falloir que je vous laisse maintenant, dit la gynécologue. Mais j’aimerais savoir ce qui s’est passé. Comment puis-je vous retrouver ?

— Je suis au Victoria, dit Malko, chambre 556. Mais ils me surveillent aussi, c’est dangereux que vous veniez là. Je vais aller voir ce prêtre.

Autour d’eux, les gens se levaient en silence. Maryla Nowicka en fit autant. Tournée vers Malko, elle dit :

— Il ne vous parlera pas. Je le connais, il est très méfiant.

De nouveau, le mirage s’éloignait ! Devant l’expression de Malko, la gynécologue dit rapidement :

— Je vais aller le prévenir. Attendez-moi dans une heure à la Wyniarna Fukierowska. C’est sur le Rynek, dans Stare Miasto.

Elle sortit la première.

* * *

Malko bougea, faisant grincer la banquette de bois ciré adoucie par un coussin. La Wyniarna Fukierowska était bourrée et il y régnait une chaleur de bête. Une petite salle toute en longueur, avec l’inévitable vestiaire au bout. Miracle, il avait réussi à se faire servir un Martini Bianco. Il se retourna, la porte venait de s’ouvrir sur Maryla Nowicka.

La jeune femme vint s’asseoir en face de lui, après s’être dépouillée de son manteau. Elle portait un pull noir et une jupe plissée qui l’amincissaient. Le visage était plus fatigué que le corps.

— Je l’ai vu, dit-elle. Il accepte de vous parler, mais il ne sait pas non plus où elle habite, ni son nom… Allez-y demain matin, entre dix heures et midi. Vous vous mêlerez aux gens qu’il confesse.

Malko cacha sa déception : elle se donnait tant de mal et prenait tant de risques pour lui !

— Vous ne voyez personne d’autre ? demanda-t-il. Maryla Nowicka secoua la tête négativement.

— Non, c’est vraiment la seule. Mais je suis sûre que si vous la trouvez, elle vous donnera les preuves que vous cherchez. Il faudra alors faire quelque chose.

— Je vous remercie, dit Malko. Mais, puisque la vie est si difficile pour vous ici, pourquoi n’émigrez-vous pas ? Je pourrais vous faciliter l’obtention d’un permis de séjour aux U.S.A…

La gynécologue eut un sourire triste.

— Merci, mais je ne peux pas sortir du pays. Ils m’ont pris mon passeport. Comme à tous les dissidents. (Elle regarda sa montre.) Il faut que je m’en aille. J’ai une cliente. Voulez-vous me retrouver ici dans deux jours, pour me raconter, à la même heure ?

— D’accord, dit Malko.

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Groupe catholique.