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L’horreur absolue.

Même avec trente ans de plus, ce ne pouvait être la jolie femme décrite par deux personnes.

Anne-Liese s’approcha et se pencha à son oreille. La matrone sourit aussitôt d’un air complice. Fouillant dans un petit frigidaire, elle en sortit une boîte de caviar de 500 grammes. Du russe. Malko l’examina, se demandant comment il allait poser la question qui l’intéressait.

Il sentit la boîte ; aucune odeur.

— C’est tout ce qu’elle a ?

— Elle en aura d’autre demain. C’est 8 000 zlotys le kilo. Ou 70 dollars.

À tout prix la revoir, essayer de comprendre.

— J’en voudrais deux kilos pour demain, demanda Malko, c’est possible ?

— Bien sûr, fit la grosse femme. J’ai aussi des babas russes.

— J’en prendrai, dit Malko.

Malko tira 40 dollars de sa poche et ils changèrent de main. La matrone enveloppa la boîte de caviar dans un papier marron et lui serra vigoureusement la main, après lui avoir rendu la monnaie en zlotys…

Anne-Liese entraîna Malko amoureusement. La nuit tombait.

— Nous allons faire la fête ! Il ne manque plus que de la vodka…

Malko sourit, réussissant à ne pas avoir trop l’air absent. Où se trouvait la femme qu’il cherchait ? Serait-elle là le lendemain ?

Ils émergèrent enfin du Rözyckiego et se postèrent au bord du trottoir pour avoir un taxi. Bien entendu, il n’y en avait pas et le froid était de plus en plus vif. Anne-Liese, amoureusement, s’appuya contre Malko.

— J’ai mis de la vodka au frais, dit-elle. Cela va être merveilleux. On m’a envoyé des marrons glacés d’Allemagne.

Malko ne répondit pas. Pourquoi Anne-Liese mettait-elle tant d’énergie à l’entraîner chez elle ? Tous les signaux d’alarme s’allumèrent dans sa tête. Ce n’était pas pour le photographier en galante compagnie. Il ne donnait pas prise au chantage. Il y avait quelque chose. De plus subtil et sûrement de plus dangereux… Tandis qu’il réfléchissait, un lieutenant de la Milicja sortit du Rözyckiego, les bras chargés de paquets, et s’approcha de la voiture contre laquelle ils étaient appuyés, une petite Syrena de fabrication locale.

— Attends, dit Anne-Liese en se détachant de Malko. Elle s’approcha de l’officier et lui parla à voix basse, puis revint vers Malko.

— Il accepte de nous conduire pour un dollar, dit-elle. Viens.

La nuit était maintenant complètement tombée et il y avait peu de chance de trouver un taxi… Malko monta le premier dans la Syrena. Pas tranquille quand même. Il avait la nette impression d’aller se jeter dans la gueule du loup. Il tenta de se rassurer en se disant que le S.B. attendrait la dernière seconde pour frapper. Il n’y avait qu’une seule inconnue, et de taille. Maryla Nowicka avait-elle parlé ?

Anne-Liese se pencha contre lui.

— Dans cinq minutes, nous serons chez moi.

Les mots résonnèrent sinistrement à l’oreille de Malko.

* * *

— Je vous en prie, achevez-moi, oh, achevez-moi ! Je vous en supplie. Ne me laissez pas comme ça…

Depuis une heure, Maryla Nowicka criait, suppliait son bourreau. Le capitaine Pracek faisait les cent pas sur le ponton, fumant cigarette sur cigarette, tapant ses bottes l’une contre l’autre pour se réchauffer.

Les deux miliciens s’étaient repliés dans leur fourgon gris, où ils se repassaient une bouteille de vodka.

La gynécologue se sentait au bord de la perte de connaissance. Elle essayait, sans y parvenir, de se souvenir combien de temps on pouvait tenir dans l’eau glacée sans mourir. Ses pieds et ses mains étaient durs comme du fer. Sa respiration était courte, une sueur froide couvrait son front, mais surtout il y avait cette douleur insupportable, inhumaine. Comme si on lui avait enfoncé des millions d’aiguilles dans la chair à vif. Le moindre mouvement se traduisait par des ondes de douleur insupportables. Pourtant, elle ne voulait pas parler…

Le capitaine Pracek s’approcha du bord du ponton.

Les cris de la gynécologue ne s’étaient même pas interrompus. Elle avait l’impression d’être brûlée vive. Inquiet, quand même, le capitaine Pracek se pencha sur sa victime et dit d’une voix presque gentille :

— Écoute, ne fais pas l’imbécile. Nous voulons ce renseignement, alors ne t’entête pas…

Le hurlement de Maryla Nowicka s’arrêta d’un coup. D’abord l’officier crut qu’elle se taisait volontairement, qu’elle acceptait de parler. Puis il vit les yeux révulsés et le menton qui tombait hors de l’eau, avec les lèvres noueuses et gonflées.

Il se redressa et, par gestes, fit signe aux deux miliciens de venir. Ils accoururent aussitôt. Pracek était déjà en train de haler le corps hors de l’eau et ils lui prêtèrent main-forte :

— Elle s’est évanouie ! dit-il.

À trois, ils entreprirent de hisser le corps de la gynécologue hors du lac, puis ils retendirent sur le ponton. Le capitaine Pracek se mit à la gifler avec régularité. Sans aucun résultat. La tête bougeait comme celle d’un pantin. De gauche à droite… mais elle n’ouvrait même pas les yeux, et sa peau était toujours aussi glacée.

— Psia Krew[38] ! fit Pracek, il faudrait la réchauffer. Il entrevoyait les conséquences d’un accident.

« Salope, fit-il entre ses dents, elle est capable de crever pour m’emmerder… »

— Il faudrait l’emmener au corps de garde, proposa le milicien, là-bas, ils ont du feu.

— Allons-y, dit Pracek.

Ils la portèrent jusqu’au fourgon gris, la tassèrent à l’arrière et le véhicule prit la direction de la baraque qui abritait les sentinelles du camp, le long d’un chemin gelé. Personne ne disait un mot et les deux miliciens essayaient de dissimuler leur ivresse.

Dix minutes plus tard, le fourgon stoppait devant un bâtiment de bois, isolé au milieu d’un espace découvert. Le capitaine Pracek se rua à l’intérieur où quatre soldats jouaient aux cartes autour d’un poêle. D’autres dormaient dans une pièce voisine.

— Vite, cria Pracek, trouvez-moi des couvertures chaudes !

En deux minutes, ce fut la pagaille. On alla arracher leurs couvertures à ceux qui dormaient. Les miliciens déshabillèrent Maryla Nowicka qui ne donnait toujours aucun signe de vie. On l’enroula dans les couvertures et on l’approcha du poêle. Le capitaine Pracek téléphonait fiévreusement pour trouver un médecin « sûr ».

Un des soldats eut l’idée de mettre une glace devant la bouche de la gynécologue.

— Hé, elle ne respire plus ! cria-t-il.

Le capitaine Pracek avait enfin mis la main sur un médecin du S.B. et lui expliquait les symptômes de Maryla Nowicka. L’autre lui laissa peu d’espoir.

— Vous avez dû lui laisser la nuque dans l’eau, dit-il. Si sa température est au-dessous de 30°, il est impossible de la ranimer. La prochaine fois, ne la laissez pas plus d’une heure et gardez-lui la nuque hors de l’eau.

— Foutez-lui un thermomètre dans le cul, hurla Pracek. Un des miliciens se précipita sur la trousse d’urgence, trouva un thermomètre et l’enfonça dans le rectum de la gynécologue.

Le capitaine Pracek raccrocha et alluma une cigarette, tirant dessus avec nervosité. Au bout de trois minutes, le milicien retira le thermomètre et l’examina. Les autres soldats observaient la scène en silence.

— 27°, annonça le soldat. Maryla était bien morte.

Le capitaine Pracek écrasa sa cigarette à peine entamée, l’estomac serré par l’angoisse. C’était un truc à passer en cour martiale. Avant tout, il fallait se débarrasser du corps.

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38

Sang de chien !