Выбрать главу

Malko éprouvait maintenant une envie féroce de voir cette poitrine étonnante, de la caresser, de la tenir entre ses mains. Il l’effleura, mais elle le repoussa.

— Non.

Elle se redressa et commença à reboutonner son haut.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda Malko, suffoqué.

— Je ne veux pas que tu t’énerves pour rien, dit-elle gravement. Je n’ai pas l’intention de faire l’amour avec toi ce soir. Je trouve que je t’ai déjà donné beaucoup. Tu me brusques…

Malko demeura muet devant ce cynisme. Il commençait à comprendre comment Anne-Liese avait mené son haut fonctionnaire à la camisole de force… Elle le contemplait, sûre d’elle et inaccessible. Lorsqu’on y regardait de plus près, la lourde jupe de velours fermée par les brandebourgs et le haut hermétique formaient une cuirasse imparable. D’autant que la douce Anne-Liese avait trop de force pour se faire violer.

Voyant l’expression de Malko, de nouveau elle se pencha, l’emprisonna dans sa bouche quelques secondes et se redressa, mutine.

Malko grogna comme un fauve à qui on enlève un morceau de viande.

— Caresse-toi, suggéra suavement Anne-Liese. Je veux bien te regarder…

Il chercha son regard. Il était certain qu’à cette seconde elle ne travaillait pas pour le S.B. Sans la lâcher des yeux, il fit ce qu’elle lui demandait. Les prunelles grises s’agrandirent légèrement, seul signe d’intérêt. Le buste très droit, à son habitude, une main posée sur la cuisse de Malko, Anne-Liese regardait le membre offert. Suivant la montée du désir. Elle devait posséder un sixième sens ou une très grande habitude des hommes. Au moment où Malko sentait qu’il allait atteindre l’orgasme, la main d’Anne-Liese écarta la sienne.

En quelques secondes, avec les mouvements lents et tournants d’une cuisinière consciencieuse préparant une crème fouettée, elle l’amena à l’orgasme. Elle le regarda jaillir avec la même impassibilité, poussa un petit soupir et annonça :

— Il va falloir que je me couche, je commence à avoir sommeil.

À la lueur qui brillait dans ses yeux, Malko put quand même se rendre compte que le spectacle ne l’avait pas laissée indifférente. Anne-Liese possédait un contrôle total sur elle-même. Bien que physiquement apaisé, il se sentait toujours aussi frustré. Du beau travail.

Rien ne s’était passé de fâcheux. Donc, ce n’était encore que de la préparation. Le S.B. désirait qu’il revienne dans cette tanière de velours. Il commençait tout doucement à comprendre le jeu subtil d’Anne-Liese. Il lui manquait encore un petit élément. Tout en se rhabillant, il demanda d’un ton enjoué :

— Alors, quand ferons-nous l’amour ?

Anne-Liese croqua un marron glacé avant de lui répondre :

— Je ne sais pas. Quand j’en aurai très envie. Le jour où je t’attendrai avec une bouteille de Dom Pérignon, tu sauras…

Il était prêt. Soudain, il réalisa qu’il était deux heures du matin. Il ne trouverait jamais de taxi.

— Attends, je vais t’appeler un radio-taxi, dit Anne-Liese.

Elle décrocha le téléphone, composa un numéro et obtint immédiatement une voiture.

— Il sera là dans trois minutes, dit-elle. Veux-tu que nous dînions ensemble demain ?

— Je verrai, dit Malko, prudent. De toute façon, je vais chercher le caviar. Pour être prêt à tout…

Elle l’embrassa tendrement et le regarda descendre l’escalier du pas de la porte.

* * *

Malko sortit du taxi et plongea dans la foule toujours aussi silencieuse et compacte du bazar Rözyckiego. Il avançait lentement vers le stand du caviar, au milieu d’un océan de chapkas. Il avait cessé de neiger et la température s’était encore abaissée. Soudain, les battements de son cœur s’accélérèrent en arrivant en vue du stand 37. À la place de la commère mafflue, se tenait une femme mince, vêtue d’un pantalon gris et d’un chandail noir. Très brune, les cheveux séparés par une raie au milieu, avec de hautes pommettes très saillantes, des yeux en amande, une grande bouche bien dessinée.

Elle avait dû être remarquablement belle.

Une femme de quarante-cinq ans environ. Malko s’approcha et dit en anglais :

— Je viens chercher mon caviar. Je l’ai commandé hier.

La jeune femme le regarda, interloquée : il réalisa soudain qu’elle ne parlait pas anglais. Il répéta la même phrase en allemand. Cette fois, son interlocutrice répondit à Malko dans la même langue.

— Ah oui, mon amie m’a prévenue. Mais je ne l’ai pas ici. Il faut que j’aille le chercher. Pouvez-vous attendre ? Où est-ce que je peux le porter à votre hôtel ?

— Oui, au Victoria, dit Malko. Vous pourriez y venir ? Seuls des rides très fines autour des yeux et un cou un peu fripé révélaient l’âge de son interlocutrice. Ses yeux marron, son nez droit, son menton volontaire irradiaient l’équilibre. Elle n’avait pas beaucoup de poitrine, mais un corps mince et sportif. Malko l’imagina avec trente ans de moins. Une véritable beauté… Il était certain à 99 % de se trouver devant la mystérieuse Halina, la maîtresse de Roman Ziolek. Elle le fixait, intriguée par l’insistance avec laquelle il la regardait.

— Certainement, dit-elle, dans une heure. C’est plus agréable pour vous que de rester dans le froid. Vous en avez commandé deux kilos ?

— En boîtes de cinq cents grammes, précisa Malko.

Il tendit trois billets de 50 dollars qu’elle prit avec réticence.

— Cela vous ennuie si je vous rends la monnaie en zlotys ?

— Pas du tout, dit-il. À propos, vous ne vous appelez pas Halina ?

Une lueur de surprise passa dans les yeux marron. Elle sourit.

— Oui. Comment savez-vous…

— Je connais Maryla Nowicka, dit Malko.

La lueur dans les yeux marron s’éteignit, comme gelée. La jeune femme replia lentement les billets, comme si ses doigts lui refusaient tout service.

— Elle a été arrêtée, dit-elle à voix basse.

— Oui, dit Malko. Je le savais.

Halina le scrutait anxieusement. Il sentait qu’elle mourait d’envie de lui poser des questions, de savoir qui il était.

— Je suis un ami, se hâta de dire Malko. J’essayais d’aider Maryla Nowicka. Je connais aussi Wanda Michnik…

Avant tout, lui donner confiance. Mais la foule autour d’eux devait être truffée d’agents du S.B. Il ne pouvait rester longtemps.

— Je vous attends à midi dans le hall du Victoria, finit par dire Malko.

Il s’éloigna. Quelques mètres plus loin, il se retourna : Halina le fixait toujours. Il se força à ne pas revenir sur ses pas. Il lui laissait le temps de se ressaisir, mais c’était un risque indispensable. Le taxi l’attendait. Il lui demanda de le conduire au Muséum Narodowe[39]. Autant embrouiller les pistes…

* * *

Essayant de calmer les battements de son cœur, Malko guettait le portier en marron qui ouvrait la porte du Victoria. Midi et demi. Trente minutes de retard. Maintenant il se maudissait de ne pas avoir insisté tout de suite. Si dans une heure Halina n’était pas là, il retournerait au bazar Rözyckiego. Soudain, son angoisse disparut d’un coup. Halina venait de franchir la porte d’un pas pressé. En dépit du manteau de fourrure, de la chapka et des bottes, elle était superbe, le visage rosi par le froid. Elle s’approcha de Malko, s’excusa avec un sourire et sortit un paquet de son sac :

— Le bus était très en retard. Voilà. Malko prit le caviar.

— Je vais le mettre tout de suite au frais, dit-il. Vous m’attendez ?

Elle eut un imperceptible mouvement de recul.

вернуться

39

Musée national.