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— Et Roman Ziolek, demanda Malko. Quelle est son histoire ?

Halina Rodowisz le fixa de ses grands yeux marron un peu tristes.

— Vous voulez vraiment le savoir ? Vous serez en danger de mort si on apprend que je vous ai parlé. Et moi aussi…

— Moi, c’est mon métier, dit Malko. Vous êtes seule juge en ce qui vous concerne.

Halina Rodowisz vida son verre.

— Oh, je suis une vieille femme. Peut-être que Roman se souvient encore de moi. Peut-être qu’il ne me laissera pas tuer.

— Vous l’avez beaucoup aimé ?

Elle attendit que le garçon se soit éloigné pour répondre simplement :

— J’étais folle de lui. Cela a commencé en 1941. Je venais d’avoir quinze ans. Mes parents avaient une pharmacie. Un soldat allemand a été tué devant. Les SS sont venus et ont pendu ma mère et mon père. Sous mes yeux. J’ai été recueillie par des amis. On m’a présentée à des résistants, parce que je grillais de venger mes parents. Parmi eux, il y avait Roman. Étudiant en architecture. Très beau. Je suis tombée tout de suite amoureuse de lui. C’était le premier homme que j’ai connu. (Elle rit.) Je me souviens, il a organisé une soirée pour moi. Il avait acheté une bouteille de tokay au marché noir. On lui avait refilé du détergent. Je me suis étranglée et j’ai eu mal à la gorge pendant une semaine.

— Il était amoureux, lui aussi ? Halina inclina la tête.

— Oui. Très. Il menait une vie dangereuse. Un jour j’ai trouvé des papiers chez lui qu’il fallait cacher à cause d’une perquisition et il a été obligé de me dire la vérité. Officiellement, il faisait partie de l’A.K., l’Armia Krajowa, l’armée de l’intérieur sous les ordres du gouvernement polonais de Londres. En réalité, c’était un communiste convaincu. Il n’avait pas été fait prisonnier par les Allemands comme il le prétendait, mais arrivait de Russie. Là-bas, il avait passé plusieurs mois dans l’école spéciale du Parti, à Pouchkino, près de Moscou. Les Russes l’avaient ensuite parachuté dans les environs de Varsovie en décembre 1941. Afin d’aider à la formation du parti communiste polonais…

— Vous n’avez rien dit ? Elle secoua la tête.

— Non. J’étais trop amoureuse de lui. Et puis, je ne voyais pas bien la différence entre les communistes et les autres. Les seuls vrais ennemis, c’étaient les Allemands. Or, Roman luttait contre les Allemands.

— C’est tout ? Elle baissa la tête.

— Non. Un jour, j’ai surpris Roman en train de dresser la liste de la plupart des chefs de l’A.K. Il m’a dit que c’était pour des décorations. Quelques jours plus tard, nous avons appris que la Gestapo avait la liste.

— Vous n’avez encore rien dit ? Halina secoua la tête.

— Non. Je sais que j’aurais dû le dénoncer. Mais je ne pouvais pas. J’étais amoureuse de lui. Ils l’auraient tué. J’avais honte, mais je me suis tue. Ensuite, on a oublié l’histoire de la liste. Je devinais qu’il avait fait cela pour plaire aux communistes. Il risquait sa vie.

— Ensuite, il ne m’a plus parlé des communistes. Moi, je savais qu’il avait des contacts avec le comité de Lublin. Il a fait un voyage secret en 1944, à Lublin, chez le Comité de libération soutenu par l’Armée Rouge. Puis il y a eu l’Insurrection et ce que je vous ai raconté…

Elle se tut. Malko était perplexe. Comment une telle histoire avait-elle pu rester inconnue tant de temps ? Halina Rodowisz sourit avec tristesse.

— Pourquoi n’avez-vous parlé à personne depuis ? de-manda-t-il.

— Vous me prenez pour une mythomane ? Mais j’ai des photos. Je pourrais vous les montrer. Je n’ai jamais rien dit parce que j’avais un fils. Je ne voulais pas qu’il puisse lui arriver quelque chose. Mais il a été tué dans un accident d’avion l’année dernière.

— Je suis désolé, dit Malko.

Ils demeurèrent silencieux devant leurs ice-creams apportés d’office. Malko demanda des fruits. Le garçon secoua la tête, l’air désolé.

— Nie ma[41].

Une question brûlait les lèvres de Malko. Difficile à poser.

— Vous avez des photos de cette époque, dites-vous ? Elle hocha la tête et dit rêveusement :

— Oui. Lui et moi. Et puis une autre avec tous ceux du comité de Lublin. Prise en 1944.

Malko la regarda ébahi.

— Comment vous l’êtes-vous procurée ?

Halina baissa la tête, comme une enfant prise en faute.

— Je l’ai volée dans ses affaires avant qu’il ne les brûle, dit-elle simplement. Je ne savais pas qui était avec lui sur la photo. Je voulais un souvenir. Il ne l’a jamais su.

— Vous l’avez chez vous ?

— Oui.

Sans qu’il sache pourquoi, Malko leva les yeux vers l’escalier. Il eut l’impression que son cœur s’arrêtait. Un homme achevait de le monter. Celui qu’il avait aperçu derrière la vitrine de la Wyniarna Fukierowska, lorsqu’il se trouvait avec la gynécologue.

Le piège venait de se refermer.

Chapitre XV

Malko réussit à ne rien montrer de son émotion, tandis que des cataractes d’adrénaline se déversaient dans ses artères. Il attendit pour voir si la barbouze allait se diriger sur eux. Mais il se contenta de balayer la salle d’un regard faussement indifférent avant de replonger dans l’escalier. Malko réussit à entamer son ice-cream d’un air calme. La photo dont parlait Halina était de la dynamite.

— Vous pouvez me donner cette photo ? demanda-t-il. Halina leva la tête :

— Qu’allez-vous en faire ? Que voulez-vous faire à Roman ?

— L’empêcher de faire du mal, dit Malko. Dire à ceux qui veulent le suivre ce qu’il est réellement. Un communiste convaincu. Il n’en souffrira pas. Ici, il ne risque rien. À moins qu’il n’ait changé, qu’il ne soit plus communiste. D’autres, avant lui, l’ont fait.

Halina Rodowisz demeura un long moment silencieuse avant de dire :

— Je ne sais pas. Il y a si longtemps que je ne l’ai pas vu… Mais il était tellement convaincu. Pendant des nuits entières, il m’a expliqué pourquoi il était communiste.

— Les éléments actuels tendent à prouver qu’il l’est toujours, dit Malko, sinon, le S.B. n’aurait pas été jusqu’à tuer pour le protéger.

— Oui, bien sûr, dit pensivement Halina. J’aurais dû le dénoncer en 41. Ce qu’il avait fait était monstrueux. Dénoncer ses camarades de combat. Mais j’étais trop amoureuse. Il me semble que c’est hier qu’il dormait dans mes bras. Je l’aimais tant… Il était gentil avec moi, vous savez. J’adorais les chaussures. À Varsovie, en pleine guerre, c’était introuvable. Il en a acheté au marché noir. Il m’a fait la surprise pour mon anniversaire… En 43.

Sa voix s’étrangla. Des larmes montaient à ses yeux. Malko baissa les yeux, gêné.

— Je vous enverrai cette photo, dit-elle tout à coup. Mais il faut que je la retrouve d’abord. Maintenant, je dois partir, il faut que je retourne au bazar.

— Vous devez me détester, dit Malko. Elle secoua la tête :

— Non. C’est le destin. Si vous n’étiez pas venu, je me serais tue jusqu’à ma mort.

— Vous n’avez pas envie de le revoir ?

— Je ne sais pas. Je ne crois pas. Il serait trop gêné. Elle leva la tête brusquement.

— Vous savez, je m’entendais si bien avec lui. Nous passions nos nuits à faire l’amour, littéralement. Nous étions jeunes. Je ne l’ai jamais refait de cette façon, avec cette intensité. Partons, maintenant.

Il paya. Lorsqu’ils sortirent dans le Rynek, il neigeait un peu. Halina tomba en arrêt devant les fiacres.

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41

II n’y en a pas.