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— Entre là-dedans.

L’antiquaire ne bougea pas. Alors, sans brutalité, « Oreilles Décollées » le poussa à l’intérieur de la statue, ne s’arrêtant que lorsque Julius Zydowski eut le dos contre le bois rugueux. Le sommet de son crâne arrivait juste contre le haut.

— On dirait qu’elle a été faite pour toi, ricana le deuxième homme. Alors, tu nous dis ce qu’on veut ?

Julius regardait les longues pointes rouillées et acérées. Ils bluffaient. Les bras le long du corps, il ne pouvait plus faire un geste.

— Je ne sais rien, murmura-t-il.

Paisiblement, « Oreilles Décollées » commença à rabattre le panneau de droite. Quand les pointes appuyèrent sur la chair de Julius Zydowski, des chevilles jusqu’au visage, il poussa un couinement terrifié. Une des pointes entrait déjà dans sa chair, sous l’œil.

— Alors !

— Meine Her…

La supplication de Julius s’acheva dans un cri atroce. « Oreilles Décollées » pesait sur le panneau. Cinquante pointes venaient de transpercer Julius. Les mâchoires serrées, son bourreau pesa encore. Pour faire du zèle, son compagnon rabattit à son tour le second panneau, enfermant complètement l’antiquaire dans la statue infernale. Les hurlements de Julius Zydowski s’amplifièrent, étouffés en partie par les parois de bois.

— Hé, arrête ! cria « Oreilles Décollées ».

Il ne fallait pas tuer Zydowski. Pas tout de suite.

Soudain, il y eut un claquement sec dans la statue. Sans que les deux hommes y touchent, les deux panneaux se refermaient lentement et inexorablement, mus par un mécanisme à ressort caché dans le socle ! Les hurlements de Julius se firent plus aigus, atroces, mêlés de couinements, de gargouillements. Les deux hommes tentaient en jurant de retarder le mouvement. Ils durent lâcher prise, les doigts coincés.

— Aaaahh !

Ce fut le dernier bruit qui sortit de la Vierge de Nuremberg. Le cœur et le cerveau transpercés, Julius Zydowski venait de mourir.

Les deux hommes se regardèrent. Atterrés. Du sang commençait à suinter des interstices de la Vierge de Nuremberg, coulant sur le sol.

— Choiera[9] !

« Oreilles Décollées » était en train de mesurer la portée de l’événement. Soudain, il y eut un grincement et les deux panneaux de la Vierge commencèrent à se rouvrir. Le mécanisme était automatique… Abasourdis, les deux hommes virent une forme rouge apparaître. Des dizaines de blessures saignaient, transformant le mort en une momie rouge. Un œil était crevé, l’autre fixe, la bouche ouverte. Clac.

Le mécanisme avait stoppé, les panneaux étaient écartés. La Vierge était prête à resservir. L’homme aux oreilles décollées retrouva le premier son sang-froid. Sans se troubler, il avança la main et humecta son doigt de sang. Puis, il commença à écrire quelque chose sur le mur, à côté de la Vierge.

Son compagnon l’observait en silence. Lorsqu’il eut fini, il demanda :

— On fouille ? L’autre secoua la tête.

— Non, ce n’est pas la peine. Il n’y a rien ici.

Aucun des deux hommes n’avait retiré ses gants. « Oreilles Décollées » prit le téléphone et le remit en place. Le chat avait disparu dans la boutique, effrayé. Les deux hommes se dirigèrent vers la petite porte donnant sur l’arrière de la boutique et l’ouvrirent, déclenchant un courant d’air glacé. Le plus petit des deux sortit le premier. Il neigeait toujours.

Chapitre II

— Komm hier[10], cria la voix un peu rauque de la Gräfin Thala von Wisberg.

Malko passa devant le valet de chambre en tenue blanche et pénétra dans la pièce tendue de velours bleu y compris le plafond. Aucun meuble, à part deux grandes tables de nuit de laque assorties au mur, sur lesquelles trônaient d’énormes chandeliers d’argent. Au seuil de la quarantaine, la Gräfin ne supportait plus la lumière électrique avant de s’endormir.

Elle était au téléphone, allongée sur le côté droit, des papiers étalés devant elle. Son corps mince était moulé dans ce qui sembla d’abord à Malko une robe de cocktail noire. En se penchant pour lui baiser la main, il réalisa que Thala von Wisberg avait les jambes nues. Jamais une femme aussi raffinée n’aurait mis une robe ainsi. Ce n’était qu’une chemise de nuit en dentelle noire moulant la petite poitrine courageuse de la Gräfin et s’ouvrant sur sa cuisse bien galbée.

— Küss die Hand, Gräfin[11].

Malko se pencha sur les doigts parfumés et les effleura de ses lèvres. La Gräfin posa l’écouteur sur la couverture de fourrure et lui adressa un sourire chaleureux :

— Tu es en retard ! Assieds-toi là. Je suis en train de parler à mon banquier à New York… Je suis tout de suite à toi.

Malko fit le tour pour s’asseoir de l’autre côté du lit. Admirant les épaules et les bras magnifiques de la jeune femme. Sans le réseau de rides infinitésimales autour de ses yeux et sur sa gorge, on lui aurait donné vingt-cinq ans. Même en train de discuter business, elle conservait son magnétisme.

— Sell. Buy. Keep[12].

Litanie monotone égrenée d’une voix sensuelle. Thala von Wisberg notait des chiffres en face de chaque nom avec un petit stylo-bille en or. Trois minutes, cinq minutes, dix minutes passèrent. Il y avait de longues pauses de silence. Quand le banquier commentait, entre chaque ordre. Malko commençait à s’impatienter. Il jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule de la Gräfin. Il y en avait encore plusieurs pages. Décourageant. L’image de Julius Zydowski passa devant ses yeux.

Les mauvaises langues disaient qu’il avait très bien survécu en devenant le fournisseur n°1 de la Wehrmacht pour les bidons de lait…

Certains prétendaient même que Julius Zydowski, du temps où il menait grand train rue Panska, possédait un Ausweis délivré par la Gestapo, lui permettant d’entrer et de sortir du ghetto à sa guise… Lorsqu’on connaissait l’affectueuse sollicitude des SS pour les Juifs, une telle faveur rendait éminemment suspect son bénéficiaire. Mais les témoins étaient partis en fumée dans les fours crématoires de Auschwitz et de Treblinka. Julius Zydowski avait fait surface à Vienne après la guerre, avec assez de diamants cousus dans la doublure de sa houppelande pour survivre.

Pour chasser ces visions d’horreur, il huma les effluves émanant de la Gräfin. A croire qu’elle s’était trempée dans une baignoire de parfum…

La litanie continuait. Elle lui tournait carrément le dos, les reins creusés, appuyée sur un coude.

Par pure espièglerie, Malko posa la main sur sa hanche, effleurant la courbe ferme à travers le nylon noir. Ce qui ne sembla pas troubler la Gräfin. Aussi, laissa-t-il glisser ses doigts de la naissance de la cuisse au genou, puis remonta, entraînant la dentelle noire. S’arrêtant à mi-cuisse. La jambe était superbement galbée, le genou rond, la peau épilée avec soin.

Toujours aucune réaction. Sauf que Thala, d’un seul coup, vendit 300 actions de la Gulf Oil…

Piqué par cette indifférence, Malko écarta délicatement le pan central de la chemise de nuit, découvrant le ventre plat ombré d’un triangle sombre nettement délimité. La Gräfin était une maniaque de l’épilation.

Elle n’interrompit pas sa conversation, se contentant de se tourner un peu, privant Malko de ce qu’il venait de découvrir. Celui-ci était si près qu’il entendait la voix du banquier sortir du téléphone. Il revint au dos nu, le caressa, puis aventura quelques doigts par-dessus l’épaule, jusqu’à effleurer la pointe d’un sein par l’entrebâillement du nylon.

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9

Equivalent de « Merde ! » en polonais.

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10

Viens ici.

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11

Je vous baise la main, comtesse.

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12

Vendez. Achetez. Gardez.