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— Wieslawa !

Le vrai prénom de Halina. Jerzy se retourna. Comme un fou. Son regard balaya le mur où se trouvaient accrochées des armes de collection. Il se rua en avant, arracha une sorte de sabre à la lame très court et recourbée, un yatagan de Gengis Khan, et fonça sur Roman Ziolek.

— Non ! hurla Malko.

Surtout ne pas faire de Ziolek un martyr. Mais il n’eut pas le temps d’intervenir. Jerzy s’était planté en face de Ziolek, les jambes écartées. Tenant le sabre à deux mains, il frappa horizontalement avec un han de bûcheron, de toutes ses forces.

La lame plongea dans le ventre de Roman Ziolek de vingt bons centimètres. Il recula jusqu’au piano, le visage crispé de souffrance.

Les mains en avant, il essaya d’écarter son assassin. Mais Jerzy recula, arrachant la lame au milieu d’un jet de sang, et refrappa un peu plus bas, déchirant l’abdomen. Cette fois, il lâcha la poignée de l’arme qui demeura horizontale et recula.

Roman Ziolek tituba, prit le sabre à deux mains comme pour le sortir de son ventre, mais s’effondra en avant, à genoux, courbé comme s’il priait, tenant la lame qui le déchirait.

Avec un cri aigu, Halina échappa à Malko, se précipita sur son vieil amant, s’agenouilla dans le sang, lui releva la tête avec une infinie douceur. Elle hurla :

— Il est en train de mourir !

De nouveaux coups de sifflet retentirent. Maintenant, les participants de la réunion se sauvaient par toutes les ouvertures de la maison, pourchassés par des policiers et des miliciens. Heureusement ces derniers n’avaient pas prévu une opération d’envergure et n’étaient pas assez nombreux.

Malko courut jusqu’à Ziolek, releva son visage. Ses yeux étaient déjà vitreux, ses traits crispés par une souffrance indicible, insoutenable, les mains nouées autour de la lame pleine de sang. Il n’y avait plus rien à faire, le péritoine était perforé. Jerzy semblait aussi fou que Halina. Il marmonnait tout seul. Soudain, il se pencha et arracha la lame, ce qui était la plus sûre façon d’achever Ziolek. Halina poussa un hurlement sauvage.

Malko crut que Jerzy allait la frapper, mais il se contenta de garder son arme à bout de bras. Les sifflets étaient de plus en plus nombreux. Roman Ziolek râlait. Malko tenta d’arracher Halina de lui, mais elle résista.

— Vous ne comprenez pas ! cria-t-elle, je lui avais promis d’être là quand il mourrait. Et lui aussi… Il va mourir.

— Ils vont vous arrêter, dit Malko.

Elle ne répondit pas, tourna la tête et prit celle de Ziolek entre ses mains.

Il n’y avait rien à faire. Malko courut vers la porte, poussant Wanda, suivi de Jerzy. Au moment où des uniformes marron s’y encadraient : des hommes de la Milicja. La maison était cernée. Ils avaient trop attendu…

Chapitre XX

Un des miliciens leva sa mitraillette, menaçant Malko et Jerzy. Le jeune Polonais fit un bond en avant, à demi courbé, comme un fauve qui attaque. Tout fut simultané : le staccato de la mitraillette dont la rafale creva le plafond, le cri de l’homme égorgé et le bruit sourd de Jerzy retombant sur ses pieds, évitant le jet de sang qui jaillissait.

L’autre milicien leva son arme, visant Jerzy à bout portant. Malko n’eut que le temps de tendre le bras armé du Tokarev. Le projectile frappa le milicien sous l’œil gauche. Pendant une fraction de seconde, il demeura immobile, l’air stupide, puis sa bouche se tordit de façon asymétrique, il fit un pas en avant, penché comme s’il prenait le départ d’une course, puis tomba d’un bloc sans lâcher son arme. Malko, aussitôt, poussa Wanda en avant. Les coups de feu allaient attirer du renfort. Ils se retrouvèrent tous les trois dans le parc, plongèrent tout de suite sous les arbres, évitant le sentier menant à la grille. Des gens couraient dans tous les sens, on entendait partout des cris, des appels. La lueur d’un projecteur balaya le parc.

— Par ici, dit Jerzy.

Il les entraîna à l’opposé de la grille. Wanda avait du mal à courir sur le sol verglacé. Jerzy n’avait pas lâché son sabre. Il tremblait et il pleurait à la fois. Tout à coup, Wanda se laissa tomber en gémissant.

— Je ne peux plus, je ne peux plus, sanglota-t-elle. Malko l’aida à se relever.

— Courage, courage, vous allez quitter la Pologne avec moi.

— Quitter la Pologne ?

— Je n’ai pas le temps de vous expliquer, dit Malko.

La jeune femme se releva et continua à clopiner tant bien que mal. Ils avaient presque atteint le mur de clôture. On n’y voyait goutte. Jerzy se lança à l’assaut des pierres rendues glissantes par le gel, se hissa au faîte du mur. Malko l’aida à pousser Wanda qui souffrait beaucoup à cause de sa colonne cervicale fracturée. Enfin, ils réussirent à franchir le mur et retombèrent dans un champ gelé et désert.

À un kilomètre, on apercevait les lumières de Zalazowa. Ils se mirent à marcher, dans les sillons gelés, dans leur direction. Jerzy balançait toujours son sabre. Il se rapprocha de Malko, et dit d’une voix basse et éraillée par l’émotion :

— Je sais que je n’aurais pas dû le frapper. Mais il a fait trop de mal. Il le méritait.

— C’est fait, dit Malko. Espérons que Halina s’en sortira…

Ils marchèrent encore dix minutes en silence. Le froid était effroyable. Maintenant, ils n’étaient plus qu’à cent mètres de la route et à cinq cents mètres du village.

— Qu’allons-nous faire ? demanda Jerzy.

— Nous devons être à Varsovie dans une heure et demie, dit Malko. J’ai un moyen de quitter ce soir le pays. Il ne sera plus valable demain.

Le jeune Polonais s’arrêta, le fixant, hésitant.

— La voiture est de l’autre côté, dit-il. Zelazowa doit grouiller de miliciens.

— Je sais, dit Malko, mais c’est notre seule chance de leur échapper.

Ils se mirent en marche vers les lumières, en silence, avançant dans le fossé gelé. En approchant ils distinguèrent les bus, des voitures, toute une agitation. Des miliciens contrôlaient la circulation. Malko désigna la masse noire de l’auberge, à droite devant eux.

— Il faudrait la contourner par-derrière, dit-il.

Il pensa aux deux miliciens tués. Leurs amis recherchaient sûrement les meurtriers…

Soudain, un cri jaillit devant eux et, aussitôt, le faisceau d’une torche électrique balaya leur groupe. Cinq miliciens barraient la route, armés de longues matraques de bois, plus de quatre-vingts centimètres. L’un d’eux poussa un cri en désignant le sabre de Jerzy !

Ils n’étaient plus qu’à cent mètres de l’auberge. Malko vit les yeux fous de Jerzy, les cernes noirs sous ses yeux, la détermination de ses traits.

Le jeune Polonais poussa violemment Wanda en avant, faisant face aux cinq hommes qui barraient la route.

— Vite, sauvez-vous, cria-t-il. Passez par le champ. Je les retiens.

Malko hésita. Il était armé. Mais les coups de feu attireraient immanquablement d’autres miliciens. C’était un suicide. Wanda le tira par le bras.

Il y eut un cri aigu. Un des miliciens venait de se faire trancher le bras par le sabre. Il recula, tenant son moignon. Malko sauta hors du fossé, traînant Wanda. Un des miliciens voulut les poursuivre, mais glissa et s’étala par terre. Jerzy barrait la route aux autres, faisant de grands moulinets avec son sabre.

Malko et Wanda avaient pris vingt mètres d’avance. Ils coururent d’un trait jusqu’à l’auberge et se dissimulèrent dans l’ombre de son mur avant d’aller plus loin.

Des cris et des exclamations venaient de la route derrière eux.

— Mon Dieu, fit Wanda. Ils vont le tuer. Jerzy reculait pied à pied. Mais le cercle s’était refermé autour de lui.