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— Arrête-toi, dit-il au chauffeur milicien. Le bus stoppa en quelques mètres.

— Descends, dit Malko.

Celui-ci ouvrit la portière de son côté et sauta à terre. Malko se tourna vers les passagers et cria de toute la force de ses poumons :

— Nous allons essayer de quitter la Pologne. Que ceux qui veulent descendre le fassent. Vous avez une minute. Ensuite, il sera trop tard. Je ne peux répondre à aucune question.

Dans un brouhaha indescriptible, les quatre portes du bus s’ouvrirent. Malko surveillait anxieusement le passage à niveau. Quelques personnes descendirent, dont une femme qui pleurait.

— Je voudrais tant partir, cria-t-elle, mais mon mari, mon pauvre mari…

Les derniers wagons du train de marchandises étaient en train de défiler. Malko appuya sur la fermeture hydraulique des portes et tendit le Tokarev à Wanda.

— Tenez ça. Que personne ne s’amuse à m’attaquer dans le dos. N’ayez pas peur, ça va être dur, mais nous y arriverons.

Il prit le siège du chauffeur et enclencha les vitesses. Un homme coincé dans une des portes arrière tomba sur la route en criant. Malko écrasa l’accélérateur du bus qui prit de la vitesse. Les barrières n’étaient pas encore levées. Maintenant, il se sentait parfaitement calme. Il n’y avait pas de retour possible en arrière. Dans très peu de temps, ils allaient avoir toutes les forces de police de la Voïvodie de Varsovie à leurs trousses.

Il restait exactement dix-sept minutes avant l’heure prévue dans son plan. Dans le bus, les gens criaient, chantaient, pleuraient. Personne ne savait ce qui allait vraiment se passer. Personne, même pas Wanda qui brandissait le Tokarev.

Coups de Klaxon furieux, appels de phares, le fourgon de la Milicja, qui avait enfin franchi le passage à niveau, essayait de doubler. Malko resta au milieu de la route. L’embranchement pour Okecie se rapprochait. Malko attendit le dernier moment pour freiner, prit le virage si vite que le bus se coucha complètement. Les passagers crièrent, puis tout repartit dans le hurlement du diesel… Derrière eux, le fourgon de la Milicja faisait hurler sa sirène. Malko se demanda s’il avait la radio.

Le paysage avait changé, presque plus de maisons, les champs enneigés, des sapins. Ils approchaient de l’aéroport. Soudain, Malko aperçut dans le brouillard un feu tournant bleu et des lumières jaunes.

Le fourgon de la Milicja avait bien une radio ; ils fonçaient sur un barrage routier. Il se cala dans son siège espérant qu’ils n’auraient pas de herse… Mais les Polonais ne pouvaient pas imaginer le plan de Malko. Il se retourna et cria :

— Que tout le monde se couche ! Il y a un barrage.

Les passagers obéirent au milieu des cris de terreur. Seule, Wanda demeura debout.

Malko ralentit. Deux miliciens, mitraillette au poing, lui faisaient signe de se ranger sur le côté. Il mit son clignotant, fit semblant d’obéir. Puis, au moment où il arrivait à la hauteur des miliciens, il donna un brusque coup de volant vers la gauche et écrasa l’accélérateur. Un des miliciens disparut, happé par l’aile gauche, l’autre eut le temps de reculer, leva son arme et arrosa le flanc du bus. L’avant de ce dernier heurta un des fourgons gris disposés en chicane et le fit reculer dans un fracas de verre brisé. Malko reçut le volant horizontal dans l’estomac et perdit le souffle pour plusieurs secondes. Il entendit des coups de feu, vit des lueurs orange, puis ce fut le silence.

Ils étaient passés. Okecie se trouvait à un kilomètre. Malko se retourna. Wanda souriait toujours bravement derrière lui, mais des passagers gisaient sur leurs sièges et dans la travée centrale, blessés ou morts. Wanda se pencha vers Malko.

— Où allons-nous ? Ils ne nous laisseront jamais prendre un avion…

— Nous ne passerons pas par l’aéroport, dit Malko.

La route se scindait en deux. Il prit l’embranchement de gauche qui faisait le tour de l’aéroport ceinturé d’une clôture de barbelés. À travers les sapins, il aperçut des voitures et une animation insolite devant le bâtiment de l’aérogare : on l’attendait là.

Maintenant, il roulait le long du terrain. Il apercevait les feux de balisage de la piste à travers le brouillard. Son cœur se mit à battre plus vite. Tant de choses avaient pu se passer.

Une des grilles d’accès du terrain se trouvait un kilomètre plus loin. Il savait par cœur le plan de l’aéroport. La grille franchie, il lui faudrait tourner à droite, rouler cinq cents mètres environ pour trouver l’extrémité de la piste 11-29, la plus courte. Au bout de six cents mètres environ il trouverait le taxiway parallèle à la piste la plus longue, la 15-33. Il fallait tourner à gauche sur le taxiway et le suivre pendant un peu plus de huit cents mètres.

Il ralentit, braqua tout à droite et fonça sur la grille. Le lourd bus la défonça sans effort, mais le pare-brise devint opaque sur le côté droit.

Hurlements de passagers secoués par le choc. Wanda titubait, accrochée à un montant métallique. Malko était en sueur.

Il ralentit pour être certain de ne pas se perdre, trouva immédiatement le chemin cimenté. Hors des pistes le brouillard était encore plus épais. Heureusement, on ne pouvait le voir des bâtiments de l’aéroport, distants de mille cinq cents mètres environ. En se rapprochant, il distingua quelques avions sur les aires de parking. Enfin, il repéra les balises jaunes et bleues signalant l’extrémité de la piste 11-29. Il arriva dessus et l’emprunta, se rapprochant encore de l’aéroport.

Soudain, alors qu’il allait tourner à gauche dans le taxiway, il eut un choc au cœur.

L’avion qu’il cherchait se trouvait juste devant lui, sur le parking n°1. Pas du tout prêt à décoller.

Du coup, au lieu de tourner à gauche, il prit à droite et s’arrêta juste derrière la grande dérive. Dans l’ombre, il ne pouvait voir l’immatriculation, mais le Hercules possède une silhouette très particulière, avec ses quatre gros moteurs, son aile haute et sa grande dérive carrée.

Il stoppa le bus, ne sachant plus quoi faire. Aussitôt, les passagers, qui s’étaient tus jusque-là, l’assaillirent de questions, affolés. Il essayait de se contrôler dans le brouhaha, de comprendre. Quel contretemps avait fait tout basculer ? Maintenant, il était perdu. Soudain, un détail lui sauta aux yeux. La base de la dérive de l’avion qu’il avait devant lui était anormalement épaisse. Comme un gros bourrelet.

Ce fut l’illumination ! Ce qu’il avait devant lui était un Antonov 22, un appareil de transport soviétique copié sur le Hercules, mais doté d’une tourelle de tir à l’arrière, et non le Hercules canadien qui devait l’emmener hors de Pologne.

Fiévreusement, il fit marche arrière, puis demi-tour, retraversa le runway et reprit le taxiway.

Six cents mètres plus loin, il poussa un cri de joie. Les feux de position d’un avion émergeaient du brouillard. Il continua à rouler, arriva juste derrière l’appareil. Cette fois c’était un Hercules ! Son Hercules. Les quatre moteurs tournaient, en train de faire le point fixe, dans un grondement infernal.

Prenant l’extrême gauche, il doubla l’appareil immobile et vint stopper en biais devant le nez du gros appareil. Le pilote devait le guetter, car aussitôt il alluma ses phares d’atterrissage, éclairant le bus. Malko lui adressa de grands gestes par la glace baissée et aperçut le pilote qui tendait le bras hors du poste de pilotage, le pouce levé. Derrière lui, c’était du délire.

— Qu’est-ce qu’on fait ? Où va-t-on ? criaient les passagers. Ils vont nous rattraper.

Sans leur répondre, Malko repartit, contournant l’avion pour revenir derrière lui. Il y eut un concert d’exclamations dans le bus. Les passagers venaient de voir la grande porte arrière en train de s’abaisser pour se transformer en rampe d’embarquement ! Le temps que Malko ait effectué sa manœuvre, la rampe touchait le sol, avec un angle de 20°, découvrant un gouffre noir : l’intérieur de l’appareil. Malko assura ses mains sur le volant et lança le bus en avant. Il y eut une secousse lorsque les roues avant mordirent sur la rampe, tout le bus se souleva, comme s’il décollait, le diesel rugit et les roues arrière s’accrochèrent à leur tour sur la rampe.