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Occupé. Il attendit une minute, recommença. Une fois, trois fois, dix fois. Même résultat. Excédé, il appela les réclamations. La réponse arriva en quelques instants. Le numéro était en dérangement.

Il raccrocha, préoccupé. Bizarre. Thala l’observait, en train de tendre un long bas noir sur sa jambe fuselée. Elle l’accrocha à un porte-jarretelles de satin gris.

— Alors ?

— Je ne comprends pas, fit Malko, le numéro est toujours occupé.

Il crut que Thala von Wisberg avait avalé une guêpe.

— Immonde salaud ! explosa-t-elle. Tu te fous de moi ! Tu as fait mon numéro.

— Non, fit Malko, je ne dis pas de bêtises. Je suis obligé d’y aller.

Règle sacrée du monde parallèle. On ne laissait rien passer d’insolite. Cela pouvait être un simple dérangement. Ou autre chose.

Thala von Wisberg acheva de fixer son deuxième bas, fit passer sa chemise de nuit par-dessus sa tête et enfila, après s’être aspergée de parfum, une robe de jersey noir qui semblait retenue uniquement par ses seins. Elle la lissa sur son ventre plat et, les deux mains à plat sur son pubis, fixa Malko.

— Je te plais ?

Croyant que la paix était faite, il s’approcha d’elle. Thala posa alors un pied sur le bord du lit, faisant remonter sa robe à mi-cuisse. Malko déplaça ses doigts sur le nylon noir, à la lisière de la peau.

— Beaucoup, dit-il.

D’un geste sec, Thala von Wisberg chassa soudain la main de sa cuisse et reprit une position normale.

— Eh bien, tu y penseras ce soir pendant que je serai avec mon amant.

Ça recommençait ! Malko maudit la C.I.A. Julius ne représentait qu’un travail de routine mal payé par la station locale, mais qu’il ne pouvait refuser, alors que Thala von Wisberg était la plus somptueuse salope à l’ouest du Danube.

Il la prit par les hanches et la colla contre lui, malgré sa résistance.

— Si tu continues, je te viole ici et je vais dîner seul. Mais comme j’ai envie de passer une soirée tranquille, nous allons manger. Je m’arrêterai simplement en route, prévenir la personne que je devais voir.

La lueur noire dans les yeux ne s’effaça qu’à moitié.

— Je veux la voir.

— Tu la verras ! dit Malko, hors de lui.

— Bien, accepta Thala, de nouveau toute douceur. Dignement, elle alla vers son manteau de loup, que Malko l’aida à enfiler. Dehors, la neige tombait toujours autant. La Rolls en était couverte.

Krisantem sortit dans le froid pour ouvrir les portières, détournant les yeux devant les longues jambes gainées de noir. Son cœur saignait : il aimait bien Alexandra.

— Nous allons où nous étions tout à l’heure, dit Malko avant de fermer la glace de séparation.

— Que de mystères, remarqua Thala d’un ton caustique. J’espère que ton histoire est vraie parce que je peux encore changer d’avis…

Malko posa une main sur son genou et voulut remonter. Thala l’arrêta.

— Jamais avant de manger. On dirait que tu ne connais pas encore les Viennoises. Après, pourquoi pas ? Cette voiture est confortable…

La Rolls rappelait à Malko d’autres souvenirs. À Londres[13], Krisantem conduisait doucement dans les chemins enneigés de la colline de Breitensee. Malko avait mis une cassette de musique douce, les flocons de neige semblaient se dissoudre sur les glaces. En débouchant dans Mariahilferstrasse, Krisantem accéléra. Malko se demanda pourquoi le téléphone de Julius Zydowski était en dérangement.

* * *

La porte résistait. Il n’y avait aucune lumière à l’intérieur. Malko frappa encore à la porte vitrée, essayant en vain de voir l’intérieur de la boutique, puis revint en courant vers la Rolls.

Les yeux de Thala von Wisberg étincelaient de rage lorsqu’il se réinstalla à côté d’elle.

— Tu te fous de moi ! Une boutique fermée. Ramène-moi.

Malko chassa la neige de ses cheveux. Il l’aurait volontiers fessée, là, dans la neige.

— Ah, je me fous de toi ! fit-il. Eh bien, viens !

Il redescendit, la tira par le poignet et l’arracha de la Rolls. Thala von Wisberg s’enfonça littéralement jusqu’aux chevilles dans la neige.

— Mes chaussures ! hurla-t-elle.

— Enlève-les, dit Malko, si elles te gênent.

Même la galanterie avait des limites. Marchant à grands pas, il tourna dans Grabenstrasse, afin de parvenir à l’autre entrée de la boutique. Il avait déjà essayé l’appartement du premier sans succès. Thala jurait et protestait, accrochée à son bras. Ce n’est que le nez dessus que Malko réalisa que la porte de Julius Zydowski était ouverte. Il s’arrêta net.

Connaissant la méfiance du vieil antiquaire, c’était on ne peut plus bizarre.

En une fraction de seconde, Thala von Wisberg retrouva toute son agressivité.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je ne sais pas, dit Malko, attends-moi ici.

— Ah non !

D’un bond, elle s’arracha de son bras, marcha vers la porte entrouverte et s’y engouffra. Au moment où Malko franchissait le battant à son tour, le cri d’horreur de la jeune femme le fit sursauter.

Il se rua à l’intérieur. Thala von Wisberg était plantée au milieu de la pièce, les yeux exorbités, la bouche ouverte, les traits figés dans une expression d’indicible horreur.

— Mein Gott ! Mein Gott !

Elle ne pouvait que répéter cela.

Malko s’avança à son tour et s’immobilisa, horrifié. La Vierge de Nuremberg leur faisait face, ouverte. À l’intérieur, Julius Zydowski paraissait les attendre, un peu tassé sur lui-même, transformé en une momie sanglante par les centaines de perforations. Son visage n’était plus qu’un masque rouge, presque surréaliste, à force d’être horrible. Une longue traînée de sang partait de l’œil gauche, crevé, jusque dans son cou. Une mare de sang s’agrandissait, par terre, autour de la Vierge. Malko s’approcha et toucha le front tiède du vieil antiquaire. La peau était encore tiède. Tandis qu’il essayait de lui téléphoner, Julius était peut-être vivant…

— La police, murmura Thala. Il faut prévenir la police. Malko la tira par le bras.

— Viens.

La Gräfin se laissa faire sans résister. Au passage, Malko nota les six lettres rouges sur le mur. NEKAMA. Dessous, il y avait une étoile de David maladroitement tracée.

Il repoussa la porte et ils filèrent vers la Rolls. La tempête de neige redoublait. À peine dans la voiture, Thala von Wisberg fut prise d’un tremblement nerveux. Malko ouvrit la glace de séparation et dit à Elko Krisantem :

— Julius Zydowski a eu de la visite. Il est mort. Nous allons aux Drei Husaren. Ensuite, nous porterons mes affaires au Sacher.

La Rolls s’ébranla doucement dans la tempête de neige. Malko attira Thala sur son épaule.

— Je crois que je vais rester à Vienne quelques jours.

La soirée commençait bien. Qui avait assassiné Julius Zydowski avec cette sauvagerie et cette mise en scène ? Et pourquoi ?

Thala von Wisberg cessa de trembler et alluma une cigarette. Elle ne parlait plus de la police. Elle avait compris. Son regard se posa sur Malko. Changé.

— Tu me fais peur, dit-elle.

Chapitre III

La manchette « Teuflischer Mord im Wien[14] » occupait les six colonnes de la première page du Kurier. Le quotidien viennois était étalé sur le bureau en plexiglas de Hank Bower, le chef de station de la C.I.A. à Vienne. Hank, mâchonnant son cigare noirâtre, lisait attentivement. C’était un homme de haute taille, très brun, avec des traits énergiques, plutôt taciturne. Il avait épousé une femme très riche, ce qui lui donnait une assurance complémentaire. Malko contemplait le Danube. Cette annexe de l’ambassade U.S. était nichée au huitième étage d’un grand immeuble moderne, au début de Radetzkystrasse.

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13

Voir Protection pour Teddy Bear.

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14

Crime diabolique à Vienne.