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Hank Bower leva enfin la tête et dit, sans ôter son cigare de sa bouche :

— Travail de professionnels.

Toute la première page du Kurier était consacrée à l’assassinat de l’antiquaire. Photos de Julius Zydowski, de la boutique et de la Vierge de Nuremberg.

D’après la presse autrichienne, Julius Zydowski avait été liquidé par un commando israélien traquant les criminels de guerre. À cause de sa conduite dans le ghetto de Varsovie. Le mot NEKAMA, signifiant vengeance en hébreu, et l’étoile de David signaient le crime.

Malko leva les yeux vers le ciel de plomb pesant comme un couvercle. Il allait encore neiger. Il ressentait une étrange impression de malaise.

— Vous pensez vraiment que Julius Zydowski a été liquidé par des Israéliens ? demanda-t-il.

Hank Bower lâcha une bouffée de fumée, replia le journal, faisant apparaître trois dossiers. En provenance de Langley, Varsovie et Moscou.

— Peut-être. Peut-être pas.

— Et l’histoire qu’il m’a racontée hier ? Vous l’avez vérifiée ? Qu’y a-t-il dans son dossier ?

Malko regarda le dossier gris de Julius Zydowski posé sur le bureau du chef d’antenne de la C.I.A., à côté des trois autres.

Tous les indicateurs de la C.I.A. avaient leur dossier, recoupé auprès des divers services de renseignement amis… Bower l’ouvrit et le feuilleta distraitement. Il l’avait regardé avant l’arrivée de Malko.

— Les Allemands ont confirmé que de fin 1941 à janvier 1943, Julius Zydowski a bénéficié d’un Ausweis lui permettant de quitter librement le ghetto. D’autre part, on retrouve son nom dans la liste des gens protégés par le bureau IV D de la Gestapo de la rue Piviak.

— Les Israéliens ont mis du temps à le retrouver, remarqua Malko. Trente-trois ans. Il ne se cachait pourtant pas…

Hank Bower le fixa, les sourcils froncés.

— Je sais, reconnut-il, ce n’est pas clair. Moi aussi, je me demande s’il n’y a pas autre chose.

— Lié à Roman Ziolek ? L’Américain secoua lentement la tête.

— Non. J’ai interrogé Langley, Varsovie et Moscou. Résultat négatif. Nous avons la trace de Ziolek à partir de mai 1941. Ex-étudiant en architecture. Bien entendu, il a abandonné ses études et a rejoint l’Armia Krajowa, l’armée secrète polonaise non communiste, aux ordres du gouvernement polonais en exil à Londres.

— Il grimpe très vite les échelons et devient un des coordinateurs des forces antiallemandes. Pas de contacts spéciaux avec les gens de la « Gwardia Ludowa[15] », les communistes qui dépendaient du Comité de Libération de Lublin. Échappe par miracle aux Allemands. Sa tête est mise à prix 100 000 zlotys par la Gestapo.

— Et du côté soviétique ?

— Rien du tout. Aucune trace, ni au Kominform, ni dans aucun des documents concernant la Résistance polonaise. Au contraire, à plusieurs reprises, Roman Ziolek essaie de convaincre les communistes de collaborer avec l’A.K. La plupart du temps en vain…

— Édifiant, murmura Malko.

— Lorsque l’insurrection de Varsovie éclate, le 1er août 1944, continua l’Américain, Roman Ziolek en est un des chefs. Il y a encore plusieurs témoins vivants pour l’affirmer. Il se bat jusqu’au 14 septembre, dans des conditions effroyables. Ses troupes menaçant d’être écrasées par les Allemands, il franchit la Vistule et va demander du secours aux Russes. Ceux-ci refusent et l’empêchent de repartir à Varsovie. Il n’y reviendra qu’avec l’Armée Rouge, le 17 novembre 1945.

— Ensuite ?

— Pas grand-chose jusqu’en 1970, avoua le chef de la C.I.A. Puis, à partir de là, Roman Ziolek se signale plusieurs fois par des prises de position en faveur d’une Pologne indépendante. Il signe des manifestes antisoviétiques, proteste contre les purges staliniennes. Il est un des animateurs de la « lettre des 120 » réclamant la révision de la Constitution.

— Plusieurs fois, Gierek[16] le met pratiquement en résidence surveillée. Mais on ne peut pas trop y toucher. C’est un héros de la Résistance, un des derniers survivants, un morceau d’histoire.

Malko enregistrait. Quelques flocons vinrent s’écraser contre la fenêtre et fondirent immédiatement. La chaleur était étouffante dans le bureau.

— Qu’est-ce qui l’a fait sortir de son mutisme ? demanda-t-il.

— On ne sait pas exactement, avoua Hank Bower. Mais, d’après notre station de Varsovie, l’audience de Roman Ziolek est énorme. Il est respecté même par les plus staliniens. Jusqu’ici, une centaine de personnes ont accepté de signer son manifeste. Mais il paraît qu’il reçoit des centaines de lettres de soutien, de tous ceux qui n’osent pas encore relever la tête.

— Inutile de vous dire que nous surveillons tout cela de très près. Dès que nous pourrons agir…

— Comme en Hongrie en 1956, murmura Malko.

La C.I.A. avait la spécialité de pousser ses alliés au crime, pour se défiler ensuite sur la pointe des pieds, les laissant se débrouiller.

Hank Bower referma le dossier de Roman Ziolek d’un geste net.

— Les choses ont changé depuis 1956, dit-il. Nos analystes sont persuadés que des gens comme Roman Ziolek peuvent faire bouger les choses. La situation économique est mauvaise en Pologne. Les autorités ne peuvent pas matraquer trop fort. De plus, un homme comme lui est intouchable.

— Espérons qu’il ne lui arrivera pas d’accident.

Hank Bower posa sur Malko un regard totalement dénué d’humour :

— Il est exact que la malchance semble s’acharner contre les contestataires polonais. Deux d’entre eux ont été tués récemment dans des incidents suspects. Mais le président Carter, lors de sa visite en Pologne, a fait comprendre aux dirigeants polonais qu’il ne fallait pas qu’un accident arrive à Roman Ziolek. Que ce serait très mal vu par l’Occident.

— Si ce ne sont pas les Israéliens ni les Polonais, qui ont tué Julius Zydowski ? interrogea Malko.

Hank Bower écrasa le mégot de son cigare dans le cendrier.

— Peut-être ses complices dans le trafic d’objets d’art. Pour un différend financier. Je fais interroger à ce sujet par la station de Varsovie un de ses rabatteurs. Un prêtre défroqué.

Malko regarda la neige qui formait maintenant un mur compact et blanc de l’autre côté de la vitre.

— Julius est mort juste après m’avoir parlé de Roman Ziolek.

Hank Bower eut un mince sourire.

— Il ne faut pas surestimer nos amis de l’Est. Ils n’ont pas le don de double vue. Mais j’aimerais que vous fassiez une enquête approfondie. De mon côté, je vais avoir le dossier de la police autrichienne.

— J’ai un rendez-vous à l’Intercontinental dans une heure, dit Malko.

Dans l’ascenseur, son cerveau n’arrêta pas de fonctionner. Étrange histoire. Elko Krisantem attendait dans la Rolls. Un blizzard glacé soufflait du Danube.

— Nous allons à Johannesstrasse, dit Malko. L’Intercontinental.

* * *

L’homme faisait tourner lentement son verre entre ses doigts. Le visage épais, un peu déplumé, mais des yeux vifs et intelligents. La cinquantaine sportive. Un des correspondants du Mossad[17] à Vienne. Malko attendait anxieusement la réponse à la question qu’il venait de poser.

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15

Garde populaire.

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16

Secrétaire général du P.O.P.U.

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17

Services spéciaux israéliens.