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— Nous ne contrôlons pas tout, reconnut-il, mais je pense que j’aurais entendu parler d’une opération de ce genre…

Un couple passa dans le hall glacial du grand hôtel et il se tut. Malko buvait ses paroles. L’homme qu’il avait en face de lui était au courant de beaucoup de choses. Surtout en ce qui concernait les criminels de guerre.

— Vous avez vérifié chez Wisenthal ? demanda-t-il. L’autre hocha la tête.

— Il n’y a rien. S’il y avait eu quelque chose, il aurait changé de nom.

Malko vida sa Stolichnaya d’un trait et reposa son verre. Son vis-à-vis avait préféré un cognac Gaston de Lagrange, produit de luxe à Vienne.

— Rien d’autre ?

— Oh, reconnut l’homme du Mossad, Julius Zydowski n’était pas un saint. Il a peut-être collaboré avec les Allemands, mais ce n’était pas facile de survivre à Varsovie. Qui sait quels services il a rendus ? Tous ceux qui pourraient nous l’apprendre sont morts.

— Je vous remercie, dit Malko.

Il était à la fois très heureux et déçu. Julius Zydowski pouvait avoir été tué par des associés mécontents. Son interlocuteur se leva. Ils se serrèrent la main et l’homme disparut dans la porte tournante. Mais Malko n’était guère plus avancé. Machinalement, il regagna la Rolls. La tempête de neige redoublait.

— Allons chez Julius, dit-il à Krisantem.

La Rolls avançait à une allure d’escargot. Cela prit plusieurs minutes pour traverser la Kärtnerstrasse pour rejoindre Grabenstrasse. On n’y voyait pas à dix mètres. Les voitures roulaient avec leurs phares. Vienne hivernait. Située dans une cuvette, le brouillard s’y accumulait facilement, retenant toutes les odeurs. Kohlmarktstrasse était toujours aussi calme. Malko descendit et manqua s’étaler sur le verglas.

La police avait accroché un écriteau derrière la vitrine de l’antiquaire. Geschlossen[18] À titre définitif. Julius Zydowski n’avait pas d’héritiers.

* * *

Hank Bower mâchonnait son éternel cigare noirâtre, impénétrable comme d’habitude. En manches de chemise à cause de la chaleur d’enfer régnant dans le bureau. Il écouta d’un air distrait Malko lui rapporter sa conversation avec l’agent du Mossad. Puis il eut un sourire en coin.

— Pendant ce temps-là, j’ai avancé, dit-il. Deux ou trois choses intéressantes.

— Ah, dit Malko. Lesquelles ?

— Vous m’avez bien dit que Julius Zydowski avait l’intention de porter sa boîte à Thora à Jérusalem ?

— C’est ce qu’il m’avait dit, confirma Malko.

Le chef de station de la C.I.A. hocha la tête.

— Bien. Seulement un certain Georges Mayer s’est présenté à la police pour la réclamer. C’est un représentant du Musée Guggenheim de New York. Julius Zydowski la lui avait vendue et avait touché déjà dessus 5 000 dollars…

Un ange passa et s’envola à tire-d’aile vers Jérusalem…

— Julius était une vieille fripouille, remarqua Malko. Cela ne m’étonne pas, mais ne justifie pas son meurtre.

— Bien sûr, fit Hank Bower, seulement il y a autre chose. La fameuse Vierge de Nuremberg avec laquelle on l’a tué. Elle n’avait pas cinq siècles, mais cinq mois. Les experts de la police sont formels… Fabriquée en Pologne par d’habiles faussaires. Dirigés par le prêtre défroqué dont je vous ai parlé. Julius était, semble-t-il, coutumier du fait. 80 % des antiquités qu’il arrivait à faire venir de l’Est étaient des faux… Comme il ne les vendait pas toujours à de doux collectionneurs, cela peut expliquer son meurtre…

Malko écoutait, perplexe.

— Évidemment, reconnut-il. C’est troublant…

— J’ai gardé le meilleur pour la fin, dit suavement Hank Bower. Julius vous a parlé d’une liste remise à la Gestapo. Des chefs de l’A.K. Soi-disant par Roman Ziolek, voulant décapiter pour le compte des communistes la Résistance polonaise non communiste ?

— En effet, dit Malko.

Il sentait que l’Américain allait porter l’estocade finale à son hypothèse.

Hank Bower se rejeta en arrière dans son fauteuil, lissa ses cheveux plats et annonça :

— Eh bien, je viens d’avoir une longue conversation avec les gens de Gehlen, à Pullach[19]. Ils ont récupéré quelques archives du gouvernement général de Pologne. Entre autres, de la Gestapo. La fameuse liste s’y trouve. 27 noms. Savez-vous par qui elle a été transmise à la Gestapo de Varsovie ?

Malko connaissait déjà la réponse.

— Julius ?

— Right ! Julius Zydowski lui-même. Informateur de la Gestapo et fournisseur de la Wehrmacht… Pas mal, non ? Le S.D. de Varsovie a demandé des instructions à Berlin. Parce que le bon Julius demandait cher. 20 000 zlotys par tête et pas 2 000 comme il vous l’avait dit. Berlin a dit oui. L’argent a été versé contre la liste. Mais la Résistance polonaise a eu vent de la trahison et cinq résistants seulement sur 27 ont été arrêtés et fusillés.

— Roman Ziolek n’était pas sur la liste ?

— Les Allemands connaissaient déjà son nom. Il se cachait dans Varsovie. Je crois que votre histoire s’arrête là…

Toute la théorie de Malko s’effondrait.

— Quelle est votre hypothèse ? demanda-t-il. Julius ne m’a pas mentionné cette histoire pour s’amuser.

Hank Bower secoua la tête.

— Sûrement pas. Mon idée est la suivante. Julius a toujours travaillé sur deux tableaux. Pour se livrer à son petit trafic, il avait besoin de la protection du S.B.[20] L’action de Roman Ziolek gêne le S.B. Ils ont eu l’idée de nous intoxiquer via Julius. Belle opération de « désinformation »… Nous convaincre par l’entremise d’un de nos propres informateurs que Ziolek est un traître…

— Oui, évidemment, fit Malko.

Il n’avait rien à redire à la construction logique de Hank Bower. Rien à opposer que son intime conviction.

— Je peux quand même avoir le rapport de police ? demanda-t-il.

L’Américain alluma un nouveau cigare, encore plus horrible que le précédent.

— Ma secrétaire vous en a préparé une photocopie. Ne le laissez pas traîner, bien entendu. Nous ne sommes pas censés l’avoir.

Par moments, il était blessant… Comme tous les fonctionnaires de carrière envers les « free-lance », style Malko. Hank Bower souffrait de n’avoir jamais été invité aux soirées « in » de Vienne, bien qu’étant en poste depuis deux ans déjà…

— Passez demain, dit-il à Malko. Il va falloir songer à remplacer Julius.

* * *

— Hé, Malko !

Sortant du bureau de Hank Bower, Malko se retourna. Une grosse bête au visage couperosé et à l’estomac distendu de buveur de bière fonçait sur lui. Chef-d’œuvre d’élégance discrète avec une gourmette de trois livres au poignet, un costume à carreaux et des chaussures à triple semelle de crêpe…

Il manqua envoyer Malko dans le mur avec une tape dans le dos à tuer un rhinocéros.

— Alors, Ned, dit Malko lorsqu’il eut retrouvé son souffle, comment vont les furets ?

— Mal, fit le dénommé Ned. Ce fumier d’Amiral[21] nous fout à la retraite. Après dix-huit ans de « Company ». Il paraît qu’on coûte trop cher et qu’on ne sert à rien. Je suis viré à la fin de l’année. J’ai plus qu’à aller offrir mes services à la Mafia.

— Ils vous prendront sûrement, dit Malko. Comment va Tom ?

Ned et Tom étaient les meilleurs « furets » de la Technical Division. Passant leur existence à sonder les murs de toutes les stations de la C.I.A. à travers le monde pour s’assurer qu’ils n’étaient pas truffés de micros adverses. Travail fastidieux. Ils se déplaçaient avec deux énormes valises bourrées d’équipement électronique et de petites pioches destinées à défoncer les murailles suspectes. Malko les avait déjà rencontrés à plusieurs reprises, à Langley et au cours de différentes missions.

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18

Fermé.

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19

Les services de renseignement allemands.

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20

Services polonais.

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21

L’amiral Turner, nouveau patron de la C.I.A.