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«Arme au poing, me souffla Sapt. S’il essaye de parler, il faut lui fermer la bouche.»

J’armai mon revolver. Sapt appela le gardien. Le ciel nous protégeait! Une fillette de treize à quatorze ans parut sur le seuil.

«Pardon, monsieur, mais papa, est allé voir le roi, et il a dit que je ne devais pas ouvrir la porte.

– Vraiment, mon enfant! dit Sapt, en mettant pied à terre. Il faut lui obéir. Donnez-moi la clef.»

L’enfant avait la clef dans la main: Sapt la prit, mit à la place une couronne.

«D’ailleurs, j’ai un ordre signé: tu le montreras à ton père. Ordonnance, ouvrez la grille.»

Je sautai à bas de mon cheval. À nous deux, nous parvînmes à ouvrir la lourde grille, nous fîmes sortir nos chevaux, et nous la refermâmes derrière nous.

«Que Dieu protège le gardien! Il ne fera pas bon être à sa place si Michel apprend la chose. Allons, l’ami, un petit temps de galop, mais modéré, tant que nous serons près de la ville.»

Une fois hors de la ville, le danger devenait moins pressant. La campagne était déserte, les maisons fermées, tous les habitants s’étaient attardés en ville à boire et à s’amuser. À mesure que le jour tombait, nous pressions notre allure. La nuit était splendide. Bientôt la lune parut. Nous parlions peu, et seulement pour constater la distance parcourue.

«Je voudrais bien savoir pourtant, dis-je, ce que les dépêches du duc lui annonçaient.

– Je me le demande.»

Nous fîmes halte un moment pour boire et rafraîchir nos chevaux, perdant ainsi une demi-heure. Dans la crainte d’être reconnu, je n’osai pas entrer dans l’auberge, je rentrai à l’écurie avec les chevaux.

Nous nous étions remis en marche, et nous avions fait environ vingt-cinq milles quand Sapt s’arrêta brusquement.

«Écoutez», cria-t-il.

Je tendis l’oreille. Tout là-bas, loin derrière nous, dans le calme du soir – il était environ neuf heures et demie – on entendait distinctement résonner sur la route un bruit de pas de chevaux. Le vent assez fort portait le son. Je lançai un coup d’œil à Sapt.

«En avant!» cria-t-il, mettant son cheval au galop.

Lorsque, un peu plus loin, nous nous arrêtâmes pour écouter de nouveau, nous n’entendîmes plus rien. Puis encore il nous sembla percevoir le même bruit. Sapt sauta à bas de son cheval, et colla son oreille contre terre.

«Ils sont deux, dit-il, à environ un mille derrière nous. Grâce à Dieu, la route n’est pas en ligne droite et nous avons le vent pour nous.»

Nous reprîmes le galop, conservant toujours à peu près notre distance. Nous étions maintenant en pleine forêt de Zenda: le fourré très épais, le sentier qui zigzaguait nous empêchaient de voir ceux qui nous poursuivaient, aussi bien qu’ils nous dérobaient à leurs yeux. Une demi-heure plus tard, nous arrivions à l’embranchement de deux routes. Sapt arrêta son cheval.

«Notre route est sur la droite, fit-il. La route de gauche mène au château. Huit milles environ. Descendez.

– Mais nous allons les avoir sur le dos, m’écriai-je.

– Descendez», répéta-t-il rudement. Et j’obéis.

La forêt est épaisse, même dans la partie qui borde la route. Nous menâmes nos chevaux sous le couvert, couvrîmes leurs yeux de nos mouchoirs, et attendîmes.

«Vous voulez voir à qui nous avons affaire? fis-je à voix basse.

– Oui, et savoir où ils vont», répondit-il. Il tenait son revolver à la main.

Le bruit se rapprochait. La lune, à son plein, brillait d’un vif éclat, argentant la route. Le terrain était très sec; impossible de relever la trace de nos chevaux.

«Les voilà, murmura Sapt.

– C’est le duc!

– Je le pensais», répondit-il.

C’était le duc, en effet, accompagné d’un gros homme que je connaissais bien, Max Holf, frère de Jean, le garde-chasse et valet de chambre de Sa Seigneurie. Maître et valet étaient tout près de nous: le duc arrêta son cheval. Je vis le doigt de Sapt caresser la détente de son revolver.

Il aurait, j’en suis sûr, donné dix ans de sa vie pour pouvoir tirer; c’eût été tout plaisir; il aurait cueilli le duc Noir aussi aisément que j’aurais descendu un poulet dans une basse-cour. Je posai ma main sur son bras. Il me fit de la tête un signe qui me rassura. Il était toujours prêt à sacrifier ses préférences personnelles à son devoir.

«Vaut-il mieux aller au château ou au pavillon? demanda le duc Noir.

– Au château, je crois, Monseigneur, reprit son compagnon; au moins, là, nous saurons la vérité.»

Le duc hésita un instant.

«Il m’avait semblé entendre le bruit de chevaux au galop.

– Je n’ai rien entendu, Monseigneur.

– Il me semble que mieux vaudrait aller au pavillon.

– Méfiez-vous, Monseigneur. Si tout est bien, à quoi bon aller au pavillon? Dans le cas contraire, qui peut nous assurer que ce n’est pas un piège?»

Tout à coup, le cheval du duc se mit à hennir; dans la crainte qu’un des nôtres ne lui répondît, nous jetâmes nos manteaux sur la tête de nos braves bêtes. En même temps, nous tenions nos pistolets braqués sur le duc et son compagnon. S’ils nous avaient découverts, c’étaient des hommes morts.

Michel réfléchit un moment encore, puis s’écria: «Va pour le château!»

Et donnant de l’éperon, il partit au galop. Sapt le suivit longtemps des yeux avec une telle expression de regret et de convoitise que je ne pus m’empêcher de rire. Nous attendîmes environ dix minutes.

«Vous avez entendu? fit Sapt: on a fait dire au duc Noir que tout allait bien.

– Qu’est-ce que cela peut vouloir dire?

– Dieu seul le sait, reprit Sapt, les sourcils froncés. En tout cas, la nouvelle l’a fait accourir en toute hâte.»

Nous remontâmes à cheval, et nous nous remîmes en route aussi vite que l’état de fatigue de nos chevaux nous le permettait.

Pendant ces derniers milles, ni Sapt ni moi n’ouvrîmes la bouche. Nous avions le cœur dévoré d’inquiétude.

«Tout est bien», avait dit le compagnon du duc Noir. Qu’est-ce que cela pouvait vouloir dire? Tout était-il bien pour le roi?

Enfin, nous aperçûmes le pavillon, et, mettant nos chevaux au galop, nous atteignîmes la grille. Silence complet, par un bruit, pas une âme. Nous mîmes pied à terre. Tout à coup Sapt me saisit le bras.

«Regardez», dit-il, en me montrant le sol.

Je regardai et vis cinq ou six mouchoirs déchirés, arrachés, en lambeaux.

«Qu’est-ce que cela signifie? demandai-je.

– Ce sont les mouchoirs avec lesquels j’avais ficelé là vieille, répondit-il. Attachez les chevaux et avançons.»