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Lorsque, après des efforts inouïs, j’arrivai à enfoncer la porte, voici le spectacle que j’eus devant les yeux.

Le roi, dans un coin, pâle, malade, hors d’état de se défendre, les mains agitées d’un tremblement nerveux, riait d’un rire insensé, le rire du délire, et regardait Detchard et le docteur qui se ruaient l’un contre l’autre au milieu de la chambre. Le docteur s’était jeté sur l’assassin; il le garrottait, lui tenait les mains.

Mais Detchard ne tarda pas à se dégager, à secouer son chétif adversaire; au moment où j’entrais, il lui passait son épée au travers du corps.

Alors, se tournant vers moi, il rugit:

«Enfin!»

Et la lutte recommença entre nous, lutte corps à corps, à l’épée, car, j’en rends grâce au ciel, ni lui ni Bersonin n’avaient leurs revolvers. Je les ai trouvés plus tard, tout chargés, sur la cheminée de la première pièce.

Nous étions seul à seul, résolus à mourir ou à donner la mort, silencieux, farouches, implacables. Je me souviens peu des péripéties du combat. Je sais seulement que cet homme était de première force à l’épée, et, comme pour rendre la lutte encore plus inégale, dans une des premières passes, je fus blessé au bras gauche.

Je ne tire aucune gloire de ce combat; je crois, en toute sincérité que j’aurais finalement été vaincu, qu’il m’aurait tué, et aurait achevé son œuvre de boucher, sans un secours imprévu.

J’étais donc acculé au mur lorsque le pauvre roi s’élança sur nous avec un rire de dément, en criant:

«Mais c’est le cousin Rodolphe! le cousin Rodolphe! Attends, cousin, je vais t’aider!»

Et, saisissant une chaise, qu’il pouvait à peine tenir de ses mains débiles, et dont il se fit une espèce de bouclier, il s’avança de notre côté. Je sentis l’espérance renaître dans mon cœur.

«Viens! Viens! criai-je. Jette-la-lui dans les jambes!»

Detchard répliqua par une attaque désespérée. Je crus que c’en était fait de moi.

«Avance, avance donc! criai-je. Viens prendre ta part de la danse!»

Le roi, riant toujours, avançait sa chaise devant lui. Detchard, poussant un formidable juron, se retourna, et tourna son épée contre le roi. Il l’atteignit sans doute, car celui-ci s’affaissa avec un gémissement.

Le misérable alors se jeta de nouveau sur moi; mais, de sa propre main, il avait préparé sa ruine; en se retournant, son pied glissa dans la mare de sang où gisait le cadavre du pauvre médecin. Il chancela et tomba. Je me précipitai, je le saisis à la gorge et, avant qu’il eût pu se reconnaître, je lui plantai mon épée au travers du corps. Il tomba sur le cadavre de sa victime.

Le roi était-il mort? Ce fut ma première pensée. Je courus à lui. Il était étendu, sans connaissance, une blessure béante au front. Mais, avant que j’eusse pu m’assurer s’il respirait encore, je fus troublé par un bruit de chaînes au-dehors. On baissait le pont-levis. J’allais être pris comme dans une souricière, et le roi avec moi.

Que faire? Vivant ou mort, j’abandonnai le roi à la Providence, je pris mon épée et je passai dans la première pièce.

Si c’étaient mes hommes qui avaient baissé le pont-levis, tout était bien. Mes yeux tombèrent alors sur les revolvers chargés, j’en pris un et m’arrêtai un moment pour écouter à la porte de l’autre chambre. Pour écouter, dis-je? Oui, et pour reprendre ma respiration: je déchirai la manche de ma chemise et j’enroulai un morceau de toile autour de mon bras blessé; puis j’écoutai à nouveau. J’aurais donné tout au monde pour entendre la voix de Sapt. Car j’étais abattu, fatigué, épuisé. Et ce chat sauvage de Rupert Hentzau circulait en liberté dans le château! Comme il m’était plus facile de défendre l’étroite porte au sommet de l’escalier que l’entrée de la chambre beaucoup plus large, j’escaladai les marches et me tins immobile, aux écoutes.

Quel était ce bruit? Un étrange bruit assurément, étant donné le lieu et l’heure. C’était le rire, le rire tranquille, méprisant, heureux, de Rupert Hentzau. Je pouvais difficilement comprendre qu’un homme sain d’esprit fût capable de rire à ce moment. Ce rire me fit comprendre que mes gens n’étaient pas arrivés; car ils auraient déjà tué Rupert s’ils eussent été là.

L’horloge sonna deux heures et demie. Deux heures et demie! N’ayant pas trouvé la porte ouverte, nos amis avaient dû, après m’avoir cherché sur la berge, retourner à Tarlenheim porter la nouvelle de la mort du roi et de la mienne. Un moment, je m’appuyai, défaillant, contre la porte. Mon courage m’abandonnait. Mais je me redressai bientôt, en entendant Rupert qui criait avec un accent plein de défi:

«Eh bien! maintenant que le pont est baissé, qui vous empêche d’avancer?… Par Dieu! je donnerais quelque chose pour voir le duc Noir!…, Allons, arrière, valetaille!… Michel, viens donc te battre: tu peux bien te battre pour elle!»

Si le combat devenait un trio, je pouvais encore y faire ma partie… Je fis doucement tourner la clef dans la serrure, et je regardai dehors.

XIX À la poursuite de Rupert de Hentzau

Pendant un instant, il me fut impossible de rien distinguer: l’éclat des lanternes et des torches, massées de l’autre côté du pont, m’éblouissait, m’aveuglait. Cependant, peu à peu, la scène s’éclaira: étrange scène!

Le pont était baissé; de l’autre côté, en face de moi, j’aperçus tout un groupe de serviteurs du duc. Deux ou trois d’entre eux portaient les torches dont la vive lumière m’avait ébloui; trois ou quatre tenaient des piques. Ils étaient pressés les uns contre les autres, dans une attitude menaçante, leurs armes dirigées devant eux. Leurs visages étaient pâles et agités. Au vrai, ils étaient aussi effrayés qu’on peut l’être et ils regardaient avec appréhension du côté d’un homme qui se tenait au milieu du pont, son épée à la main. Rupert Hentzau était en manches de chemise; son plastron blanc était tout taché de sang, mais son aisance, sa pose pleine de souplesse me disaient que lui-même n’avait pas été touché ni même égratigné. Et il était là, hardi, insolent, tenant le pont contre eux et les bravant, ou, plutôt, les sommant de lui envoyer le duc Noir. Et eux, sans armes à feu, tremblaient devant le coquin prêt à tout, et n’osaient l’attaquer. Ils murmuraient de confuses injures, et, au dernier rang, je vis mon ami Jean, appuyé contre le montant de la porte, et étanchant avec un mouchoir le sang qui coulait d’une blessure qu’il avait à la joue.

Par un hasard providentiel, je me trouvais maître de la situation. Cette lâche valetaille, qui ne venait pas à bout de cet homme seul, ne me résisterait pas. Le seul obstacle sérieux, c’était Rupert de Hentzau lui-même. Je n’avais, pour l’envoyer dans l’autre monde rendre compte de ses crimes, qu’à lever mon revolver, et, pourtant, je ne bougeais pas. Pourquoi?

J’avais tué cette nuit-là un homme à la dérobée et un autre par chance plutôt que par adresse – ou du moins je le croyais ainsi. Et maintenant, aussi infâme que fût le personnage que j’avais devant moi, je ne me souciais pas de m’adjoindre à la bande qui allait s’attaquer à lui.

Au sentiment instinctif qui m’empêchait d’agir se joignait aussi une vive curiosité, le désir de savoir ce qui allait se passer.