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– Ah! bah! Mais alors, j’étais entre deux feux.

– Allons, mets pied à terre maintenant, et bats-toi comme un homme.

– Devant une femme, fit-il en montrant la jeune fille. Fi! Votre Majesté n’y pense pas!»

Fou de rage, ne sachant plus ce que je faisais, je m’élançai sur lui. Un moment, il hésita. Serrant les brides, il attendit mon attaque. Je lui courus sus comme un fou; je saisis les rênes et le frappai. Il para le coup et riposta. Alors je reculai pour prendre un nouvel élan; cette fois je l’atteignis au visage, et lui fis une large blessure à la joue, me dérobant avant qu’il eût pu m’atteindre à son tour.

La violence de mon attaque l’avait surpris, troublé; sans cela, il est certain qu’il m’eût tué. J’étais tombé sur les genoux, à bout de force; je pensais qu’il allait m’achever.

Il n’eût pas hésité sans doute, et c’en était fait de moi – et de lui peut-être – lorsqu’à ce moment précis nous entendîmes de grands cris derrière nous, et nous vîmes au bout de l’avenue un cavalier qui arrivait à fond de train. Il avait un revolver à la main. C’était Fritz von Tarlenheim, mon fidèle ami. Rupert le reconnut, et, retenant son cheval prêt à s’élancer sur moi, il lui fit faire volte-face: il se penchait en avant, rejetant ses cheveux d’un geste hautain; il sourit, en me criant:

«Au revoir, Rodolphe Rassendyll!»

Et, la joue ruisselante de sang, mais la lèvre souriante, Rupert me salua: il salua aussi la paysanne qui s’était approchée en tremblant de tous ses membres et il partit au galop en faisant de la main un geste d’adieu à Fritz, qui répondit par un coup de feu.

La balle fut bien près de faire son œuvre; elle alla frapper l’épée qu’il tenait à la main, et qu’il lâcha en poussant un juron.

Je le suivis longtemps des yeux, le long de l’avenue verte; il s’en allait tranquille, en chantant. Bientôt les profondeurs de la forêt l’enveloppèrent et nous le perdîmes de vue. Il avait disparu, indifférent et circonspect, gracieux et pervers, beau, couard, vil et indompté.

D’un geste de rage, je jetai mon épée loin de moi, faisant à Fritz signe de le suivre. Mais Fritz arrêta son cheval, sauta à terre, courut à moi, s’agenouilla et me prit dans ses bras. Il était temps: ma blessure s’était rouverte, et mon sang coulait de nouveau abondamment, rougissant l’herbe fraîche.

«Donne-moi ton cheval», fis-je en me redressant et en me dégageant.

Une rage folle me prêtait des forces. Je fis encore quelques pas, puis je tombais vaincu, le visage contre terre. Fritz courut à moi.

«Fritz, murmurai-je…

– Ami, cher ami, disait-il.

– Et le roi? Vit-il?»

Il prit son mouchoir, essuya mes lèvres, se pencha et me baisa au front.

«Oui, grâce au dévouement du plus loyal gentilhomme qu’il y ait en ce monde, dit-il doucement, le roi est vivant.»

La petite paysanne était près de nous, pleurant de frayeur et les yeux écarquillés d’admiration, car elle m’avait vu à Zenda; et tel que j’étais, pâle, mouillé, couvert de boue, ensanglanté, n’étais-je pas le roi?

À la nouvelle que le roi était vivant, j’essayai de pousser un hourra, mais mes forces me trahirent.

J’étais sans voix; j’appuyai ma tête sur l’épaule de Fritz et je fermai les yeux en laissant échapper un faible gémissement; puis, craignant peut-être que Fritz ne me fît injure en pensée, je rouvris les yeux et j’essayai de nouveau de crier:

«Hourra!»

Mais je ne pus, j’étais très las… j’avais froid… je me serrai contre Fritz pour me réchauffer, mes yeux se fermèrent. Je m’endormis.

XX Le prisonnier du château et le roi

Afin que l’on se rende un compte bien exact des événements qui venaient de s’accomplir au château de Zenda, il est nécessaire d’ajouter au récit de ce que j’avais fait et vu par moi-même en cette nuit mémorable ce que j’appris plus tard par Fritz et par Mme de Mauban.

On verra par le récit de cette dernière comment le cri qu’elle devait pousser, et qui devait nous servir de signal, et la petite scène que nous avions préparée, scène qui, dans ma pensée, n’était que simulée, éclatant trop tôt, avaient tout compromis, mais nous avaient pourtant sauvés en fin de compte.

La malheureuse femme, entraînée, je crois, par le sentiment très sincère qui l’attachait au duc de Strelsau, l’avait suivi en Ruritanie. Le duc était un homme très violent, très entier, mais, au fond, toujours maître de lui. Mme de Mauban, très éprise, n’avait pas tardé à souffrir d’autant plus qu’elle s’était bientôt aperçue qu’elle avait une rivale redoutable en la personne de la princesse Flavie.

Désespérée, tout lui parut bon pour conserver son pouvoir sur le duc. C’est ainsi que lorsque le duc partit pour Zenda, elle l’accompagna, se laissa entraîner et se trouva liée à sa fortune. Toutefois, si attachée qu’elle fût au duc, elle ne consentit pas à m’attirer dans le piège où je devais trouver la mort; d’où les lettres d’avertissement que j’avais reçues. Quant aux lignes envoyées par elle à Flavie, étaient-elles inspirées par de bons ou de mauvais sentiments, par la jalousie ou la pitié? Je ne sais, mais ici encore elle nous servit.

De ce jour, elle fut avec nous. Ce qui ne l’empêchait pas, c’est elle-même qui me l’a dit, d’aimer toujours Michel. Elle espérait obtenir du roi, en récompense de ses services, sinon le pardon du duc, au moins sa vie.

Elle ne souhaitait pas la victoire du duc, car elle abhorrait son crime, et plus encore ce qui en devait être la récompense en cas de succès, son mariage avec sa cousine, la princesse Flavie.

À Zenda, d’autres éléments vinrent encore se mêler à l’action et la compliquer, entre autres les sentiments de Rupert pour Antoinette. Cette nuit même, Rupert, à l’aide d’une seconde clef, avait fait irruption tout d’un coup dans la chambre d’Antoinette, qu’il avait l’intention, sans doute, d’entraîner hors du château.

Aux cris de la pauvre femme, le duc était accouru, et là, dans l’obscurité, les deux hommes s’étaient battus.

Rupert, après avoir blessé mortellement son maître, avait sauté par la fenêtre, ainsi que je l’ai déjà dit, au moment où les domestiques accouraient avec des torches. C’est le sang du duc qui, en rejaillissant, avait inondé la chemise de son adversaire; mais Rupert, ne sachant pas qu’il avait tué Michel, avait eu hâte de mettre fin au combat.

Je ne sais trop ce qu’il comptait faire des trois survivants de sa bande; peut-être n’y avait-il même pas pensé; la mort de Michel, en tout cas, n’était point préméditée.

Antoinette, restée seule avec le duc, avait en vain essayé d’arrêter le sang qui s’échappait de sa blessure; il avait rendu le dernier soupir entre ses bras.

Affolée de douleur, et entendant Rupert accabler d’injures et de railleries les serviteurs du duc, elle était sortie avec l’intention de venger sa mort. Elle ne m’avait pas aperçu; elle ne me vit que lorsque je sautai dans le fossé, à la poursuite de Rupert.

C’est à ce moment que mes amis entrèrent en scène.

Ils étaient arrivés devant le château à l’heure dite, et avaient attendu devant la porte; mais Jean, entraîné avec les autres au secours du duc, n’était pas venu l’ouvrir; il avait pris part au combat contre Rupert, faisant preuve d’une bravoure d’autant plus grande qu’il voulait prévenir tout soupçon, et il avait été blessé, dans l’embrasure de la fenêtre. Sapt avait attendu jusqu’à deux heures et demie; puis, se conformant aux ordres reçus, il avait envoyé Fritz en reconnaissance sur les bords du fossé.