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– Quelle sottise dis-tu, enfant? reprit le vieux Strakencz. Le roi est blessé au château de Zenda.

– Oui, monsieur, il est blessé, je le sais; mais il est ici avec le comte Fritz.

– Comment le roi pourrait-il être en deux endroits à la fois, à moins qu’il n’y ait deux rois? fit Flavie étonnée. Et comment se trouverait-il ici?

– Il poursuivait un seigneur, Madame: ils se sont battus devant moi jusqu’au moment où le comte Fritz est arrivé, à preuve que l’autre seigneur m’a pris le cheval que je montais, et est parti avec. Je vous jure, Madame, que le roi est là avec le comte Fritz. Y a-t-il dans toute la Ruritanie un homme qu’on puisse confondre avec le roi?

– Non, mon enfant, dit Flavie doucement (je ne le sus qu’après) et, en souriant, elle lui remit une pièce d’or. En tout cas, j’irai, et je verrai ce gentilhomme.»

Et elle se leva pour descendre de voiture. Au même moment, Sapt arrivait à cheval, venant du château; en apercevant la princesse, il fit contre fortune bon cœur; il lui cria, de l’air le plus aimable qu’il pût prendre, que le roi était bien soigné et hors de danger.

«Au château? fit-elle.

– Où pourrait-il être, Madame? répondit-il en saluant.

– Mais cette enfant prétend qu’il est là, dans la forêt, avec le comte Fritz.»

Sapt regarda l’enfant en souriant.

«Bah! pour une jeunesse comme cela, tout beau garçon est un roi.

– Je vous assure que celui que j’ai vu ressemble au roi comme une goutte d’eau ressemble à une autre goutte d’eau», cria l’enfant ébranlée, mais tenant encore à son dire.

Sapt se détourna vivement. Le visage du vieux maréchal était plein d’interrogation, le regard de Flavie non moins éloquent. Le soupçon a des ailes!

«Je vais aller voir par moi-même, dit Sapt vivement.

– Je vous accompagnerai, fit la princesse.

– Venez seule, alors, de grâce!»

Et la princesse, obéissant à l’étrange prière qu’elle lisait dans les yeux du vieux soldat, pria le maréchal et sa suite de les attendre.

Sapt et la princesse se dirigèrent à pied vers l’endroit où nous étions cachés. Sapt avait fait signe à la petite paysanne de rester à distance. En les voyant venir, je me laissai tomber sur le gazon et cachai mon visage entre mes mains. Comment trouver la force de la regarder?

Fritz, agenouillé auprès de moi, me soutenait.

«Parlez bas, quoi que vous disiez!» suppliait Sapt à l’oreille de la princesse.

«C’est lui! Êtes-vous blessé?»

Elle s’était jetée à genoux, à côté de moi, cherchant à écarter mes mains; mais je tenais obstinément mes yeux baissés.

«C’est bien le roi! Dites-moi, colonel, quelle est cette plaisanterie? Je n’en comprends pas le sel.»

Aucun de nous ne répondait. Nous restions muets; enfin Sapt, n’y tenant plus:

«Non, Madame, dit-il d’une voix rauque, ce n’est pas le roi.»

Elle se recula, et, d’un ton indigné:

«Croyez-vous, dit-elle, que je puisse ne pas reconnaître le roi?

– Ce n’est pas le roi», répéta le vieux Sapt.

Fritz fondit en larmes. Ces larmes éclairèrent la princesse.

«Mais je vous dis que c’est le roi, répétait-elle, inquiétée. Je reconnais son visage, sa bague… ma bague!…

– Madame, reprit le vieux Sapt, le roi est au château. Ce gentilhomme…

– Regardez-moi, Rodolphe, regardez-moi, criait-elle en me prenant la tête dans ses deux mains. Pourquoi leur permettez-vous de me torturer ainsi? Dites-moi ce que cela signifie.»

Alors je parlai, la regardant dans les yeux:

«Dieu me pardonne, Madame! Non, je ne suis pas le roi.»

Elle me regarda comme jamais homme, je crois, ne fut regardé. Son regard me brûlait.

Et moi, redevenu muet, je vis dans ses chers yeux naître et grandir le doute, puis l’horreur.

Elle se tourna vers Sapt, vers Fritz, enfin vers moi; puis, tout à coup, elle se jeta dans mes bras, et, moi, avec un grand cri, je la serrai contre mon cœur. Sapt posa la main sur mon bras.

Je le regardai, et, étendant la princesse évanouie sur le gazon, je m’éloignai en lui jetant un dernier regard et en maudissant le ciel.

Pourquoi Dieu n’avait-il pas permis, au moins, que l’épée de Rupert m’eût sauvé de ce martyre!

XXI La fin d’un rêve. – Dernier adieu

Il faisait nuit. J’étais dans le cachot, au château de Zenda, où le roi avait passé de si tristes semaines. Le grand tuyau que Rupert de Hentzau avait surnommé l’échelle de Jacob avait été enlevé, et la lumière du jour, au-dessus de l’étang, venait en éclairer l’obscurité. Tout était calme; les bruits et les cris de combat s’étaient évanouis.

J’avais passé la journée caché dans la forêt, après que Fritz m’avait entraîné, laissant Sapt avec la princesse. À la tombée de la nuit, bien emmitouflé, on m’avait ramené au château.

Bien que trois hommes fussent morts dans cette cellule, dont deux de ma main, je n’avais pas l’imagination troublée par des fantômes; je m’étais jeté sur un lit de camp, et je regardais couler l’eau des fossés.

Jean, dont la blessure avait été sans gravité, m’apporta à souper et me donna des nouvelles: le roi était mieux; il avait vu la princesse et avait eu un long entretien avec Sapt et Fritz, à la suite duquel le maréchal Strakencz était parti pour Strelsau.

On avait procédé à la cérémonie de la mise en bière du duc Noir. Antoinette de Mauban le veillait. Les chants funèbres, les hymnes, les voix des prêtres, à la chapelle, venaient jusqu’à moi.

Au-dehors, d’étranges rumeurs circulaient. Les uns disaient que le prisonnier de Zenda était mort; d’autres qu’il avait disparu, mais qu’il était bien vivant; d’autres encore, que c’était un ami du roi qui lui avait rendu des services lors d’une aventure en Angleterre; d’autres enfin, que c’est lui qui avait découvert les projets du duc et que c’est pour cette raison qu’il avait été enlevé par lui. Une ou deux personnes plus clairvoyantes secouaient la tête et se contentaient de dire qu’elles ne diraient rien, et qu’on ne saurait pas grand-chose tant que le colonel Sapt se tairait.

Alors je bavardai avec Jean, puis je le renvoyai et demeurai seul, songeant non pas à l’avenir, mais – comme un homme est porté à le faire lorsque des aventures émouvantes viennent de lui arriver – me remémorant les événements de ces dernières semaines et admirant l’étrange façon dont ils s’étaient dénoués. Et au-dessus de moi, dans le silence de la nuit, j’entendais les drapeaux claquant le long de leurs hampes, car le pavillon du duc Noir était maintenant en berne et, par-dessus, flottait l’étendard royal de Ruritanie. Une habitude est si vite prise que je dus faire un effort pour me souvenir que cet étendard ne flotterait plus longtemps pour moi.

Fritz von Tarlenheim entra. J’étais alors près de la fenêtre; la vitre était ouverte et, machinalement, je grattais du doigt le ciment de la maçonnerie qui avait soutenu l’échelle de Jacob.

Il me dit brièvement que le roi désirait me parler et, tous deux, nous traversâmes le pont-levis pour nous rendre dans la chambre qui était autrefois celle du duc Noir. Le roi était couché; notre médecin de Tarlenheim était auprès de lui, et il me recommanda à voix basse de ne pas rester trop longtemps. Le roi me prit la main, qu’il serra. Fritz et le docteur s’étaient retirés au fond de la chambre.