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«Votre bague restera toujours à mon doigt, votre cœur dans mon cœur; mais il faut que vous partiez et que je reste. Et peut-être faudra-t-il que je me résolve à une chose dont la seule pensée me tue.»

Je compris ce qu’elle voulait dire et un frisson me parcourut tout entier. Mais je ne pouvais pas m’évanouir devant elle. Je me levai et pris sa main.

«Vous ferez ce que vous voudrez ou ce que vous devrez, dis-je, et je remercie Dieu qu’il dévoile ses desseins à un être tel que vous. Ma croix sera moins lourde, car votre bague restera toujours à mon doigt, votre cœur dans mon cœur. Et maintenant, que Dieu vous protège, bien-aimée.»

Alors, un chant triste frappa nos oreilles. À la chapelle, les prêtres disaient l’office pour les âmes de ceux qui avaient péri en cette aventure. Ils semblaient chanter le requiem de notre bonheur perdu. La douce, tendre, douloureuse musique s’éleva et s’évanouit, comme nous étions l’un près de l’autre, ses mains dans mes mains.

«Ma reine et ma beauté! dis-je.

– Mon vrai chevalier! dit-elle. Peut-être ne nous re-verrons-nous jamais!»

Au moment de la quitter, je l’entendis qui répétait mon nom, toujours mon nom, jusqu’à ce que je l’eusse perdue de vue.

Je gagnai rapidement le pont où je trouvai Fritz et Sapt qui m’attendaient. Ils me firent changer de costume puis, le visage enveloppé, je montai à cheval et nous gagnâmes une petite station de chemin de fer isolée sur la frontière de Ruritanie.

Nous y arrivâmes à l’aube: mes deux amis me promirent de m’envoyer des nouvelles; le vieux Sapt lui-même semblait attendri; quant à Fritz, il ne pouvait retenir ses larmes. J’écoutais comme dans un rêve tout ce qu’ils me disaient.

«Rodolphe! Rodolphe! Rodolphe!» ces mots bourdonnaient encore à mes oreilles, hymne de douleur et d’amour. À la fin ils comprirent que je ne pouvais les entendre et nous marchâmes quelque temps en silence, jusqu’à ce que Fritz me toucha le bras, et je vis au loin la fumée bleue de la locomotive. Alors, je leur tendis à chacun une main.

«Je me sens bien lâche, ce matin, fis-je, en souriant. Mais nous avons prouvé que nous savions avoir du courage quand c’était nécessaire, n’est-ce pas?

– Nous avons déjoué les projets du traître et mis le roi sur le trône.»

Tout à coup, et, avant même que j’aie pu deviner son intention et l’arrêter, Fritz se découvrit, et, s’inclinant comme il en avait l’habitude, me baisa la main. Comme je la retirais vivement, il essaya de rire.

«Le ciel se trompe parfois; il ne fait pas rois ceux qui méritent le plus de l’être.»

Le vieux Sapt tortillait sa moustache d’une main, tandis que, de l’autre, il me serrait étroitement le bras.

«Dans les affaires de ce monde, reprit-il, le diable ne perd jamais tout à fait ses droits.»

À la gare, on dévisagea curieusement l’homme au visage enveloppé, mais nous ne fîmes pas attention aux regards des curieux. Je me tenais auprès de mes deux amis et attendais que le train fût à quai.

Alors, nous nous serrâmes encore la main, et je montai en wagon; puis, sans rien dire, tous deux, cette fois, et, en vérité, de la part de Sapt, c’était assez étrange, ils se découvrirent et attendirent, tête nue, que le train eût disparu. En sorte qu’on crut que c’était quelque personnage considérable qui, pour son plaisir, prenait incognito le train dans une petite station presque déserte, tandis que ce n’était en réalité que Rodolphe Rassendyll, le cadet d’une excellente maison anglaise, mais n’ayant ni fortune, ni situation, ni rang. Les curieux eussent été bien désappointés par cette révélation. Et, s’ils avaient tout su, comme leurs regards eussent été plus aiguisés encore! Car, quoi que je dusse être désormais, pendant trois mois j’avais été roi, ce qui, s’il n’y a pas lieu d’en concevoir un extrême orgueil, était au moins une expérience intéressante à tenter. Sans doute j’en avais attendu plus qu’il n’était sage car, des tours de Zenda d’où le train s’éloignait, jusqu’à mes oreilles et dans mon cœur, ce cri ne continuait-il pas à retentir à travers les airs: «Rodolphe! Rodolphe! Rodolphe!»

XXII Pour conclure

Les détails de mon voyage pour rentrer en Angleterre sont, je crois, de peu d’intérêt.

J’allai directement en Tyrol, où je passai une quinzaine de jours paisibles.

Dès que je fus arrivé à destination, j’expédiai une innocente carte postale à mon frère disant que j’étais en bonne santé, et annonçant mon prochain retour. Cette lettre devait calmer les inquiétudes de ma famille et mettre un terme à l’enquête du préfet de Strelsau. Je laissai pousser mes moustaches qui étaient fort présentables lorsque j’arrivai à Paris, où je débarquai chez mon ami George Featherly.

Mon entrevue avec lui fut surtout remarquable par le nombre de mensonges douloureux, mais nécessaires, que je dus faire. Je le plaisantai sans miséricorde, lorsqu’il me confia qu’il n’avait pas douté un seul instant que je n’eusse suivi Mme de Mauban à Strelsau.

Mme de Mauban, me dit-il, était de retour à Paris, où elle vivait dans la retraite, ce qui, d’ailleurs, n’étonnait personne: le monde entier n’avait-il pas appris la trahison et la mort du duc Michel?

Toutefois George ne manqua pas de se moquer un peu de Bertram Bertrand, car, disait-il malicieusement, «un poète vivant vaut mieux qu’un duc mort».

George me régala de ce qu’il appelait des «informations politiques» (connues des seuls diplomates) ayant trait aux événements de Ruritanie, complots, contre-complots, etc. Dans son opinion, ajouta-t-il, avec un signe de tête connaisseur, il y avait beaucoup plus à dire sur le duc Michel que ce qu’en connaissait le public. Et il me laissa entendre qu’un bruit, qu’il avait des raisons de croire bien fondé, s’était répandu, à savoir que le mystérieux prisonnier de Zenda, à propos duquel on avait fait couler tant d’encre dans les journaux, n’était pas le moins du monde un homme (j’eus grand-peine, je l’avoue, à garder mon sérieux), mais une femme déguisée en homme et que la rivalité des deux frères, au sujet de cette belle inconnue, était le fond même de leur querelle.

«C’était peut-être Mme de Mauban elle-même?

– Non, reprit George, d’un ton décidé. Antoinette de Mauban, au contraire, était jalouse de cette femme, et elle a vendu le duc au roi pour le perdre. La preuve en est le changement survenu dans les sentiments de la princesse Flavie à l’égard du roi. Elle est maintenant aussi froide, aussi réservée qu’elle s’était montrée tendre et affectueuse.»

Ici, je coupais court aux confidences de George en changeant brusquement le sujet de la conversation. Mais, si les diplomates n’en savent jamais plus que ce qu’il m’avait raconté jusque-là, ils m’apparaissent en revanche comme doués d’une extraordinaire imagination.

Pendant mon séjour à Paris, j’écrivis à Antoinette, mais je ne me risquai pas à aller la voir. En retour, je reçus la lettre la plus touchante: «La générosité du roi, disait-elle, sa bonté autant que l’intérêt qu’il me gardait répondaient de son absolue discrétion.» Elle me faisait part, en même temps, de son intention de se retirer à la campagne et de vivre dans la retraite.