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Une minute plus tard, tout était sens dessus dessous. Ceux-ci se précipitaient tête nue, ceux-là disparaissaient après m’avoir salué. L’agitation régnait partout: dans les casernes, à la cathédrale, chez le duc Michel. Comme j’avalais, au buffet, les dernières gouttes de mon café, les cloches de la ville se mirent à sonner, et la fanfare d’une musique militaire, les cris et les vivats de la foule arrivèrent jusqu’à moi.

Le roi Rodolphe était dans sa bonne ville de Strelsau! On entendait les cris de: «Vive le roi!»

La vieille moustache grise de Sapt se tordit: il souriait. «Que Dieu les protège l’un et l’autre! me souffla-t-il à l’oreille. Courage, mon enfant!»

Et je sentis sa main qui pressait mon genou.

V Ma première journée royale

Escorté de Fritz von Tarlenheim et du colonel Sapt, qui ne me quittait pas plus que mon ombre, je sortis du buffet et m’avançai sur le quai. J’avais eu soin, dernière précaution, de m’assurer que mon revolver était à portée de ma main, et que mon épée jouait librement dans le fourreau.

Un groupe de jeunes officiers et les plus hauts dignitaires du royaume m’attendaient. À leur tête était un grand vieillard, la poitrine chamarrée de décorations, l’air d’un vieux militaire. Il portait le grand cordon, jaune et rouge, de la Rose Rouge de Ruritanie, qui, par parenthèse, ornait ma très indigne personne.

«Le maréchal Strakencz», me souffla Sapt à l’oreille. Je sus ainsi que j’étais en présence du plus illustre vétéran de l’armée ruritanienne.

Derrière le maréchal se tenait un petit homme sec, en grande robe à revers cramoisis.

«Le chancelier du royaume», murmura Sapt.

Le maréchal, après m’avoir souhaité la bienvenue en quelques mots pleins de loyalisme, me présenta les excuses du duc de Strelsau.

Le duc, paraît-il, pris d’une indisposition subite, n’avait pu venir à la gare. Mais il demandait avec insistance la permission d’accompagner le roi à la cathédrale. J’exprimai mes regrets, acceptant avec la plus exquise bienveillance les excuses que me transmettait le maréchal. Je reçus ensuite les compliments d’un très grand nombre de hauts personnages. Personne ne manifestant la moindre surprise ni le moindre soupçon, je repris confiance, et mon cœur cessa de battre d’une façon désordonnée. Fritz, toutefois, était encore très pâle, et la main qu’il tendit au vieux maréchal tremblait comme la feuille.

Bientôt on forma le cortège, et on se dirigea vers la sortie de la gare.

Je montai à cheval, le vieux maréchal me tenant l’étrier. Les hauts fonctionnaires civils regagnèrent leurs voitures, et moi, je commençai au pas, à travers les rues, une longue promenade triomphale, ayant à ma droite le maréchal et à ma gauche Sapt, qui, en sa qualité de premier aide de camp, avait droit à cette place d’honneur.

La ville de Strelsau est mi-partie ancienne, mi-partie moderne. De larges boulevards, récemment percés, des quartiers neufs, peuplés de riches hôtels, enserrent les pittoresques et misérables petites rues de la vieille ville. Ces divisions géographiques, si je puis dire, correspondent, ainsi que Sapt me l’avait expliqué, à des divisions sociales plus importantes pour moi. La ville neuve est toute dévouée au roi, tandis que le duc Michel de Strelsau est l’espérance, le héros, le favori de la vieille ville.

Ah! le brillant défilé tout le long des grands boulevards jusqu’au large square où s’élève le palais royal. J’étais là au milieu de mes plus fidèles partisans.

Toutes les maisons étaient tendues de rouge et ornées d’oriflammes et de devises; les rues étaient garnies de bancs et de chaises en gradins.

Je passais, saluant ici, saluant là, sous une avalanche de vivats et de bénédictions. On criait, on agitait des mouchoirs; les balcons regorgeaient de femmes en toilettes claires qui battaient des mains, s’inclinaient et me regardaient avec les plus doux yeux du monde. Soudain, une pluie de roses rouges m’inonda, et l’une des fleurs, un frais bouton, s’étant logée dans la crinière de mon cheval, je la pris et la passai dans une des boutonnières de mon uniforme.

Le maréchal souriait sous sa grosse moustache; mais, bien que j’eusse plus d’une fois jeté un regard de son côté, il m’avait été impossible de deviner si ses sympathies étaient pour moi.

«La Rose Rouge, la Rose Rouge des Elphberg, maréchal!» m’écriai-je gaiement.

Je dis gaiement, si étrange que doive paraître ce mot dans ma bouche à cette heure.

La vérité, c’est que j’étais enivré d’air, grisé d’enthousiasme. Ma parole, je me croyais vraiment roi, et, le regard triomphant, je levai les yeux vers le balcon chargé de femmes d’où pleuvaient les fleurs. Je tressaillis… Que vis-je là, me regardant? Ma compagne de voyage, Antoinette de Mauban, très belle, avec un sourire plein d’orgueil sur les lèvres! Elle aussi, elle eut un brusque haut-le-corps, et je vis ses lèvres qui remuaient, tandis qu’elle se penchait pour me regarder.

Appelant à mon secours tout mon sang-froid, je la regardai droit dans les yeux, tandis que de la main je cherchais mon revolver. Que me serait-il arrivé si elle avait crié tout à coup:

«Cet homme est un imposteur; il n’est pas le roi!»

Nous passâmes, et le maréchal, se retournant sur sa selle, fit un geste de la main. Les cuirassiers se serrèrent autour de nous, afin de tenir la foule à distance.

Nous quittions le quartier habité par mes partisans pour entrer sur le domaine du duc Michel, et ce mouvement, commandé par le maréchal, disait, plus, clairement que bien des paroles, quels pouvaient être les sentiments de la population de cette partie de la ville. Mais, puisque le hasard m’avait fait roi, c’était bien le moins que je jouasse mon rôle galamment.

«Pourquoi ce changement, maréchal?» demandai-je.

Le maréchal mordillait sa moustache blanche.

«C’est plus prudent, Sire», murmura-t-il.

J’arrêtai mon cheval.

«Que ceux qui sont en avant, dis-je, continuent jusqu’à ce qu’ils soient à cinquante mètres environ. Quant à vous, maréchal, à vous, colonel Sapt, et à vous, messieurs, attendez que je me sois également avancé de cinquante mètres. Veillez à ce que personne ne franchisse cette distance. Je veux que mon peuple voie que son roi a confiance en lui.»

Sapt posa la main sur mon bras comme pour m’arrêter.

Je me dégageai.

Le maréchal hésitait.

«Ne me suis-je pas fait comprendre?» demandai-je.

Comme à contrecœur et tout en mordillant sa moustache, il donna les ordres. Le vieux Sapt souriait dans sa barbe, en secouant la tête… Si j’avais été tué en plein jour dans les rues de Strelsau, la situation de Sapt eût été critique.

J’ai oublié de dire, je crois, que mon uniforme était entièrement blanc, brodé d’or. Je portais un casque d’argent, damasquiné d’or, et le large ruban de la Rose faisait bien en sautoir sur ma poitrine. Ce serait désobligeant pour le roi de faire de la modestie, et de ne pas avouer que je faisais fort belle figure. Ce fut l’avis du peuple, car, lorsque seul, à cheval, je m’avançai à travers les rues étroites, sombres et maigrement décorées de la vieille ville, il y eut d’abord un murmure, puis des bravos. Une femme, à une fenêtre, au-dessus d’un restaurant, lança le vieil adage locaclass="underline" «Il est roux, c’est un bon!»