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«Vous avez entendu? fit Sapt: on a fait dire au duc Noir que tout allait bien.

– Qu’est-ce que cela peut vouloir dire?

– Dieu seul le sait, reprit Sapt, les sourcils froncés. En tout cas, la nouvelle l’a fait accourir en toute hâte.»

Nous remontâmes à cheval, et nous nous remîmes en route aussi vite que l’état de fatigue de nos chevaux nous le permettait.

Pendant ces derniers milles, ni Sapt ni moi n’ouvrîmes la bouche. Nous avions le cœur dévoré d’inquiétude.

«Tout est bien», avait dit le compagnon du duc Noir. Qu’est-ce que cela pouvait vouloir dire? Tout était-il bien pour le roi?

Enfin, nous aperçûmes le pavillon, et, mettant nos chevaux au galop, nous atteignîmes la grille. Silence complet, par un bruit, pas une âme. Nous mîmes pied à terre. Tout à coup Sapt me saisit le bras.

«Regardez», dit-il, en me montrant le sol.

Je regardai et vis cinq ou six mouchoirs déchirés, arrachés, en lambeaux.

«Qu’est-ce que cela signifie? demandai-je.

– Ce sont les mouchoirs avec lesquels j’avais ficelé là vieille, répondit-il. Attachez les chevaux et avançons.»

La porte s’ouvrit sans résistance et nous nous trouvâmes dans la salle témoin de la scène de la veille. Les bouteilles vides jonchaient encore le sol, la table était restée servie. «Avançons», répétait Sapt, que son calme commençait à abandonner.

Nous nous élançâmes vers les caves. La porte de la cave au charbon était toute grande ouverte.

«Ils ont déniché la vieille», fis-je.

Nous étions maintenant en face de la cave au vin. Elle était fermée, et paraissait de tout point dans l’état où nous l’avions laissée le matin même.

«Allons, ça va bien», fis-je.

Au même moment, Sapt poussa un formidable juron. Il était pâle comme la mort et, du doigt, me montrait le plancher.

Sous la porte, un mince filet rouge avait coulé, s’étendant jusque dans le passage où il avait séché. Sapt, défaillant, s’était adossé au mur opposé; moi, j’essayai d’ouvrir la porte; elle était fermée a clef.

«Où est Joseph? murmura Sapt.

– Où est le roi?» répondis-je.

Sapt tira sa gourde et la porta à ses lèvres, tandis que je courais à la salle à manger où je saisis un lourd tisonnier avec lequel je m’attaquai à la porte.

Affolé, surexcité, je frappai à grands coups; je déchargeai même deux coups de revolver dans la serrure. Enfin, la porte céda.

«Une lumière!» criai-je.

Mais Sapt restait à demi pâmé contre la muraille. Le pauvre homme était bien plus ému que moi, cela va sans dire, étant passionnément attaché à son maître. Il n’avait pas peur pour lui-même, car personne ne le vit jamais avoir peur; mais qu’allions-nous trouver dans cette cave noire? Cette pensée aurait suffi à faire pâlir le plus brave.

J’allai chercher un des candélabres dans la pièce voisine et je l’allumai; en revenant, je sentais tout au long du chemin la cire chaude qui tombait goutte à goutte sur ma main tremblante; en sorte que je ne pouvais guère mépriser le colonel Sapt pour l’agitation où il se trouvait… J’arrivai pourtant à la porte de la cave. La tache rouge, tournant de plus en plus au brun sombre, s’étendait à l’intérieur. J’avançai de deux mètres environ, tenant le flambeau au-dessus de ma tête. Je vis les casiers à vins pleins de bouteilles, je vis des araignées courant le long des murs; je vis aussi une couple de flacons vides gisant sur le sol, et c’est alors que, dans un coin, j’aperçus le corps d’un homme étendu sur le dos, les bras en croix, une horrible blessure à la gorge. Je m’avançai, et je m’agenouillai auprès du cadavre, priant Dieu pour l’âme du serviteur fidèle, car c’était le corps du pauvre Joseph, qui s’était fait tuer en défendant le roi.

Quelqu’un s’appuyait lourdement sur mon épaule; je me retournai, et j’aperçus dans l’obscurité les yeux de Sapt qui brillaient d’un éclat étrange.

«Le roi? Oh! mon Dieu, le roi?» murmurait-il d’une voix étranglée.

J’élevai encore le flambeau, éclairant ainsi les parties les plus sombres de la cave.

«Le roi n’est plus ici», répondis-je.

VII Bataille! – Le roi a disparu

J’entourai Sapt de mes bras – il se soutenait à peine, et je le portai hors de la cave, dont je tirai sur nous la porte brisée. Pendant dix minutes, et même plus, nous demeurâmes assis dans la salle à manger sans proférer une parole. Au bout de ce temps, le vieux Sapt se frotta vigoureusement les yeux, poussa un grand soupir, et reprit possession de lui-même.

Comme la pendule sonnait une heure, il frappa violemment le plancher du talon de sa botte, en s’écriant:

«Ils se sont emparés du roi!

– Pardieu! c’était ce que voulait dire le fameux «tout est bien» du duc Noir. Qu’a-t-il dû penser, ce matin, quand il a entendu les salves qui saluaient l’entrée du roi à Strelsau? Quand croyez-vous que lui soit arrivée la dépêche?

– Elle a dû être expédiée dans la matinée, dit Sapt, avant que la nouvelle de votre arrivée à Strelsau fût parvenue à Zenda.

– Et il a eu ce poids sur le cœur toute la journée! m’écriai-je. Sur mon honneur, je ne sais lequel a eu la plus rude besogne aujourd’hui, de lui ou de moi? Qu’a-t-il dû penser, Sapt?

– Que nous importe? Ce que je voudrais savoir, c’est ce qu’il pense à cette heure.»

J’étais déjà debout.

«Il faut retourner à Strelsau, m’écriai-je, mettre sur pied tout ce que nous avons de troupes sûres, et donner la chasse à Michel.».

Le vieux Sapt tira tranquillement sa pipe de sa poche et l’alluma à l’une des bougies qui continuaient à couler sur la table.

«On assassine peut-être le roi pendant que nous sommes là à délibérer», repris-je.

Sapt continuait à fumer en silence.

«Maudite vieille femme! s’écria-t-il tout à coup. Elle sera parvenue à attirer leur attention d’une façon ou d’une autre. Je vois clairement comment la chose s’est passée. Ils étaient venus pour enlever le roi; elle les a mis au courant, et ils l’ont découvert. Si vous n’étiez pas allé à Strelsau, c’en était fait de vous, de Fritz et de moi.

– Et le roi?

– Dieu seul sait où est le roi à cette heure!

– Ne perdons pas un instant», repris-je.

Mais il ne bougeait pas. Soudain, il éclata de rire. «Par Jupiter! nous ne sommes pas gens à laisser le duc Noir dormir tranquille.

– Partons! partons! répétai-je impatiemment.

– Nous allons lui donner encore quelques sujets d’inquiétude, ajouta-t-il, tandis qu’un sourire rusé épanouissait son vieux visage parcheminé et que, du bout des dents, il mordillait sa moustache grise. Oui, mon garçon, nous allons rentrer à Strelsau; demain, le roi sera de retour dans sa capitale.

– Le roi?

– Le roi couronné ce matin!

– Vous êtes fou?