Выбрать главу

La silhouette de Rupert disparut. J’entendis la porte s’ouvrir et se fermer. Michel et Antoinette restaient seuls. À mon grand chagrin, le duc poussa la fenêtre et la ferma. Debout devant Antoinette, il lui parla quelques minutes. Elle secoua la tête. Sur quoi, il s’éloigna avec un geste d’impatience, tandis qu’elle quittait la fenêtre. J’entendis de nouveau claquer la porte et le duc Noir ferma les volets.

«De Gautel! Dépêchons-nous, voyons.»

La voix venait du pont.

«À moins que vous n’ayez envie de prendre un bain, pressez-vous, venez.»

C’était la voix de Rupert.

Une seconde plus tard, de Gautel et lui s’engageaient sur le pont. Rupert avait passé son bras sous celui de son compagnon; arrivé au milieu, il l’arrêta et se pencha par-dessus le parapet. Je me mis à l’abri derrière l’échelle de Jacob et regardai maître Rupert, qui se livrait à un sport d’un nouveau genre. Prenant des mains de Gautel une bouteille que celui-ci tenait, il la porta à ses lèvres.

«Elle était presque vide!» fit-il d’un ton mécontent en la lançant dans le fossé.

La bouteille tomba environ à un mètre du tuyau. Prenant alors son revolver. Rupert commença à viser la bouteille. Les deux premiers coups ne l’atteignirent pas, les balles frappèrent le tuyau; au troisième, la bouteille vola en éclats. J’espérais que le jeune bandit se contenterait de ce succès, mais il acheva de décharger les autres coups de son revolver sur le tuyau: une des balles me siffla aux oreilles.

«Levez le pont! cria enfin une voix, à mon grand soulagement.

– Un moment!»

Et Rupert et de Gautel se mirent à courir. Le pont levé, tout retomba dans le silence. L’horloge sonna une heure un quart. Je me redressai et étirai mes pauvres membres lassés.

Quelques minutes à peine s’étaient écoulées lorsque j’entendis un léger bruit sur ma droite. Je regardai, et j’aperçus la haute silhouette noire d’un homme debout dans le passage qui conduit au pont.

À l’élégance de la tournure, à la pose gracieuse, je devinai que c’était encore Rupert. Il tenait à la main son épée nue. Il resta immobile pendant une ou deux minutes.

Des idées folles me passaient par la tête. Quel était le mauvais coup que préparait le jeune vaurien? Je l’entendis qui riait tout bas; puis il se retourna face au mur et, faisant un pas vers moi, commença à descendre le long du mur. Il y avait donc des marches de ce côté? Évidemment. Elles devaient être pratiquées dans la muraille et se suivre à une distance d’environ quatre-vingt-dix centimètres.

Lorsque Rupert posa le pied sur la dernière, il prit son épée entre ses dents, se retourna, et, sans bruit, se laissa couler dans l’eau. S’il n’y eût eu que ma vie en jeu, j’aurais nagé à sa rencontre. Quelle joie j’aurais eue à vider notre querelle par cette belle nuit, sans crainte d’être interrompus! Mais le roi! Je me maîtrisai, sans pouvoir toutefois imposer silence à mon cœur, qui battait furieusement dans ma poitrine. Je suivais Rupert des yeux avec une curiosité intense.

Sans se presser, il traversa le fossé à la nage, aborda de l’autre côté, où d’autres marches lui permirent de gravir le talus à pic. Lorsqu’il se trouva debout sur la passerelle, de l’autre côté du pont-levis qui était alors levé, je le vis fouiller dans sa poche, en tirer quelque chose, puis il ouvrit une porte. Je n’entendis pas la porte se refermer derrière lui. Il avait disparu.

Abandonnant alors mon échelle, dont je n’avais plus besoin, je nageai vers le pont et franchis quelques-unes des marches creusées dans le mur. Arrivé à une certaine hauteur, je m’arrêtai, tenant mon épée à la main, écoutant de toutes mes oreilles.

La chambre du duc n’était pas éclairée, on n’apercevait pas la moindre lueur à travers les volets clos; mais, de l’autre côté du pont, au contraire, une fenêtre brillait. Pas un bruit, un silence de mort, rompu seulement par la grosse voix de l’horloge de la tour, qui sonnait une heure et demie.

Je n’étais donc pas seul à conspirer, cette nuit-là, au château.

XVIII Dernier assaut

La situation dans laquelle je me trouvais ne semblait pas particulièrement favorable aux réflexions. Toutefois, pendant quelques secondes, je réfléchis profondément.

Un point semblait acquis. Quel que fût l’objet de l’expédition de Rupert de Hentzau, une chose était certaine: c’est qu’il se trouvait occupé dans la partie du château opposée à celle qu’habitait le roi. Vive Dieu! si cela ne dépendait que de moi, il ne remettrait pas les pieds ici.

Et d’un. Il ne m’en restait donc plus que trois sur les bras. Deux étaient de garde auprès du roi. Le troisième, de Gautel, dormait sans doute. Ah! si j’avais eu les clefs. J’aurais risqué le tout pour le tout, attaqué Detchard et Bersonin avant que leurs amis pussent leur porter secours! Sans les clefs, que pouvais-je faire, si ce n’est attendre que l’arrivée de mes amis attirât un de ceux qui les détenaient?

J’attendis… Mais mon anxiété fut courte. Il ne s’écoula pas, je crois, plus de cinq ou six minutes avant que commençât le second acte du drame.

Tout était silencieux dans la partie neuve du château. La chambre du duc était toujours impénétrable derrière ses volets fermés. La fenêtre de la chambre de Mme de Mauban, seule, restait éclairée. Tout à coup, j’entendis un léger bruit, le bruit d’une clef qu’on tourne avec précaution dans une serrure. Quelle était la main qui tournait cette clef? Quelle était la porte que l’on cherchait à ouvrir? Celle peut-être qui aboutissait au pont-levis de l’autre côté du fossé?

J’eus la vision de Rupert, une clef dans une main, son épée dans l’autre, et son méchant sourire retroussant sa lèvre sur ses dents de jeune loup. Où menait cette porte, et auquel de ses passe-temps favoris le jeune fauve allait-il se livrer cette nuit?

Je n’eus pas à rester longtemps dans l’incertitude. Presque aussitôt, avant l’heure où mes amis devaient arriver au château, avant l’heure où Jean devait leur ouvrir la porte, il s’éleva un grand tumulte dans la pièce éclairée. Quelqu’un venait sans doute de renverser la lampe, car la lumière avait disparu tout à coup, et l’obscurité était complète. Alors, dans la nuit et le silence, j’entendis un appel désespéré: «Au secours, Michel! Au secours!» suivi par un cri déchirant.

Tous mes nerfs étaient tendus. Je me tenais sur la marche supérieure, me cramponnant au seuil de la porte de la main droite et tenant mon épée dans la gauche. Tout à coup je m’aperçus que le passage était plus large que le pont. Il y avait du côté opposé un coin d’ombre où un homme pouvait se tenir. Je le traversai aussi vite que l’éclair et me cachai là. Je me trouvai ainsi dans une position merveilleuse; je commandais le passage, et personne ne pouvait se rendre du château au vieux donjon sans avoir affaire à moi.

Un nouveau cri, puis une porte qu’on ouvre avec fracas, et qui retombe avec bruit, une serrure secouée furieusement.

«Ouvrez! ouvrez! Au nom de Dieu, que se passe-t-il?»

C’était la voix du duc Noir.

Pour toute réponse, j’entendis ces mots, les mots que j’avais moi-même dictés:

«Au secours, Michel, Hentzau!»