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Que faire? Vivant ou mort, j’abandonnai le roi à la Providence, je pris mon épée et je passai dans la première pièce.

Si c’étaient mes hommes qui avaient baissé le pont-levis, tout était bien. Mes yeux tombèrent alors sur les revolvers chargés, j’en pris un et m’arrêtai un moment pour écouter à la porte de l’autre chambre. Pour écouter, dis-je? Oui, et pour reprendre ma respiration: je déchirai la manche de ma chemise et j’enroulai un morceau de toile autour de mon bras blessé; puis j’écoutai à nouveau. J’aurais donné tout au monde pour entendre la voix de Sapt. Car j’étais abattu, fatigué, épuisé. Et ce chat sauvage de Rupert Hentzau circulait en liberté dans le château! Comme il m’était plus facile de défendre l’étroite porte au sommet de l’escalier que l’entrée de la chambre beaucoup plus large, j’escaladai les marches et me tins immobile, aux écoutes.

Quel était ce bruit? Un étrange bruit assurément, étant donné le lieu et l’heure. C’était le rire, le rire tranquille, méprisant, heureux, de Rupert Hentzau. Je pouvais difficilement comprendre qu’un homme sain d’esprit fût capable de rire à ce moment. Ce rire me fit comprendre que mes gens n’étaient pas arrivés; car ils auraient déjà tué Rupert s’ils eussent été là.

L’horloge sonna deux heures et demie. Deux heures et demie! N’ayant pas trouvé la porte ouverte, nos amis avaient dû, après m’avoir cherché sur la berge, retourner à Tarlenheim porter la nouvelle de la mort du roi et de la mienne. Un moment, je m’appuyai, défaillant, contre la porte. Mon courage m’abandonnait. Mais je me redressai bientôt, en entendant Rupert qui criait avec un accent plein de défi:

«Eh bien! maintenant que le pont est baissé, qui vous empêche d’avancer?… Par Dieu! je donnerais quelque chose pour voir le duc Noir!…, Allons, arrière, valetaille!… Michel, viens donc te battre: tu peux bien te battre pour elle!»

Si le combat devenait un trio, je pouvais encore y faire ma partie… Je fis doucement tourner la clef dans la serrure, et je regardai dehors.

XIX À la poursuite de Rupert de Hentzau

Pendant un instant, il me fut impossible de rien distinguer: l’éclat des lanternes et des torches, massées de l’autre côté du pont, m’éblouissait, m’aveuglait. Cependant, peu à peu, la scène s’éclaira: étrange scène!

Le pont était baissé; de l’autre côté, en face de moi, j’aperçus tout un groupe de serviteurs du duc. Deux ou trois d’entre eux portaient les torches dont la vive lumière m’avait ébloui; trois ou quatre tenaient des piques. Ils étaient pressés les uns contre les autres, dans une attitude menaçante, leurs armes dirigées devant eux. Leurs visages étaient pâles et agités. Au vrai, ils étaient aussi effrayés qu’on peut l’être et ils regardaient avec appréhension du côté d’un homme qui se tenait au milieu du pont, son épée à la main. Rupert Hentzau était en manches de chemise; son plastron blanc était tout taché de sang, mais son aisance, sa pose pleine de souplesse me disaient que lui-même n’avait pas été touché ni même égratigné. Et il était là, hardi, insolent, tenant le pont contre eux et les bravant, ou, plutôt, les sommant de lui envoyer le duc Noir. Et eux, sans armes à feu, tremblaient devant le coquin prêt à tout, et n’osaient l’attaquer. Ils murmuraient de confuses injures, et, au dernier rang, je vis mon ami Jean, appuyé contre le montant de la porte, et étanchant avec un mouchoir le sang qui coulait d’une blessure qu’il avait à la joue.

Par un hasard providentiel, je me trouvais maître de la situation. Cette lâche valetaille, qui ne venait pas à bout de cet homme seul, ne me résisterait pas. Le seul obstacle sérieux, c’était Rupert de Hentzau lui-même. Je n’avais, pour l’envoyer dans l’autre monde rendre compte de ses crimes, qu’à lever mon revolver, et, pourtant, je ne bougeais pas. Pourquoi?

J’avais tué cette nuit-là un homme à la dérobée et un autre par chance plutôt que par adresse – ou du moins je le croyais ainsi. Et maintenant, aussi infâme que fût le personnage que j’avais devant moi, je ne me souciais pas de m’adjoindre à la bande qui allait s’attaquer à lui.

Au sentiment instinctif qui m’empêchait d’agir se joignait aussi une vive curiosité, le désir de savoir ce qui allait se passer.

«Michel, misérable, chien, si tu peux te tenir debout, viens!» hurlait Rupert.

Et, à mesure qu’il avançait, le groupe pliait devant lui.

«Michel, viens donc.»

Pour toute réponse arriva jusqu’à moi le cri déchirant d’une femme, et ces mots:

«Il est mort! Ô mon Dieu! il est mort!

– Mort! cria Rupert. Je ne croyais pas avoir fait si bonne besogne.»

Rupert riait d’un rire triomphant.

«Allons, bas les armes! continua-t-il. Je suis le maître ici. Bas les armes!»

Ils auraient sans doute obéi, les lâches, sans les nouveaux incidents qui se produisirent. D’abord ce fut un bruit lointain, des cris, des appels, des coups frappés.

Mon cœur battit dans ma poitrine. Si c’étaient mes amis qui, en dépit des ordres formels que je leur avais donnés, venaient à mon secours! Toute l’attention des spectateurs ou acteurs de la scène se trouvait pour le moment concentrée sur un nouveau personnage, une femme, qui s’avançait en chancelant sur le pont. C’était Antoinette de Mauban, pâle comme la mort, les yeux brillants: sa main tremblante tenait un revolver qu’elle déchargea sur Rupert. Mais la balle ne l’atteignit pas.

«Sur ma foi, Madame, s’écria Rupert en riant, si vos yeux n’étaient pas plus meurtriers que vos coups, je ne me trouverais pas en si mauvaise passe, et le duc Noir ne serait pas en enfer cette nuit!»

Elle ne prit pas garde à ces paroles; faisant un effort suprême, elle domina son trouble et, calme, raide, délibérément, visa de nouveau.

C’eût été folie de braver ce danger. Il n’avait que deux choses à faire: ou s’élancer vers elle, ou reculer sur moi. Je le tenais au bout de mon pistolet.

Il ne fit ni l’un ni l’autre; avant qu’elle eût ajusté son coup, il s’inclinait de la façon la plus gracieuse, disant:

«Je ne puis tuer ce que j’ai adoré.»

Et, avant qu’elle ou moi eussions pu l’empêcher, il enjambait le parapet et sautait dans le fossé.

Au même moment, j’entendis un bruit de pas pressés, puis une voix, celle de Sapt, qui criait:

«Dieu! c’est le duc! Il est mort!»

Le roi n’avait plus besoin de moi! Alors, jetant mon revolver, je m’élançai à mon tour sur le pont. Il y eut un murmure d’étonnement:

«Le roi!»

Comme Rupert de Hentzau, l’épée à la main, j’escaladai le parapet, ne songeant plus qu’à vider ma querelle avec lui. Je voyais sa tête bouclée qui émergeait au-dessus de l’eau à une quinzaine de mètres en avant.

Il nageait, rapidement, aisément, tandis que j’avançais lentement, fatigué que j’étais, et avec mon bras blessé. Il me gagnait de vitesse. Pendant un certain temps, je nageai en silence. Mais, comme nous arrivions à l’angle du vieux donjon, je criai:

«Rupert, arrêtez, arrêtez donc!»

Il se retourna, tout en continuant à nager: