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Je fus reçu avec les plus grands égards à l’hôtel, – un hôtel modeste, – tenu par une brave dame âgée et ses deux filles. C’étaient d’excellentes gens, et que les agitations de la capitale ne paraissaient guère troubler. La vieille dame avait, au fond du cœur, un petit faible pour le duc de Strelsau qui, par le testament du roi, se trouvait maître de toute la province de Zenda et propriétaire du château qui s’élevait majestueusement sur la hauteur, à un mille à peu près de l’auberge. Elle ne se gênait pas pour exprimer hautement le regret que ce ne fût pas le duc qui régnât au lieu de son frère.

«Nous aimons tous le duc Michel; il a toujours vécu au milieu de nous; il n’est pas un Ruritanien qui ne connaisse le duc Michel. Le roi, au contraire, a passé la plus grande partie de sa vie à l’étranger. Je gage que pas une personne sur dix ici ne l’a vu.

– Et maintenant, approuva l’une des jeunes femmes, on dit qu’il a coupé sa barbe, de sorte qu’on ne le reconnaît plus du tout.

– Coupé sa barbe! s’exclama la mère. Qui a dit cela?

– C’est Jean, le garde du duc. Il a vu le roi.

– Oui, c’est vrai. Le roi est en ce moment ici dans la forêt, au pavillon de chasse du duc. C’est de là qu’il partira à Strelsau pour être couronné mercredi matin.»

Ces bavardages m’intéressaient beaucoup et je me proposai tout de suite de me rendre à pied dans la direction du pavillon, espérant avoir la chance de rencontrer le roi; la vieille dame continua, avec loquacité:

«Ah! je voudrais bien qu’il y restât à ce pavillon – la chasse et le vin, c’est, dit-on, tout ce qu’il aime au monde – et que ce soit notre duc qui reçoive la couronne mercredi. Voilà ce que je souhaite, et je ne m’en cache pas!

– Chut! mère, firent les deux filles.

– Oh! Je ne suis pas la seule à penser ainsi, cria la vieille avec entêtement.

– Quant à moi, fit la plus jeune et la plus jolie des filles, une belle blonde accorte et vive, je déteste Michel, Michel le Noir. Il me faut un Elphberg, mère, un vrai Elphberg, un roux. Le roi, à ce qu’on dit, est aussi roux qu’un renard ou que…»

Et elle se mit à rire en me regardant malicieusement et en faisant un signe de tête à sa sœur qui semblait la désapprouver. «Plus d’un avant lui a possédé une chevelure rousse semblable, murmura la vieille dame, et je me rappelle James, cinquième comte de Burlesdon…

– Mais jamais une femme! s’écria la fille.

– Hélas! les femmes aussi… quand il était trop tard, répondit durement la mère, réduisant sa fille au silence et à la confusion.

– Comment se fait-il que le roi soit ici? demandai-je. Ne sommes-nous pas sur les terres du duc?

– Le duc a invité son frère. Il doit rester ici jusqu’à mercredi. Le duc est parti pour Strelsau où il prépare l’entrée du roi.

– Ils sont bien ensemble alors?

– Pas plus que cela», reprit la vieille femme.

Mais ma beauté blonde secoua de nouveau la tête – elle ne pouvait pas se taire bien longtemps – et reprit:

«Ils s’aiment comme peuvent s’aimer deux hommes qui ont envie de la même place et désirent épouser la même femme!»

La vieille la regarda de travers, mais les derniers mots de la petite avaient excité ma curiosité et j’intervins avant que la mère eût commencé à gronder.

«La même femme aussi? Contez-moi ça, petite.

– Tout le monde sait que le duc Noir, le duc, mère, si vous préférez, vendrait son âme pour épouser la princesse Flavie, et qu’elle doit être reine.

– Sur ma foi! fis-je, je commence à plaindre votre duc! C’est un triste sort pour un homme que de naître cadet. Toujours se résigner et n’avoir que ce que veut bien lui laisser son aîné, et encore en être reconnaissant à Dieu!»

Je haussai les épaules, et me mis à rire. Puis je pensai à Antoinette de Mauban et à son voyage à Strelsau.

La jeune fille, bravant la colère de sa mère, allait reprendre ses explications, mais elle fut interrompue. Une grosse voix dans la pièce voisine disait d’un ton menaçant:

«Qui est-ce qui parle du duc Noir ici, dans la propre ville de Sa Grandeur?»

L’enfant poussa un petit cri; mais son effroi et sa surprise me semblèrent joués.

«C’est Jean. Il ne me dénoncera pas.

– Voilà ce que c’est que de bavarder», reprit la mère.

L’homme dont on avait entendu la voix, entra.

«Nous avons du monde, Jean.»

Il souleva sa casquette, et, m’apercevant, recula d’un pas, comme s’il venait de voir apparaître un spectre.

«Qu’avez-vous, Jean? demanda la fille aînée; monsieur est étranger; il voyage et désire voir le couronnement.»

L’homme, remis de son trouble, continuait à fixer sur moi un regard interrogateur, presque féroce.

«Bonsoir, lui dis-je.

– Bonsoir, Monsieur», murmura-t-il, ne me quittant pas des yeux.

L’espiègle jeune fille se reprit à rire, et, l’interpellant:

«Voyez donc, Jean; c’est la couleur que vous aimez tant. Ce sont vos cheveux, Monsieur, qui l’étonnent. On n’en voit pas souvent de pareils à Zenda.

– Faites excuse, Monsieur, murmura l’homme embarrassé; je ne m’attendais pas à trouver du monde ici.

– Donnez un verre de vin à ce brave homme pour boire à ma santé, dis-je; et maintenant, mesdames, je vais vous remercier et vous souhaiter une bonne nuit.»

Sur ce, je me levai, et, m’inclinant légèrement, je gagnai la porte. La jeune fille courut en avant pour m’éclairer. L’homme s’effaça pour me laisser passer, sans toutefois me quitter des yeux.

Au moment où je passais devant lui, il fit un pas en avant.

«Pardon, Monsieur, demanda-t-il; mais est-ce que vous connaissez notre roi?

– Je ne l’ai jamais vu, répondis-je; j’espère le voir mercredi.»

Il n’ajouta rien, mais je sentis son regard peser sur moi. Jusqu’à ce que la porte se fût refermée, je suivis sur l’escalier la jolie fille qui, me regardant par-dessus son épaule, me dit à demi-voix:

«Il ne faut pas espérer plaire à Jean avec des cheveux de la couleur des vôtres, Monsieur.

– Il aime mieux les cheveux blonds? dis-je en la regardant.

– Oh! je ne parlais que des cheveux des hommes, répondit-elle avec un sourire plein de coquetterie.

– Voyons, dis-je en m’emparant du bougeoir, de quelle importance peut être la couleur des cheveux quand il s’agit d’un homme?

– Cependant j’aime beaucoup la couleur de vos cheveux: c’est le vrai roux des Elphberg.

– Bah! chez un homme, cela n’a aucun intérêt, pas plus de valeur que cela.»

Je lui mis dans la main une bagatelle et je la quittai.

En réalité, je l’ai reconnu depuis, la couleur des cheveux d’un homme peut avoir une grande influence sur ses destinées.

III Une joyeuse soirée

Je n’étais pas assez déraisonnable pour en vouloir au garde du duc de ne pas aimer la couleur de mes cheveux. Si je lui en avais gardé rancune, son obligeance pour moi, le lendemain matin, m’aurait désarmé. Ayant appris que je comptais aller à Strelsau, il vint me trouver, pendant que je déjeunais, pour dire qu’une sœur à lui, mariée à un commerçant de la ville, lui avait offert une chambre dans sa maison. Il avait d’abord accepté avec joie, puis s’était aperçu qu’il ne pouvait pas s’absenter, et venait me proposer, si toutefois un logement aussi simple, quoique propre et confortable, ne me rebutait pas, de prendre sa place. Sa sœur serait enchantée, m’assurait-il, et cela m’éviterait le lendemain des allées et venues inutiles. J’acceptai sans hésitation.