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Si après cela M. d’Urfé prenait mes paroles au sérieux, j’étais toujours libre de le désabuser, et à vrai dire, l’idée d’être l’objet d’une tentative d’enlèvement n’avait rien qui dût trop déplaire à une jeune femme avide d’émotions et coquette au delà de tout ce qu’on peut imaginer.

Quand vint le jour du départ, je ne pus m’empêcher d’admirer combien le commandeur avait renchéri sur les précautions que de mon temps on prenait en voyage. Outre un fourgon contenant la cuisine, il y en avait un avec mon lit et mes effets de toilette. Deux laquais, assis derrière mon carrosse, étaient armés de sabres et mon valet de chambre, placé à côté du cocher, tenait en mains une espingole destinée à imposer aux voleurs. On avait envoyé en avant un tapissier pour préparer convenablement les chambres où je devais coucher et nous étions précédés de deux hommes à cheval, qui de jour criaient à ceux que nous rencontrions de nous faire place et qui de nuit nous éclairaient avec des flambeaux.

La politesse cérémonieuse du commandeur ne l’abandonnait pas plus en route qu’elle ne lui faisait défaut dans un salon. Il commença par vouloir se placer vis-à-vis de moi et fit mille difficultés pour s’asseoir à mes côtés dans le fond du carrosse.

— Eh bien ! commandeur, avez-vous peur de moi, que vous allez ainsi vous nicher sur le devant ?

— Madame, vous ne pouvez douter qu’il me serait doux de me placer à côté de la fille de mon meilleur ami, mais je croirais forfaire à mes engagements, si je dérangeais le moins du monde celle qu’en ce moment je suis tenu de protéger !

Il avait pris tellement au sérieux son rôle de protecteur, qu’il ne se passait pas cinq minutes sans qu’il me demandât si j’étais bien assise, ou si je n’étais pas incommodée par les courants d’air.

— Commandeur, faites-moi donc la grâce de me laisser tranquille, car vous êtes insupportable !

Alors il poussait un profond soupir et apostrophait sévèrement le cocher pour lui recommander de faire plus d’attention à m’éviter les cahots.

Comme nous voyagions à petites journées, le commandeur avait exigé que je fisse un repas à chaque halte. Quand il s’agissait de descendre, il ne me présentait jamais le bras sans se découvrir et lorsqu’il me conduisait à table, il se confondait en excuses de ce que je n’étais pas servie avec la même étiquette qu’en mon hôtel rue de Varenne.

Un jour que j’eus l’imprudence de dire que j’aimais la musique, le commandeur se fit apporter une guitare et chanta un air de guerre des chevaliers de Malte avec des éclats de voix formidables et en roulant des yeux à faire peur. Il ne cessa de faire vibrer les cordes de son instrument que lorsqu’il les eut rompues. Alors il se confondit en excuses et se tut,

La moitié de nos gens étant à lui, il leur avait fait prendre ma livrée, afin que je n’eusse pas l’air de voyager dans son équipage. Toutes ces délicatesses ne me touchaient guère, car je voyais dans M. de Bélièvre moins un ami qu’un mentor pédant et ennuyeux.

Ayant remarqué qu’il avait garni ses poches de pelottes de soie, d’épingles et d’autres petits effets destinés à ma toilettes, je me plus à lui demander divers objets dont je feignis d’avoir besoin, afin de le trouver en défaut.

Longtemps cela me fut impossible.

— Ah, que j’ai mal au cœur ! m’écriai-je une fois.

Aussitôt le commandeur plongea sa main dans une de ses poches et en retira une bonbonnière remplie de pastilles qu’il m’offrit silencieusement.

Une autre fois je fis semblant d’avoir mal à la tête.

Le commandeur mit sa main dans ses poches et en sortit un flacon d’eau de la Reine, dont il me demanda la permission de me verser quelques gouttes dans les cheveux.

J’étais découragée.

Enfin j’imaginai de dire que j’avais perdu ma provision de rouge et je demandai vivement à M. de Bélièvres s’il avait pensé à en prendre quelques pots.

La prévoyance du commandeur n’était pas allée jusque-là. Il rougit beaucoup et se confondit en excuses. Alors j’eus la méchanceté de faire semblant de pleurer et je dis qu’on m’avait confiée à un homme qui ne prenait aucun soin de moi.

Je me sentais à demi vengée, car le commandeur, se croyant déshonoré, devint fort triste et se tut le reste de la journée. Cependant le plaisir de tourmenter mon mentor finit par ne plus me suffire. Je ne sais ce que j’aurais imaginé encore si un incident d’un nouveau genre n’était venu rompre la monotonie de notre voyage.

Un soir que nous longions la lisière d’un bois, un cavalier enveloppé d’un manteau parut subitement au détour du chemin, se pencha vers la portière et disparut aussitôt. Ce mouvement fut si rapide, que c’est à peine si je m’aperçus que le cavalier avait laisse tomber un petit papier sur mes genoux. Quant au commandeur, il n’avait rien vu du tout. Le papier ne contenait que ces mots : « A une lieue d’ici vous serez forcée de vous arrêter pour la nuit. Quand tout le monde sera endormi, une voiture viendra stationner sous vos fenêtres. Si vous donnez l’alarme à vos gens, je me ferai tuer sous vos yeux, mais je ne renoncerai jamais à une entreprise que vous m’avez défié de tenter et dont la réussite peut seule m’attacher à la vie. »

En reconnaissant l’écriture du marquis je jetai un petit cri qui fit tourner la tête au commandeur.

— Qu’avez-vous donc. Madame ? me dit-il tout surpris.

— Rien, répondis-je, en cachant le billet, c’est une crampe qui m’a prise au pied !

Ce mensonge que je fis une trentaine d’ années avant que n’eût paru le Barbier de Sévllle, vous prouve que c’est mol qui en ai eu la première idée et non pas Beaumarchais comme vous pourriez le croire.

Le commandeur plongea aussitôt sa main dans une de ses poches et en retira un fer aimanté qu’il m’offrit pour l’appliquer sur l’endroit souffrant.

Cependant plus je pensais à l’audace du marquis, plus je me sentais portée à admirer ce caractère aventureux. Je rendis grâce à la mode de mon temps qui prescrivait à une femme de condition de voyager la figure couverte d’un loup, car sans cet auxiliaire, le commandeur se serait aperçu de mon trouble. Je ne doutai pas un instant que le marquis exécutât ce qu’il s’était proposé, et j’avoue que connaissant le fanatisme de M. de Bélièvre à l’endroit de ses devoirs, je craignis en ce moment bien plus pour la vie de M. d’Urfé que pour ma propre réputation.

Bientôt les deux laquais qui nous précédaient à cheval vinrent nous annoncer que nous ne pourrions coucher dans le petit bourg désigné par M. de Bélièvre pour notre quartier de nuit, attendu qu’on y venait de casser un pont, mais que le chef d’office nous avait préparé un souper dans une maison de chasse située sur le grand chemin et appartenant à M. le marquis d’Urfé.

A ce nom je vis que le commandeur fronçait les sourcils et j’eus peur qu’il ne prit vent des projets du marquis.

Il n’en fut rien pourtant, car nous arrivâmes à la maison de chasse sans que le commandeur trahît la moindre appréhension. Après souper il s’inclina profondément devant moi, comme il avait coutume de faire chaque soir, me demanda la permission de se retirer et me souhaita une bonne nuit.

Restée seule, je congédiai mes femmes et ne me déshabillai pas, car je m’attendais à voir paraître M. d’Urfé, que j’étais d’ailleurs décidée à traiter comme il le méritait, toutefois sans l’exposer au ressentiment du commandeur.

Une heure s’était à peine écoulée, que j’entendis un léger bruit au dehors. J’ouvris la croisée et je reconnus le marquis qui montait sur une échelle de cordes.