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« Non ! » s’écria Elemak. Mais déjà l’air crépitait d’énergie, et Protchnu fit un bond en l’air, bras et jambes battant follement ; puis il s’écroula, agité de spasmes, et de longs soupirs gémissants s’échappèrent de sa gorge. « Tu es vraiment une catin, finalement ! murmura Elemak.

— Ce n’était pas inutile : ainsi, tout le monde constate que le Gardien de la Terre ne laisse pas sa servante démunie, dit Shedemei. Et maintenant, que chacun voie comment Elemak rend la justice. Convoque tes témoins, confère avec les chefs des fouisseurs et quand, dans une huitaine, tu auras formé ta conviction, nous saurons tous si tu es apte à porter le titre de roi-guerrier des Elemaki. Si les fouisseurs et les humains demandent à l’unisson que tu les gouvernes, je te couronnerai et tu dirigeras ce peuple avec autorité. »

Elemak lui sourit, car il savait pertinemment qu’en réalité elle sacrifiait la liberté des fouisseurs à la sécurité des Nafari. Il se baissa pour aider son fils encore frissonnant à se relever.

« Mais n’oublie pas, poursuivit Shedemei : j’ai dit “roi-guerrier”. Il n’y aura plus de roi du sang dans ce peuple. M’entendez-vous, tous ? »

Ils entendaient.

« Celui-ci a souillé cette fonction que personne ne pourra plus exercer dignement. Il est désormais interdit de manger de la chair d’ange ou d’humain. Celui qui mangera de ces chairs défendues sera aussi coupable que s’il avait dévoré celle de son propre enfant. Telle est maintenant la loi de tous les peuples, partout dans le monde ! Et vous l’appliquerez à tous les fouisseurs de toutes les contrées !

— Merci pour la mission, fit Elemak à mi-voix.

— Tu percevras un jour, je pense, qu’il est sage de leur apprendre à ne pas considérer les humains comme un repas en puissance, répondit Shedemei sur le même ton. S’ils mangent tes ennemis, combien de temps leur faudra-t-il avant de te regarder sous l’angle alimentaire ?

— J’avais compris, répliqua Elemak. As-tu fini ?

— Pas de fouisseurs à la poursuite des Nafari, nous sommes d’accord ?

— Nous crois-tu incapables de relever une piste ?

— Et pas d’assassins sur la route.

— Je connais les termes du marché. Je me suis fait encore humilier, je le sais, et cette fois Nafai m’a pris ma femme et la moitié de ma famille ; toi, tu as assommé mon fils. Mais je peux le supporter parce que tu m’as donné une nation. Une nation d’affreux rongeurs qui vivent dans la terre, mais j’ai eu affaire à bien pire dans les caravanes d’Harmonie, même si c’était sous forme humaine. Un jour, je foulerai le cadavre de Nafai à mes pieds, Shedemei, quoi que tu en penses. Mais si ça peut te consoler, je ne le dévorerai pas ; et je ne permettrai à personne d’y toucher non plus. Sauf peut-être aux corbeaux et aux vautours.

— Je me réjouis de ton esprit de conciliation. »

Il sourit. Puis, s’écartant de Shedemei, il s’adressa aux fouisseurs qui tenaient Fusum. « Emmenez le prisonnier chez moi. Et amenez-moi tous ceux qui estiment détenir des renseignements sur ses crimes. » Il se retourna vers la généticienne. « Ça devrait prendre toute la première journée, j’imagine. »

Shedemei regarda Protchnu dont les joues étaient sillonnées de larmes. « Tu n’aurais pas dû me faire ça, chuchota-t-il. Tu as fait une erreur.

— Tu étais un enfant très prometteur, répliqua-t-elle avec tendresse. De toutes les tragédies que cette guerre fratricide a entraînées, la plus triste, c’est ce qu’elle a fait de toi. »

Il devint livide. « Je le tuerai, Shedya. Je les tuerai tous. Sans en oublier un seul.

— Tu es donc certain que ton père va échouer, c’est ce que tu veux dire ?

— Non, je veux dire que je tuerai ceux qu’il aura laissés.

— Allons, tu sais la vérité, Protchnu. Cesse de ruminer la vengeance et apprends à devenir un chef. Ces gens ont beaucoup plus besoin d’un roi que ton père d’un champion. Tous ses agissements visaient à obtenir le pouvoir. Eh bien, il l’a. Tu verras : il lancera sûrement une guerre, mais il la perdra parce que ses appétits ont été rassasiés.

— Tu ne connais pas Père, répliqua orgueilleusement Protchnu. Tu ne me connais pas non plus.

— Et je ne suis pas la seule. Tu vas peut-être tous nous étonner, dans ce cas. »

Huit jours plus tard, Zdorab revint au vaisseau à bord de la navette, juste à temps pour assister à l’exécution de Fusum dont l’un de ses soldats trancha la gorge. On pendit ensuite son corps à la branche d’un arbre afin qu’il ne touche plus la terre sacrée. Alors Shedemei s’avança, toute brillante, et procéda au couronnement d’Elemak en tant que roi-guerrier. Le peuple le salua, l’acclama, puis se tut pour regarder Shedemei et Zdorab s’envoler avec la navette et pénétrer dans la tour par la vaste baie où l’on rangeait l’appareil.

Le panneau se referma sur eux et, sans perdre une seconde, Elemak se mit en route avec deux cents soldats, laissant Mujestvo – le dernier fils de Mebbekew, âgé de vingt-trois ans – gouverner en son absence. Son armée avait déjà parcouru la moitié du canyon quand le vaisseau s’éveilla en rugissant et s’éleva dans le ciel.

On baptisa Basilica cette nouvelle étoile qui tournait éternellement dans la nuit en changeant parfois de position, mais avec le temps tout le monde oublia d’où venait ce nom, ce qu’était ce point de lumière, tour jadis dressée près du premier village humain bâti sur Terre depuis quarante millions d’années.

L’armée d’Elemak suivit la large piste de la migration des Nafari, mais quand elle atteignit la falaise rocheuse qui barrait l’accès méridional de la haute et vaste vallée du pays de Nafai, des anges l’attaquèrent par les airs et tirèrent des fléchettes dans le dos des soldats. Vingt fouisseurs moururent lors de l’assaut et quarante autres furent blessés. Ils regagnèrent leur cité clopin-clopant, et Elemak leur apprit à fabriquer des armures afin de pouvoir recommencer l’année suivante.

Et les ans s’écoulèrent ainsi ; mais entre les escarmouches futiles, les deux nations prospérèrent et grandirent, toutes deux envoyèrent des marchands et des enseignants répandre les nouvelles méthodes d’agriculture et de combat, les nouveaux mythes, légendes et religions dans toutes les cités de fouisseurs et les villages d’anges.

Les générations passèrent et les hommes se multiplièrent par centaines, par milliers, puis par dizaines de milliers ; pas une cité de fouisseurs qui n’eût des maisons à la surface, pas un village d’anges où les humains ne joignissent leurs voix au chant du soir. Dans les deux sociétés, on prit l’habitude de les désigner par l’expression « peuple du milieu », parce qu’ils se tenaient entre les anges qui vivaient dans le ciel et les fouisseurs qui résidaient sous terre.

En orbite, le vaisseau tournait sans cesse, et il abritait toujours de la vie. Zdorab et Shedemei dormaient longtemps et souvent, mais entre les périodes de sommeil, ils sortaient la navette pour explorer la planète, recueillir des spécimens, introduire de nouveaux changements, donner forme, résistance et variété aux jardins de la Terre. Avec le temps, le corps de Zdorab finit par s’user et Shedemei l’ensevelit dans un champ de fleurs qu’elle avait apportées d’Harmonie. Alors, seule, elle s’éveilla moins souvent. Mais elle continuait de visiter le monde de temps en temps, de recueillir des échantillons, de soigner la faune et la flore, et elle observait discrètement les hommes qui se répandaient sur la face de la Terre, toujours plus ingénieux à chaque fois qu’elle les voyait, mais aussi plus violents et toujours en guerre.

Qu’espérer d’autre ? L’espèce humaine était revenue chez elle.