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Elle quitta la table avec un sourire forcé. Bonnie, visiblement au supplice, se pencha vers ses amies.

— Écoutez les filles. Je tiens plus, moi. Il faut absolument que je sache ce qu’on dit sur Stefan !

— Tu parles du ragot qui court ? répondit calmement Elena. Je suis au courant : il paraîtrait que Stefan fait partie de la brigade des stups…

Arès un instant de surprise, Bonnie éclata de rire.

— De quoi ? Mais c’est complètement débile !

— Habillé comme il est, avec des lunettes noires ? Il fait tout pour qu’on le remarque !

Elle se tut, les yeux soudain écarquillés.

— Mais peut-être que c’est fait exprès ? Qui soupçonnerait un frimeur pareil ? Et puis, il vit seul, il ne parle jamais de lui… Elena ! Peut-être que c’est vrai !

— Impossible, dit Meredith.

— Qu’est-ce que t’en sais ?

— C’est moi qui ai lancé la rumeur.

Devant l’air abasourdi de Bonnie, elle ajouta :

— C’est Elena qui m’a demandé de le faire.

— Ahhhhh… C’est trop fort ! Alors, je peux raconter à tout le monde qu’il est atteint d’une maladie incurable ?

— Non, ça tu ne peux pas. J’ai pas envie que toutes les bonnes âmes du coin viennent lui tenir la main. Par contre, tu peux dire ce que tu veux sur Jean-Claude.

— C’est qui, au fait, ce type sur la photo ?

— Le jardinier. Il était dingue de ses hibiscus… et il était marié.

— Dommage… Mais pourquoi t’as demandé à Frances de n’en parler à personne ?

Elena jeta un œil sur sa montre.

— Comme ça, je suis à peu près sûre que d’ici, disons deux heures, la nouvelle aura fait le tour du lycée.

Après les cours, les trois filles décidèrent d’aller chez Bonnie. Un jappement aigu les reçut : un très vieux et gros pékinois tenta de s’échapper. Il s’appelait Yang-Tsê, et personne ne pouvait le supporter, sauf la mère de Bonnie. Alors qu’Elena entrait, il tenta de lui mordre la jambe.

Le séjour était assombri par de lourdes tentures et surchargé de meubles anciens. Mary, la sœur aînée de Bonnie, qui travaillait à l’hôpital de Fell’s Church, les accueillit.

— Ah, Bonnie, je suis contente que tu sois là. Salut, Elena. Salut, Meredith.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Bonnie. T’as l’air crevé.

— Dis-moi, hier soir, quand tu es revenue complètement paniquée, tu venais bien du pont Wickery ?

— Non, du cim… euh… enfin, oui, c’est ça, du pont Wickery.

— C’est bien ce qu’il me semblait.

Elle inspira profondément, puis reprit :

— Écoute-moi bien, Bonnie McCullough. Tu es priée de ne jamais y retourner, et encore moins seule, la nuit. Tu as bien compris ?

— Mais pourquoi ?

— Parce que quelqu’un a été attaqué là-bas. Et tu sais où on l’a retrouvé ? Sous le pont Wickery.

Meredith et Elena la regardèrent, incrédules ; Bonnie lui agrippa le bras.

— Quelqu’un a été attaqué sous le pont ? Qui ça ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Je n’en sais rien. Ce matin, un des employés du cimetière l’a trouvé étendu sur la berge. C’est sans doute un sans-abri. Il était à demi-mort quand ils l’ont emmené et peut-être qu’il ne reprendra jamais conscience.

Elena commençait à se sentir très mal à l’aise.

— Qu’est-ce que tu entends par « attaqué » ?

— En fait, il a été quasiment égorgé. Il a perdu énormément de sang. Au début, on a cru que c’était un animal qui lui avait sauté à la gorge, mais le Dr Lowen pense maintenant qu’il s’agit d’un homme. Et la police dit que cette personne se cache peut-être toujours dans le cimetière.

Mary les regarda l’une après l’autre, droit dans les yeux.

— Donc quand vous étiez près du pont, l’agresseur s’y trouvait sûrement aussi. Pigé ?

— C’est pas la peine de nous foutre encore plus la trouille. On a compris, balbutia Bonnie.

— Parfait. (Elle se massa le cou, visiblement fatiguée.) Il faut que j’aille m’allonger un moment. Désolée, je me serais bien passée de plomber l’ambiance…

Lorsqu’elle quitta la pièce, les trois filles se regardèrent.

— Ça aurait pu être l’une d’entre nous. Quand je pense, Elena, que tu étais partie toute seule…

Elena en avait des sueurs froides, rien que d’y penser. Elle revit les pierres tombales, balayées par le vent glacial, alignées devant elle.

— Bonnie, demanda-t-elle lentement, est-ce que tu as vu quelqu’un là-bas ? Pourquoi tu m’as dit qu’on m’attendait ?

Bonnie la fixa sans comprendre.

— Mais de quoi tu parles ? J’ai jamais dit ça !

— Mais si, c’est ce que tu as affirmé.

— Mais, non, j’ai jamais raconté un truc pareil.

— Bonnie, intervint Meredith, on t’a entendue toutes les deux. Tu t’es mise à regarder le vide et puis tu as crié à Elena…

— Mais n’importe quoi ! J’ai jamais dit ça ! Vous m’énervez à la fin !

Bonnie en pleurait de colère. Elena et Meredith se regardèrent, interdites, tandis que, dehors, un nuage vint cacher le soleil.

6.

26 septembre

Si j’ai laissé passer autant de temps avant d’écrire, c’est que le courage m’a manqué pour raconter les choses effrayantes qui se sont produites.

D’abord, il y a eu cet homme attaqué le soir où Meredith, Bonnie, et moi sommes passées par le cimetière. La police n’a toujours pas trouvé qui a fait ça. Tout le monde dit que le vieux n’avait déjà plus toute sa tête : quand il a repris connaissance, il s’est mis à dire des trucs qui n’avaient aucun sens comme « des yeux dans le noir », et il n’arrêtait pas de parler d’arbres… Mais, moi, je ne peux pas m’empêcher de penser constamment à ce qui nous est arrivé, ce soir-là. J’ai la frousse…

D’ailleurs, pendant un bout de temps, les gens n’osaient pas sortir, et on avait interdit aux enfants de traîner la nuit sans être accompagnés. Mais ça va faire trois semaines que ça s’est passé, et personne d’autre n’a été attaqué. Alors on se calme un peu. Tante Judith affirme que c’est un autre vagabond qui a fait le coup. Le père de Tyler Smallwood pense que c’est le vieux qui s’est infligé ça lui-même, mais, bon, j’aimerais bien savoir comment on peut se mordre la gorge.

En fait, j’ai surtout été occupée par le plan B. Jusqu’à présent, tout se passe à peu près comme je veux. J’ai, reçu plusieurs lettres et un bouquet de roses rouges de la part de « Jean-Claude » (l’oncle de Meredith est fleuriste). Tout le monde a oublié que je me suis un jour intéressée à Stefan : mon image au lycée est restée intacte et même Caroline n’a rien à dire. D’ailleurs, je l’ai quasiment pas vue ces temps-ci, ni à la cantine ni après les cours. J’ai l’impression qu’elle s’est éloignée de ses anciennes fréquentations. Mais je m’en fous complètement.

Ce qui m’obsède, c’est Stefan. Même Bonnie et Meredith ne savent pas ce qu’il représente pour moi. J’ai trop peur qu’elles me croient folle si je leur en parle. À première vue, je suis un exemple de calme et de self-control. Mais, à l’intérieur, c’est la tempête… Et c’est pas prêt de s’arranger…

D’ailleurs, tante Judith se fait du souci pour moi. Elle a bien vu que je ne mangeais presque plus rien. En cours, je n’arrive plus à me concentrer, et même les trucs censés être marrants — comme la collecte de fonds pour la Maison Hantée — ne m’attirent plus. Je n’ai plus que lui en tête. Et je ne sais même pas pourquoi.