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Sur des socles richement sculptés posaient de grands vases et de larges cratères d’or, d’un prix inestimable, dont le travail l’emportait sur la matière. L’un d’eux, effilé à la base, était soutenu par deux têtes de chevaux s’encapuchonnant sous leur harnais à frange. Deux tiges de lotus retombant avec grâce par-dessus deux rosaces formaient les anses:

des ibex hérissaient le couvercle de leurs oreilles et de leurs cornes, et sur la panse couraient, parmi des hampes de papyrus, des gazelles poursuivies.

Un autre, non moins curieux, avait pour couvercle une tête monstrueuse de Typhon, coiffée de palmes et grimaçant entre deux vipères; ses flancs étaient ornés de feuilles et de zones denticulées.

L’un des cratères, qu’élevaient en l’air deux personnages mitrés, vêtus de robes à larges bordures, qui d’une main soutenaient l’anse, et, de l’autre, le pied, étonnait par sa dimension énorme, par la valeur et le fini de ses ornements.

L’autre, plus simple et plus pur de forme peut-être, s’évasait gracieusement, et des chacals, posant leurs pattes sur son bord comme pour y boire, lui dessinaient des anses avec leur corps svelte et souple.

Des miroirs de métal entouré de figures difformes, comme pour donner à la beauté qui s’y regardait le plaisir du contraste, des coffres en bois de cèdre ou de sycomore ornementés et peints, des coffrets en terre émaillée, des buires d’albâtre, d’onyx et de verre, des boîtes d’aromates témoignaient de la magnificence de Pharaon à l’endroit de Tahoser.

Avec les choses précieuses que contenait cette chambre on eût pu payer la rançon d’un royaume.

Assise sur un siège d’ivoire, Tahoser regardait les étoffes et les bijoux que lui montraient de jeunes filles nues éparpillant les richesses contenues dans les coffres.

Tahoser sortait du bain, et les huiles aromatiques dont on l’avait frottée assouplissaient encore la pulpe moelleuse et fine de sa peau. Sa chair prenait des transparences d’agate et la lumière semblait la traverser; elle était d’une beauté surhumaine, et, quand elle fixa sur le métal bruni du miroir ses yeux avivés d’antimoine, elle ne put s’empêcher de sourire à son image.

Une large robe de gaze enveloppait son beau corps sans le cacher, et pour tout ornement elle portait un collier composé de cœurs en lapis-lazuli, surmontés de croix et suspendus à un fil de perles d’or.

Pharaon parut sur le seuil de la salle; une vipère d’or ceignait son épaisse chevelure, et une calasiris, dont les plis ramenés par-devant formaient la pointe, lui entourait le corps de la ceinture aux genoux. Un seul gorgerin cerclait son cou aux muscles invaincus.

En apercevant le roi, Tahoser voulut se lever de son siège et se prosterner; mais Pharaon vint à elle, la releva et la fit asseoir.

«Ne t’humilie pas ainsi, Tahoser, lui dit-il d’une voix douce; je veux que tu sois mon égale; il m’ennuie d’être seul dans l’univers; quoique je sois tout-puissant et que je t’aie en ma possession, j’attendrai que tu m’aimes comme si je n’étais qu’un homme. Écarte toute crainte; sois une femme avec ses volontés, ses sympathies, ses antipathies, ses caprices; je n’en ai jamais vu; mais si ton cœur parle enfin pour moi, pour que je le sache, tends-moi, quand j’entrerai dans ta chambre, la fleur de lotus de ta coiffure.» Quoi qu’il fit pour l’empêcher, Tahoser se précipita aux genoux du Pharaon et laissa tomber une larme sur ses pieds nus.

«Pourquoi mon âme est-elle à Poëri?» se disait-elle en reprenant sa place sur son siège d’ivoire.

Timopht, mettant une main à terre et l’autre sur sa tête, pénétra dans la chambre:

«Roi, dit-il, un personnage mystérieux demande à te parler. Sa barbe immense descend jusqu’à son ventre; des cornes luisantes bossellent son front dénudé, et ses yeux brillent comme des flammes. Une puissance inconnue le précède, car tous les gardes s’écartent et toutes les portes s’ouvrent devant lui. Ce qu’il dit, il faut le faire, et je suis venu à toi au milieu de tes plaisirs, dût la mort punir mon audace.

– Comment s’appelle-t-il? dit le roi.

Timopht répondit; «Mosché.»

XV

Le roi passa dans une autre salle pour recevoir Mosché, et s’assit sur un trône dont les bras étaient formés par des lions; il entoura son cou d’un large pectoral, saisit son sceptre et prit une pose de superbe indifférence.

Mosché parut: un autre Hébreu, nommé Aharon, l’accompagnait. Quelque auguste que fût le Pharaon sur son trône d’or, entouré de ses oëris et de ses flabellifères, dans cette haute salle aux colonnes énormes, sur ce fond de peinture représentant les hauts faits de ses aïeux ou les siens, Mosché n’était pas moins imposant: la majesté de l’âge équivalait chez lui à la majesté royale; quoiqu’il eût quatre-vingts ans, il semblait d’une vigueur toute virile, et rien en lui ne trahissait les décadences de la sénilité. Les rides de son front et de ses joues, pareilles à des traces de ciseau sur du granit, le rendaient vénérable sans accuser la date des années; son cou brun et plissé se rattachait à ses fortes épaules par des muscles décharnés, mais puissants encore, et un lacis de veines drues se tordait sur ses mains que n’agitait pas le tremblement habituel aux vieillards. Une âme plus énergique que l’âme humaine vivifiait son corps, et sur sa face brillait, même dans l’ombre, une lueur singulière.

On eût dit le reflet d’un soleil invisible.

Sans se prosterner, comme c’était l’habitude lorsqu’on approchait du roi, Mosché s’avança vers le trône de Pharaon et lui dit:

«Ainsi a parlé l’éternel, le Dieu d’Israëclass="underline" «Laisse aller mon peuple, pour qu’il me célèbre une solennité au désert.» Pharaon répondit: «Qui est l’éternel dont je dois écouter la voix pour laisser partir Israël? Je ne connais pas l’éternel, et je ne laisserai pas partir Israël.» Sans se laisser intimider par les paroles du roi, le grand vieillard répéta avec netteté, car l’ancien bégaiement dont il était affligé avait disparu:

«Le Dieu des Hébreux s’est manifesté à nous. Nous voulons donc aller à une distance de trois jours dans le désert et y sacrifier à l’éternel, notre Dieu, de peur qu’il ne nous frappe de la peste ou du glaive.» Aharon confirma par un signe de tête la demande de Mosché.

«Pourquoi détournez-vous le peuple de ses occupations? répondit le Pharaon. Allez à vos travaux. Heureusement pour vous que je suis aujourd’hui d’humeur clémente, car j’aurais pu vous faire battre de verges, couper le nez et les oreilles, jeter tout vifs aux crocodiles. Sachez, je veux bien vous le dire, qu’il n’y a d’autre dieu qu’Ammon-Ra, l’être suprême et primordial, à la fois mâle et femelle, son propre père et sa propre mère, dont il est aussi le mari; de lui découlent tous les autres dieux qui relient le ciel à la terre, et ne sont que des formes de ces deux principes constituants; les sages le connaissent, et les prêtres qui ont longtemps étudié les mystères dans les collèges et au fond des temples consacrés à ses représentations diverses. N’alléguez donc pas un autre dieu de votre invention pour émouvoir les Hébreux à la révolte et les empêcher d’accomplir la tâche imposée. Votre prétexte de sacrifice est transparent: vous voulez fuir; retirez-vous de devant ma face et continuez à mouler l’argile pour mes édifices royaux et sacerdotaux, pour mes pyramides, mes palais et mes murailles. Allez; j’ai dit.» Mosché, voyant qu’il ne pouvait émouvoir le cœur du Pharaon, et que, s’il insistait, il exciterait sa colère, se retira en silence, suivi d’Aharon consterné.