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– Si leur dieu avait tant de puissance, dit Pharaon répondant à la crainte exprimée par Tahoser, les laisserait-il ainsi captifs, humiliés et pliant comme des bêtes de somme sous les plus durs travaux? Oublions donc ces vains prodiges et vivons en paix. Pense plutôt à l’amour que j’ai pour toi, et songe que Pharaon a plus de pouvoir que l’éternel, chimérique divinité des Hébreux.

– Oui, tu es le conculcateur des peuples, le dominateur des trônes, et les hommes sont devant toi comme les grains de sable que soulève le vent du sud; je le sais, répliqua Tahoser.

– Et pourtant je ne puis me faire aimer de toi, dit Pharaon en souriant.

– L’ibex a peur du lion, la colombe redoute l’épervier, la prunelle craint le soleil, et je ne te vois encore qu’à travers les terreurs et les éblouissements; la faiblesse humaine est longue à se familiariser avec la majesté royale. Un dieu effraie toujours une mortelle.

– Tu m’inspires le regret, Tahoser, de n’être pas le premier venu, un oëris, un monarque, un prêtre, un agriculteur, ou moins encore. Mais, puisque je ne saurais faire du roi un homme, je peux faire de la femme une reine et nouer la vipère d’or à ton front charmant. La reine n’aura plus peur du roi.

– Même lorsque tu me fais asseoir près de toi, sur ton trône, ma pensée reste agenouillée à tes pieds. Mais tu es si bon, malgré ta beauté surhumaine, ton pouvoir sans bornes et ton éclat fulgurant, que peut-être mon cœur s’enhardira et osera battre sur le tien.» C’est ainsi que devisaient Pharaon et Tahoser; la fille du prêtre ne pouvait oublier Poëri, et cherchait à gagner du temps en flattant de quelque espoir la passion du roi.

S’échapper du palais, aller retrouver le jeune Hébreu était chose impossible. Poëri, d’ailleurs, acceptait son amour plutôt qu’il ne le partageait. Ra’hel, malgré sa générosité, était une dangereuse rivale, et puis la tendresse de Pharaon touchait la fille du prêtre; elle eût désiré l’aimer, et peut-être en était-elle moins loin qu’elle ne le croyait.

XVI

A quelques jours de là, Pharaon côtoyait le Nil, debout sur son char et suivi de son cortège; il allait voir quel degré atteignait la crue du fleuve, lorsqu’au milieu du chemin se dressèrent comme deux fantômes Aharon et Mosché. Le roi retint ses chevaux, qui secouaient déjà leur bave sur la poitrine du grand vieillard immobile.

Mosché, d’une voix lente et solennelle, répéta son adjuration.

«Prouve par quelque miracle la puissance de ton Dieu, répondit le roi, et je t’accorde ta demande.» Se tournant vers Aharon, qui le suivait à quelques pas, Mosché dit:

«Prends ton bâton et étends la main sur les eaux des Égyptiens, sur leurs rivières, leurs fleuves, leurs lacs et leurs rassemblements d’eau; qu’ils deviennent du sang; il y aura du sang dans tout le pays d’Egypte, ainsi que dans les vases de bois et de pierre.» Aharon brandit sa verge et en frappa l’eau du fleuve.

La suite de Pharaon attendait le résultat avec anxiété. Le roi, qui portait un cœur d’airain dans une poitrine de granit, souriait dédaigneusement, se fiant à la science de ses hiéroglyphites pour confondre ces magiciens étrangers.

Dès que le bâton de l’Hébreu, ce bâton qui avait été serpent, frappa le fleuve, les eaux commencèrent à se troubler et à bouillonner, leur couleur limoneuse s’altéra d’une façon sensible: des tons rougeâtres s’y mêlèrent, puis toute la masse prit une sombre couleur de pourpre, et le Nil parut comme un fleuve de sang roulant des vagues écarlates et brodant ses rives d’écumes roses. On eût dit qu’il reflétait un immense incendie ou un ciel flamboyant d’éclairs; mais l’atmosphère était calme. Thèbes ne brûlait pas, et le bleu immuable s’étendait sur cette nappe rougie que tachetaient ça et là des ventres blancs de poissons morts. Les longs crocodiles squameux, s’aidant de leurs pattes coudées, émergeaient du fleuve sur la rive, et les lourds hippopotames, pareils à des blocs de granit rose recouverts d’une lèpre de mousse noire, s’enfuyaient à travers les roseaux ou levaient au-dessus du fleuve leurs mufles énormes, ne pouvant plus respirer dans cette eau sanglante.

Les canaux, les viviers, les piscines avaient pris les mêmes teintes, et les coupes pleines d’eau étaient rouges comme les cratères où l’on reçoit le sang des victimes.

Pharaon ne s’étonna pas de ce prodige, et il dit aux deux Hébreux:

«Ce miracle pourrait épouvanter une populace crédule et ignorante; mais il n’y a là rien qui me surprenne. Qu’on fasse venir Ennana et le collège des hiéroglyphites; ils vont refaire ce tour de magie.» Les hiéroglyphites vinrent, leur chef en tête: Ennana jeta un regard sur le fleuve roulant des flots empourprés, et il vit de quoi il s’agissait.

«Remets les choses en l’état primitif, dit-il au compagnon de Mosché, que je refasse ton enchantement.» Aharon frappa de nouveau le fleuve, qui reprit aussitôt sa couleur naturelle.

Ennana fit un signe d’approbation, comme un savant impartial qui rend justice à l’habileté d’un confrère. Il trouvait la chose bien faite pour quelqu’un qui n’avait pas eu, ainsi que lui, l’avantage d’étudier la sagesse dans les chambres mystérieuses du Labyrinthe, où quelques rares initiés peuvent seuls parvenir, tant les épreuves à subir sont rebutantes.

«A mon tour, dit-il, maintenant.»

Et il étendit sur le Nil sa canne gravée de signes hiéroglyphiques, en marmottant quelques mots d’une langue si ancienne qu’elle ne devait déjà plus être comprise au temps de Ménei, le premier roi d’Egypte; une langue de sphinx, aux syllabes de granit.

Une immense nappe rouge s’étendit soudainement d’une rive à l’autre, et le Nil recommença à rouler ses ondes sanglantes vers la mer.

Les vingt-quatre hiéroglyphites saluèrent le roi comme s’ils allaient se retirer.

«Restez», dit Pharaon.

Ils reprirent leur contenance impassible.

«N’as-tu pas d’autre preuve à me donner de ta mission que celle-là? Mes sages, comme tu vois, imitent assez bien tes prestiges.» Sans paraître découragé des paroles ironiques du roi, Mosché lui dit:

«Dans sept jours, si tu n’es pas décidé à laisser aller les Israélites au désert pour sacrifier à l’éternel selon leurs rites, je reviendrai et je ferai devant toi un autre miracle.» Au bout de sept jours, Mosché reparut. Il dit à son serviteur Aharon les paroles de l’éterneclass="underline"

«Étends ta main avec ton bâton sur les rivières, les fleuves, les étangs, et fais monter les grenouilles sur le pays d’Égypte.» Aussitôt qu’Aharon eut fait le geste, du fleuve, des canaux, des rivières, des marais surgirent des millions de grenouilles; elles couvraient les champs et les chemins, sautaient sur les marches des temples et des palais, envahissaient les sanctuaires et les chambres les plus retirées; et toujours des légions nouvelles succédaient aux premières apparues:

il y en avait dans les maisons, dans les pétrins, dans les fours, dans les coffres; on ne pouvait poser le pied nulle part sans en écraser une; mues comme par des ressorts, elles bondissaient entre les jambes, à droite, à gauche, en avant, en arrière. A perte de vue, on les voyait clapoter, sauteler, passer les unes sur les autres: car déjà la place leur manquait, et leurs rangs s’épaississaient, s’entassaient, s’empilaient; leurs innombrables dos verts formaient sur la campagne comme une prairie animée et vivante, où brillaient, pour fleurs, leurs yeux jaunes. Les animaux, chevaux, ânes, chèvres, effrayés et révoltés, fuyaient à travers champs, mais retrouvaient partout cette immonde pullulation.