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Sept jours et sept nuits, elle l'entraîna doucement. Parfois, Tristan harpait pour charmer sa détresse. Enfin, la mer, à son insu, l'approcha d'un rivage. Or, cette nuit-là, des pêcheurs avaient quitté le port pour jeter leurs filets au large, et ramaient, quand ils entendirent une mélodie douce, hardie et vive, qui courait au ras des flots. Immobiles, leurs avirons suspendus sur les vagues, ils écoutaient ; dans la première blancheur de l'aube, ils aperçurent la barque errante. « Ainsi, se disaient-ils, une musique surnaturelle enveloppait la nef de saint Brendan, quand elle voguait vers les îles Fortunées sur la mer aussi blanche que le lait. » Ils ramèrent pour atteindre la barque : elle allait à la dérive, et rien n'y semblait vivre, que la voix de la harpe ; mais, à mesure qu'ils approchaient, la mélodie s'affaiblit, elle se tut, et, quand ils accostèrent, les mains de Tristan étaient retombées inertes sur les cordes frémissantes encore. Ils le recueillirent et retournèrent vers le port pour remettre le blessé à leur dame compatissante qui saurait peut-être le guérir.

Hélas ! ce port était Weisefort, où gisait le Morholt, et leur dame était Iseut la Blonde. Elle seule, habile aux philtres, pouvait sauver Tristan ; mais, seule parmi les femmes, elle voulait sa mort. Quand Tristan, ranimé par son art, se reconnut, il comprit que les flots l'avaient jeté sur une terre de péril. Mais, hardi encore à défendre sa vie, il sut trouver rapidement de belles paroles rusées. Il conta qu'il était un jongleur qui avait pris passage sur une nef marchande ; il naviguait vers l'Espagne pour y apprendre l'art de lire dans les étoiles ; des pirates avaient assailli la nef : blessé, il s'était enfui sur cette barque. On le crut : nul des compagnons du Morholt ne reconnut le beau chevalier de l'île Saint-Samson, si laidement le venin avait déformé ses traits. Mais quand, après quarante jours, Iseut aux cheveux d'or l'eut presque guéri, comme déjà, en ses membres assouplis, commençait à renaître la grâce de la jeunesse, il comprit qu'il fallait fuir ; il s'échappa, et, après maints dangers courus, un jour il reparut devant le roi Marc.

Chapitre 3 LA QUÊTE DE LA BELLE AUX CHEVEUX D'OR

Il y avait à la cour du roi Marc quatre barons, les plus félons des hommes, qui haïssaient Tristan de male haine pour sa prouesse et pour le tendre amour que le roi lui portait. Et je sais vous redire leurs noms : Andret, Guenelon, Gondoïne et Denoalen ; or le duc Andret était, comme Tristan, un neveu du roi Marc. Connaissant que le roi méditait de

vieillir sans enfants pour laisser sa terre à Tristan, leur envie s'irrita, et, par des mensonges, ils animaient contre Tristan les hauts hommes de Cornouailles :

« Que de merveilles en sa vie ! disaient les félons ; mais vous êtes des hommes de grand sens, seigneurs, et qui savez sans doute en rendre raison. Qu'il ait triomphé du Morholt, voilà déjà un beau prodige ; mais par quels enchantements a-t-il pu, presque mort, voguer seul sur la mer ? Lequel de nous, seigneurs, dirigerait une nef sans rames ni voile ? Les magiciens le peuvent, dit-on. Puis, en quel pays de sortilège a-t-il pu trouver remède à ses plaies ? Certes, il est un enchanteur ; oui, sa barque était fée et pareillement son épée, et sa harpe est enchantée, qui chaque jour verse des poisons au cœur du roi Marc ! Comme il a su dompter ce cœur par puissance et charme de sorcellerie ! Il sera roi, seigneurs, et vous tiendrez vos terres d'un magicien ! »

Ils persuadèrent la plupart des barons : car beaucoup d'hommes ne savent pas que ce qui est du pouvoir des magiciens, le cœur peut aussi l'accomplir par la force de l'amour et de la hardiesse. C'est pourquoi les barons pressèrent le roi Marc de prendre à femme une fille de roi, qui lui donnerait des hoirs ; s'il refusait, ils se retireraient dans leurs forts châteaux pour le guerroyer. Le roi résistait et jurait en son cœur qu'aussi longtemps que vivrait son cher neveu, nulle fille de roi n'entrerait en sa couche. Mais, à son tour, Tristan qui supportait à grand'honte le soupçon d'aimer son oncle à bon profit, le menaça : que le roi se rendît à la volonté de sa baronnie ; sinon, il abandonnerait la cour, il s'en irait servir le riche roi de Gavoie. Alors Marc fixa un terme à ses barons : à quarante jours de là, il dirait sa pensée.

Au jour marqué, seul dans sa chambre, il attendait leur venue et songeait tristement : « Où donc trouver fille de roi si lointaine et inaccessible que je puisse feindre, mais feindre seulement, de la vouloir pour femme ? »

À cet instant, par la fenêtre ouverte sur la mer, deux hirondelles qui bâtissaient leur nid entrèrent en se querellant, puis, brusquement effarouchées, disparurent. Mais de leurs becs s'était échappé un long cheveu de femme, plus fin que fil de soie, qui brillait comme un rayon de soleil.

Marc, l'ayant pris, fit entrer les barons et Tristan, et leur dit :

« Pour vous complaire, seigneurs, je prendrai femme, si toutefois vous voulez quérir celle que j'ai choisie.

– Certes, nous le voulons, beau seigneur ; qui donc est celle que vous avez choisie ?

– J'ai choisi celle à qui fut ce cheveu d'or, et sachez que je n'en veux point d'autre ;

– Et de quelle part, beau seigneur, vous vient ce cheveu d'or ? qui vous l'a porté ? et de quel pays ?

– Il me vient, seigneurs, de la Belle aux cheveux d'or ; deux hirondelles me l'ont porté ; elles savent de quel pays. »

Les barons comprirent qu'ils étaient raillés et déçus. Ils regardaient Tristan avec dépit, car ils le soupçonnaient d'avoir conseillé cette ruse. Mais Tristan, ayant considéré le cheveu d'or, se souvint d'Iseut la Blonde. Il sourit et parla ainsi :

« Roi Marc, vous agissez à grand tort ; et ne voyez-vous pas que les soupçons de ces seigneurs me honnissent ? Mais vainement vous avez préparé cette dérision : j'irai quérir la Belle aux cheveux d'or. Sachez que la quête est périlleuse et qu'il me sera plus malaisé de retourner de son pays que de l'île où j'ai tué le Morholt ; mais de nouveau je veux mettre pour vous, bel oncle, mon corps et ma vie à l'aventure. Afin que vos barons connaissent si je vous aime d'amour loyal, j'engage ma foi par ce serment : ou je mourrai dans l'entreprise, ou je ramènerai en ce château de Tintagel la Reine aux blonds cheveux.»

Il équipa une belle nef, qu'il garnit de froment, de vin, de miel et de toutes bonnes denrées. Il y fit monter, outre Gorvenal, cent jeunes chevaliers de haut parage, choisis parmi les plus hardis, et les affubla de cottes de bure et de chapes de camelin grossier, en sorte qu'ils ressemblaient à des marchands ; mais, sous le pont de la nef, ils cachaient les riches habits de drap d'or, de cendal et d'écarlate, qui conviennent aux messagers d'un roi puissant.

Quand la nef eut pris le large, le pilote demanda :

« Beau seigneur, vers quelle terre naviguer ?

– Ami, cingle vers l'Irlande, droit au port de Weisefort. »

Le pilote frémit. Tristan ne savait-il pas que, depuis le meurtre du Morholt, le roi d'Irlande pourchassait les nefs cornouaillaises ? Les mariniers saisis, il les pendait à des fourches. Le pilote obéit pourtant et gagna la terre périlleuse.

D'abord, Tristan sut persuader aux hommes de Weisefort que ses compagnons étaient des marchands d'Angleterre venus pour trafiquer en paix. Mais, comme ces marchands d'étrange sorte consumaient le jour aux nobles jeux des tables et des échecs et paraissaient mieux s'entendre à manier les dés qu'à mesurer le froment, Tristan redoutait d'être découvert, et ne savait comment entreprendre sa quête.

Or, un matin, au point du jour, il ouït une voix si épouvantable qu'on eût dit le cri d'un démon. Jamais il n'avait entendu bête glapir en telle guise, si horrible et si merveilleuse. Il appela une femme qui passait sur le port :