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« Je le note, dit Aragorn. Mais j’ai remarqué aussi que ce vieillard portait un chapeau, et non un capuchon. Je n’en suis pas moins convaincu que vous devinez juste ; que le danger nous guette ici, de jour comme de nuit. Mais en attendant, il n’y a rien d’autre à faire que de nous reposer tant que nous le pourrons. Je vais faire le guet pendant quelque temps, Gimli. J’ai bien plus besoin de réfléchir que de dormir. »

La nuit passa lentement. Legolas releva Aragorn, et Gimli releva Legolas, et les tours de garde se succédèrent. Mais il ne se passa rien. Le vieillard demeura invisible, et les chevaux ne revinrent pas.

3Les Uruk-hai

Pippin était plongé dans un rêve sombre et tourmenté : il lui semblait entendre sa petite voix grêle résonnant dans des tunnels noirs, criant : Frodo, Frodo ! Mais au lieu de Frodo, c’étaient des centaines de figures d’Orques qui lui lançaient des regards affreux, grimaçant parmi les ombres ; des centaines de bras horribles qui tentaient de l’agripper, surgissant de toutes parts. Où était Merry ?

Il se réveilla. Un air froid soufflait sur son visage. Il était étendu sur le dos. Le soir descendait et le ciel s’assombrissait. Se retournant, il s’aperçut que le rêve n’était pas beaucoup plus horrible que la réalité. Il était ligoté aux poignets, aux jambes et aux chevilles. Merry gisait à ses côtés, livide, un morceau d’étoffe crasseuse passé autour du front. Une grande compagnie d’Orques, certains debout, d’autres assis, se tenait tout autour d’eux.

Pippin sentit que le souvenir se reconstituait peu à peu dans sa tête endolorie, se détachant des ombres du rêve. Bien sûr : Merry et lui étaient partis en courant dans les bois. Qu’est-ce qui leur avait pris ? Pourquoi s’étaient-ils précipités ainsi, sans faire attention au vieil Arpenteur ? Ils avaient couru longtemps sans s’arrêter de crier – il ne pouvait se rappeler jusqu’où ni pendant combien de temps ; puis, tout à coup, ils s’étaient retrouvés nez à nez avec une troupe d’Orques qui se tenait là, l’oreille tendue, et qui n’avait pas paru s’aviser de leur présence avant qu’ils fussent pratiquement dans leurs bras. Puis ils s’étaient mis à hurler, et des dizaines d’autres gobelins avaient surgi des arbres. Merry et lui avaient dégainé, mais les Orques ne souhaitaient aucunement se battre ; ils ne cherchaient qu’à s’emparer d’eux, même après que Merry eut tranché plusieurs bras et mains. Ce bon vieux Merry !

Boromir était alors arrivé, bondissant à travers les arbres. Il les avait forcés à se battre. Nombre d’entre eux étaient tombés sous ses coups, et le reste s’était enfui. Mais à peine s’étaient-ils mis à rebrousser chemin qu’ils avaient essuyé une nouvelle attaque, forte d’au moins une centaine d’Orques, parfois très gros, qui avaient décoché une pluie de flèches – toutes sur Boromir. Boromir avait sonné de son grand cor jusqu’à ce que les bois retentissent de ses appels, semant d’abord la consternation chez les Orques, qui s’étaient repliés ; mais comme il n’y avait eu d’autre réponse que les échos, les Orques étaient revenus à la charge, plus acharnés que jamais. Pippin ne se rappelait pas grand-chose d’autre. La dernière image qui lui restait était celle de Boromir appuyé contre un arbre, s’arrachant une flèche ; puis tout à coup, les ténèbres étaient tombées.

« J’ai dû recevoir un coup sur la tête, se dit-il. J’espère que ce pauvre Merry n’est pas gravement blessé. Qu’est-il arrivé à Boromir ? Pourquoi les Orques ne nous ont-ils pas tués ? Où sommes-nous, et où allons-nous ? »

Il était sans réponse à ces questions. Il avait froid et mal au cœur. « Je voudrais bien que Gandalf n’ait jamais convaincu Elrond de nous laisser partir, pensa-t-il. Qu’est-ce que j’ai fait de bon ? Sinon de gêner les autres : un passager, un simple bagage. Et voilà que j’ai été dérobé, et je ne suis plus qu’un simple bagage – pour les Orques. J’espère que l’Arpenteur viendra nous réclamer, ou quelqu’un ! Mais dois-je l’espérer ? Est-ce que ça ne ficherait pas tous les plans à l’eau ? J’aimerais tellement pouvoir me libérer ! »

Il se débattit un peu, bien inutilement. L’un des Orques assis à côté se mit à rire, et il s’adressa à un compagnon dans leur langue abominable. « Repose-toi pendant que tu peux, petite andouille ! dit-il alors à Pippin dans le parler commun, qu’il rendait presque aussi hideux que son propre baragouin. Repose-toi donc ! Tes jambes vont servir bien assez vite. Tu souhaiteras n’en avoir jamais eu avant qu’on soit rentrés. »

« Si j’étais libre d’en faire à ma tête, tu voudrais être mort depuis longtemps, dit l’autre. Je te ferais couiner, misérable petit rat ! » Il se pencha sur Pippin, qui vit les crocs jaunâtres de l’Orque tout près de sa figure. Il avait à la main un long couteau noir à lame dentelée. « Tiens-toi tranquille, sinon je te chatouille avec ça, siffla-t-il. Si tu te fais trop remarquer, je pourrais oublier mes ordres. Maudits soient les Isengardiens ! Uglúk u bagronk sha pushdug Saruman-glob búbhosh skai » : il entama alors dans sa langue un long et furieux discours qui dégénéra peu à peu en marmottages et en grognements.

Terrifié, Pippin s’efforça de ne plus bouger, même si ses poignets et ses chevilles le faisaient de plus en plus souffrir, tout comme les pierres qui lui creusaient le dos. Afin de ne plus trop se sentir, il prêta une oreille attentive à tout ce qu’il pouvait entendre. De nombreuses voix l’entouraient, et bien que le parler des Orques parût par nature empli de haine et de colère, il lui semblait néanmoins qu’une sorte de querelle avait éclaté, et qu’elle s’envenimait.

Pippin fut surpris de constater qu’une grande partie des échanges lui étaient intelligibles : de nombreux Orques parlaient la langue ordinaire. Visiblement, il était en présence de deux ou trois tribus très différentes qui, chacune dans son parler orque, ne pouvaient se comprendre. Un violent débat faisait rage quant à savoir ce qu’il convenait de faire : de quel côté l’on irait, ce que l’on ferait des prisonniers.

« Pas le temps de les tuer comme il le faudrait, dit l’un d’eux. Pas le temps de s’amuser dans cette expédition. »

« Ça, on n’y peut rien, dit un autre. Mais pourquoi pas les tuer vite fait, là, tout de suite ? Ces sales gêneurs nous cassent les pieds, et nous, on est pressés. Le soir approche et on ferait mieux de se dépêcher. »

« Les ordres, dit un troisième en un profond grondement. Tuez-les tous, SAUF les Demi-Hommes ; ceux-là, il faut les ramener VIVANTS aussi vite que possible. C’est ça, mes ordres. »

« Qu’est-ce qu’on leur veut ? demandèrent plusieurs voix. Pourquoi vivants ? Ils donnent du bon temps ? »

« Non ! J’ai entendu dire que l’un d’eux a quelque chose avec lui, quelque chose d’utile pour la Guerre, un genre de combine d’Elfe. Qu’importe, les deux seront interrogés. »

« C’est tout ce que t’en sais ? Pourquoi on les fouillerait pas, pour voir ? On trouverait peut-être quelque chose qui pourrait nous servir à nous. »

« C’est là une remarque très intéressante, dit une voix railleuse, plus douce mais plus malveillante que les autres. Je devrais peut-être la signaler à qui de droit. Les prisonniers ne doivent PAS être fouillés ni dépouillés : voilà quels sont mes ordres. »