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« L’autre, maintenant ! » dit Uglúk. Pippin le vit aller trouver Merry étendu non loin, et lui donner un coup de pied. Merry gémit. Uglúk l’empoigna brutalement, le mit sur son séant et lui arracha le bandage qui lui ceignait le front. Puis il barbouilla la blessure d’un enduit noir qu’il conservait dans une petite boîte de bois. Merry poussa un cri et se débattit violemment.

Il y eut des applaudissements et des huées parmi les Orques. « Même pas capable de prendre son médicament ! raillèrent-ils. Sait pas ce qui est bon pour lui. Aï ! On va s’amuser tout à l’heure. »

Mais pour lors, Uglúk pensait à tout autre chose qu’à se divertir. Il était pressé, et il lui fallait le concours des récalcitrants. Il soignait Merry à la manière orque ; et son traitement ne tarda pas à agir. Il obligea le hobbit à prendre une lampée, le débarrassa des liens qui lui retenaient les jambes, et enfin le remit sur pied, sans grande délicatesse ; alors Merry se tint debout, pâle mais sévère et insoumis, et on ne peut plus vivant. Son front balafré ne l’embêta plus, mais il devait porter une cicatrice brune jusqu’à la fin de ses jours.

« Ça alors, Pippin ! dit-il. Te voilà aussi dans cette petite expédition, à ce que je vois ? Quand est-ce qu’on nous sert le petit déjeuner au lit ? »

« Ho ! fit Uglúk. Pas de ça ! Fermez vos clapets. Pas de bavardage. Si vous faites des problèmes, ça va se savoir à l’autre bout, et Il vous le fera payer. Vous aurez de quoi déguster, croyez-moi : petit déjeuner et bien plus encore. »

La bande d’Orques emprunta alors un ravin étroit qui menait dans la plaine brumeuse. Merry et Pippin, séparés par une douzaine d’Orques au moins, descendirent avec eux. En bas, les hobbits mirent les pieds dans l’herbe et reprirent courage.

« Maintenant, tout droit ! cria Uglúk. À l’ouest et un peu au nord. Suivez Lugdush. »

« Mais qu’est-ce qu’on va faire quand le soleil se lèvera ? » objectèrent quelques Orques du Nord.

« Continuer à courir, dit Uglúk. Vous pensiez faire quoi ? Vous asseoir dans l’herbe en attendant que les Peaux-Blanches se joignent au pique-nique ? »

« Mais on ne peut pas courir au soleil. »

« Vous allez courir si c’est moi qui vous suis, dit Uglúk. Courez ! Ou vous ne reverrez plus jamais vos trous chéris. Par la Main Blanche ! Qu’est-ce qui m’a fichu cette vermine des montagnes à moitié entraînée ! Courez, maudite engeance ! Courez pendant qu’il fait encore nuit ! »

Toute la compagnie se mit alors à courir de la longue foulée bondissante des Orques. Ils allaient sans ordre, se poussant, se bousculant et s’invectivant ; mais ils n’en allaient pas moins à très vive allure. Chaque hobbit était flanqué de trois gardiens. Pippin se trouvait loin à l’arrière du convoi. Il se demandait combien de temps il pourrait tenir un tel rythme, lui qui n’avait rien mangé depuis le matin. L’un de ses gardiens maniait un fouet. Mais, pour le moment, la boisson orque le tenait encore au chaud. Et il avait retrouvé toute sa présence d’esprit.

De temps à autre lui venait en tête, sans qu’il le voulût, une vision du fin visage de l’Arpenteur penché sur une piste sombre et courant, courant derrière lui. Mais que discernerait même un Coureur, sinon une série de pieds d’Orques imprimés les uns sur les autres ? Ses minuscules empreintes à lui, comme celles de Merry, se perdaient dans le piétinement des chaussures ferrées qui allaient devant eux, derrière eux et de chaque côté.

Ils n’avaient pas franchi plus d’un mille depuis le bas de la falaise quand le pays se mit à descendre dans une vaste dépression peu profonde, au sol humide et moelleux. Un brouillard s’étendait là, pâle et miroitant, sous les derniers rayons de la lune cornue. Les formes sombres des Orques du devant, de plus en plus indistinctes, furent bientôt complètement voilées.

« Aï ! Pas si vite ! » cria Uglúk à l’arrière.

Une idée fit soudain irruption dans l’esprit de Pippin, et il la mit aussitôt à exécution. Virant brusquement à droite, il plongea tête baissée dans la brume, échappant à l’étreinte de son gardien, puis il s’étala de tout son long dans l’herbe.

« Halte ! » hurla Uglúk.

Il y eut un moment de tumulte et de confusion. Pippin se releva d’un bond et courut à toutes jambes. Mais les Orques étaient à ses trousses. D’autres surgirent soudain juste devant lui.

« Aucune chance ! se dit Pippin. Mais j’ai au moins espoir d’avoir laissé quelques empreintes visibles sur le sol humide. » Il porta ses mains à sa gorge et dégrafa la broche de sa cape du mieux qu’il le put. Au moment même où il sentait de longs bras le saisir dans une poigne d’acier, il la laissa tomber. « Je suppose qu’elle y restera jusqu’à la fin des temps, se dit-il. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Si les autres ont pu s’échapper, ils sont sûrement tous partis avec Frodo. »

Une lanière de fouet s’enroula autour de ses jambes, et il étouffa un cri. « Assez ! fit Uglúk, accourant. Il lui reste encore un grand bout à faire. Faites-les courir tous les deux ! Le fouet doit servir de rappel, pas plus.

« Mais c’est pas tout, ça, dit-il avec hargne, se tournant vers Pippin. J’oublierai pas. Tu perds rien pour attendre. Tu vas payer. Allez, grouille ! »

Ni Pippin ni Merry ne purent se rappeler grand-chose de la seconde moitié du voyage. De mauvais rêves et de mauvais réveils se fondaient en un long tunnel de souffrance, où l’espoir se faisait toujours plus lointain derrière eux. Ils couraient, couraient, s’efforçant de tenir l’allure des Orques, cinglés de temps à autre par une lanière cruelle, maniée avec adresse. S’ils s’arrêtaient ou trébuchaient, ils étaient saisis et traînés sur une certaine distance.

La chaleur de la boisson orque s’était dissipée. Pippin avait de nouveau froid et mal au cœur. Tout à coup, il tomba face contre terre dans l’herbe. De rudes mains aux ongles mordants l’agrippèrent et le soulevèrent. Encore une fois, on le transportait comme un sac ; les ténèbres grandissaient autour de lui. Étaient-ce les ténèbres d’une autre nuit, ou ses yeux ne voyaient-ils plus ? Il n’aurait su le dire.

Il eut vaguement conscience d’une clameur : on eût dit que les Orques réclamaient une halte. Uglúk hurlait. Il se sentit jeté à terre, et il resta étendu comme il était tombé, bientôt en proie à des rêves noirs. Mais il ne put échapper longtemps à la douleur, car l’étau de mains impitoyables ne tarda pas à se refermer sur lui. Il fut longuement cahoté et secoué, puis les ténèbres reculèrent peu à peu. Il retrouva le monde éveillé et vit que le jour se levait. On vociféra des ordres, et il fut brutalement jeté dans l’herbe.

Il y resta quelque temps étendu, luttant contre le désespoir. La tête lui tournait, mais à la chaleur de son corps, il devinait qu’on lui avait fait avaler une autre gorgée. Un Orque se pencha sur lui et lui lança du pain, ainsi qu’une lanière de viande crue et séchée. Il mangea goulûment le pain gris et rassis, mais non la viande. Il était affamé, mais pas suffisamment, pas encore, pour accepter de la chair jetée par un Orque, chair dont il n’osait imaginer la provenance.

Il se dressa sur son séant et regarda alentour. Merry n’était pas loin. Ils se trouvaient près des berges d’une rivière rapide et étroite. Des montagnes se dressaient devant eux : une haute cime attrapait les premiers rayons du soleil. Une forêt s’accrochait sur ses pentes basses, telle une grande tache sombre.

Les cris et les altercations se multipliaient parmi les Orques ; une querelle semblait sur le point d’éclater de nouveau entre ceux du Nord et les Isengardiens. Certains désignaient un endroit quelque part loin au sud, d’autres pointaient le doigt vers l’est.

« Très bien, dit Uglúk. Laissez-les-moi, alors ! Interdiction de tuer, comme je vous l’ai déjà dit ; mais si vous voulez renoncer à ce que nous sommes allés chercher si loin, allez-y ! Je vais m’en occuper. Laissez tout le boulot aux Uruk-hai combattants, comme toujours. Si vous avez peur des Peaux-Blanches, filez ! Sauvez-vous ! La forêt est là, beugla-t-il, montrant devant lui. Grouillez-vous ! C’est votre meilleure chance. Allez ! Ouste, avant que je fasse sauter encore une ou deux têtes, histoire de raisonner un peu les autres. »