Выбрать главу

Se tournant sur sa chaise, Nynaeve dévisagea Siuan et Leane. Dès qu’elle pouvait les arracher à leurs occupations, elle les soumettait à ces séances. Ça durait depuis des jours, et jusque-là, elle n’avait rien appris. Soudain, elle s’avisa qu’elle faisait distraitement tourner le bracelet autour de son poignet. Si utile que ce fût, elle détestait être unie à cette femme. Cette intimité la rendait malade.

Au moins, ça pourrait me permettre d’apprendre certaines choses… Et sans que ça tourne plus mal que tout le reste, par-dessus le marché !

Avec de grandes précautions, Nynaeve ouvrit le bracelet – si on n’était pas initiée, impossible de trouver le fermoir – et le tendit à Siuan.

— Mets-le à ton poignet.

Perdre le contact avec le Pouvoir était désagréable, mais il fallait s’y résigner. De plus, être coupée des vagues d’émotions faisait l’effet d’un bon bain.

Marigan, comme hypnotisée, ne parvenait pas à détourner les yeux de l’étroite bande de métal.

— Pourquoi ? demanda Siuan. Tu m’as dit que ça fonctionne seulement sur…

— Mets-le, c’est tout !

L’ancienne Chaire d’Amyrlin défia un long moment Nynaeve du regard. Par la Lumière ! ce qu’elle pouvait être têtue ! Puis elle consentit à faire ce qu’on lui demandait. Aussitôt, elle parut stupéfiée, puis plissa les yeux pour mieux étudier Marigan.

— Elle nous hait, mais ça, je le savais déjà… J’ai aussi capté de la peur… et de la surprise. Rien ne transparaît sur son visage, pourtant, elle est ébranlée de la racine des cheveux à la pointe des pieds. Selon moi, elle ne croyait pas que je pouvais aussi utiliser cet… objet.

Marigan frémit nerveusement. Jusque-là, seules deux femmes qui savaient la vérité à son sujet étaient en mesure de recourir au bracelet. S’il y en avait quatre, ça ferait deux fois plus de questions. En surface, elle semblait coopérer sans réserve, mais comment déterminer ce qu’elle cachait ? D’après Nynaeve, la réponse était sûrement : « Tout ce qu’elle peut dissimuler. »

Siuan secoua la tête en soupirant :

— Et elle avait raison, parce que ça ne fonctionne pas. Si j’ai bien compris, par son intermédiaire, je devrais pouvoir entrer en contact avec la Source ? Eh bien, rien du tout ! Et avant que j’y arrive, les grondins auront appris à monter aux arbres ! J’ai été calmée, et voilà tout. Comment enlève-t-on ce machin ? (Siuan tira sur le bracelet.) Comment s’en débarrasse-t-on ?

Nynaeve posa délicatement une main sur celle de Siuan qui brutalisait le bracelet.

— Tu ne comprends donc pas ? Sur une femme incapable de canaliser, le bracelet ne fonctionne pas plus que le collier. Si je faisais porter un de ces bijoux à une cuisinière, ce ne serait rien d’autre qu’un ornement à ses yeux.

— Cuisinière ou pas, grogna Siuan, je ne peux pas canaliser, parce qu’on m’a calmée.

— Mais une guérison est possible ! Sinon, tu ne sentirais rien du tout par l’intermédiaire du bracelet.

Siuan dégagea son bras et tendit son autre poignet.

— Enlève-moi ça !

Résignée, Nynaeve s’exécuta. Parfois, l’ancienne Chaire d’Amyrlin pouvait se montrer plus obstinée qu’un homme. En revanche, lorsqu’elle proposa le bracelet à Leane, la Gardienne déchue tendit avidement le poignet. La Domani faisait mine d’être aussi radicale que Siuan au sujet de ce qu’on lui avait fait subir – en tout cas, aussi radicale que son amie prétendait l’être – mais elle n’y parvenait pas en toutes occasions. D’après ce qu’on disait, la seule façon de survivre longtemps, après avoir été calmée, était de se trouver un autre centre d’intérêt que le Pouvoir, afin de combler le trou béant laissé par son absence. Pour Siuan et Leane, ce dérivatif consistait à diriger un réseau d’agents et, plus important encore, à tenter de convaincre les Aes Sedai de Salidar de soutenir Rand al’Thor – en d’autres termes, de reconnaître qu’il était le Dragon Réincarné. Bien sûr, aucune des sœurs ne devait se douter de ce qu’elles manigançaient.

Ce nouveau centre d’intérêt était-il suffisant ? À voir l’expression amère de Siuan et la quasi-extase de Leane, lorsque le bracelet se referma sur son poignet, on pouvait légitiment en douter. Et se demander si le fameux vide serait un jour comblé…

— Oui ! Oui ! s’exclama Leane.

Elle s’exprimait toujours ainsi – sans détours ni fioritures – sauf lorsqu’elle s’adressait à un homme. Domani jusqu’au bout des ongles, elle s’appliquait, depuis sa « chute », à rattraper le temps perdu durant son séjour à la Tour Blanche.

— Oui ! Elle est vraiment stupéfaite, même si elle commence à se ressaisir.

Un moment, Leane étudia la femme assise sur le tabouret. Alors que Marigan soutenait agressivement son regard, elle finit par hausser les épaules :

— Je ne peux pas non plus entrer en contact avec la Source. J’ai essayé de lui faire sentir une piqûre de puce sur sa cheville. Si j’avais réussi, elle aurait réagi d’une façon ou d’une autre.

Une autre particularité du bracelet… Par son intermédiaire, on pouvait communiquer des sensations physiques à la porteuse du collier. Uniquement des sensations, quoi que l’on fasse, sans que ça laisse jamais de traces ni de véritables dégâts. Mais la simple impression d’être fouettée, en une ou deux occasions, avait suffi à convaincre Marigan qu’il valait mieux collaborer. Bien entendu, l’autre possibilité – un jugement sommaire suivi d’une exécution tout aussi hâtive – avait dû contribuer à la persuader.

Malgré son échec, Leane regarda attentivement Nynaeve lorsqu’elle lui retira le bracelet puis le repassa à son poignet. Apparemment, elle n’avait pas abdiqué tout espoir de canaliser de nouveau le Pouvoir, contrairement à sa compagne.

Entrer de nouveau en contact avec le Pouvoir se révéla délicieux. Pas autant que de puiser directement du saidar puis d’en être emplie, mais toucher la Source par l’intermédiaire de Marigan fit pourtant circuler plus vite le sang de Nynaeve. Lorsque le saidar coulait en elle, ça lui donnait envie de rire et de danser pour exprimer la joie la plus pure qui fût. Un jour, pourtant, elle y serait habituée, comme il convenait pour toute Aes Sedai confirmée. Mais pour accéder à cette ivresse, se lier à Marigan était au fond un prix acceptable…

— Maintenant que nous savons qu’il y a une chance, dit Nynaeve, je pense que…

La porte s’ouvrit à la volée et l’ancienne Sage-Dame se leva d’instinct. Elle ne pensait jamais à utiliser le Pouvoir, et elle aurait bien crié si sa gorge n’avait pas été si serrée. Elle n’était pas la seule dans ce cas, mais elle s’aperçut à peine que Siuan et Leane s’étaient elles aussi levées d’un bond. Quant à la peur qui se déversait du bracelet, elle semblait être le fidèle reflet de la sienne.

La jeune femme qui referma derrière elle le battant de bois esquilleux ne parut pas avoir conscience du trouble qu’elle avait semé. Grande, se tenant très droite dans sa robe blanche d’Acceptée, ses cheveux blonds bouclés ondoyant sur ses épaules, elle semblait folle de rage. Pourtant, même avec cet air furieux et la sueur qui ruisselait sur son visage, elle réussissait à resplendir de beauté. Une frappante particularité d’Elayne.

— Vous savez ce qu’elles font ? rugit-elle. Elles envoient une délégation à Caemlyn ! Et elles refusent que je l’accompagne. Sheriam m’a interdit d’évoquer de nouveau cette possibilité. Je n’ai même pas le droit d’aborder le sujet.