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— Cuisinières ou pas, déclara froidement Siuan, je ne peux pas canaliser. J’ai été désactivée.

— Mais il y a là quelque chose à Guérir, insista Nynaeve, sinon vous ne sentiriez rien à travers le bracelet. »

Siuan libéra son bras d’un geste brusque et tendit son poignet. « Enlevez-le. » Secouant la tête, Nynaeve obéit. Parfois Siuan se montrait aussi obstinée qu’un homme !

Quand elle présenta le bracelet à Leane, la Domanie tendit son poignet avec empressement. Leane feignait d’être aussi persuadée que Siuan d’avoir été désactivée – comme Siuan le prétendait – mais elle n’y réussissait pas toujours. En principe, le seul moyen de survivre longtemps à la désactivation était de trouver quelque chose d’autre pour combler votre vie, pour combler le vide laissé par le Pouvoir Unique. Pour Siuan et Leane, ce quelque chose était diriger leurs réseaux d’agents et, plus important, essayer de convaincre les Aes Sedai ici dans Salidar d’apporter leur soutien à Rand al’Thor en tant que Dragon Réincarné sans qu’aucune de ces Aes Sedai ne s’en rende compte. Cela suffisait-il, voilà la question. L’amertume sur le visage de Siuan et le ravissement sur celui de Leane quand le bracelet se referma signifiaient que peut-être rien ne suffirait jamais.

« Oh, oui. » Leane s’exprimait d’une façon brève en syncopant les syllabes. Sauf quand elle s’entretenait avec des hommes en tout cas ; elle était une Domanie, en somme, et ces derniers temps mettait les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu à la Tour. « Oui, elle est vraiment abasourdie, n’est-ce pas ? Elle commence à se reprendre, néanmoins. » Pendant quelques instants, elle resta assise en silence, dévisageant la femme assise sur le tabouret. Marigan l’observait en retour avec défiance. Finalement, Leane haussa les épaules. « Je ne parviens pas non plus à atteindre la Source. Et j’ai essayé de lui faire sentir une piqûre de puce sur sa cheville. Si cela avait marché, elle aurait eu une réaction quelconque. » C’était l’autre faculté du bracelet ; on pouvait faire éprouver des sensations – quoi que vous choisissiez, il n’y avait aucune marque, pas de lésion réelle – mais la sensation d’une volée de coups de fouet ou deux avait suffi à convaincre Marigan que coopérer était son meilleur choix. Entre cela et l’autre possibilité, un court procès suivi de son exécution.

En dépit de son échec, Leane regarda attentivement Nynaeve ouvrir le bracelet et le refermer sur son propre poignet. Apparemment elle, du moins, n’avait pas renoncé à canaliser de nouveau un jour.

Recouvrer le Pouvoir était merveilleux. Pas autant qu’attirer elle-même à elle la Saidar, s’en emplir, mais même toucher la Source à travers l’autre femme était comme de multiplier par deux la vie dans ses veines. Avoir en soi la Saidar, c’était vouloir rire et danser de pure joie. Elle supposait qu’un jour elle s’y habituerait ; les Aes Sedai consacrées devaient l’être. En contrepartie, se lier avec Marigan était un prix modeste à payer. « Maintenant que nous savons qu’il y a une chance, dit-elle, je pense… »

La porte s’ouvrit avec fracas et Nynaeve fut debout avant de se rendre compte qu’elle se levait. Elle ne pensait jamais à utiliser le Pouvoir ; elle aurait crié si sa gorge n’avait pas été serrée. Elle n’était pas la seule, mais elle remarqua à peine que Siuan et Leane se dressaient d’un bond. La peur qui déferlait en cascade à travers le bracelet semblait être un écho de la sienne.

La jeune femme qui referma derrière elle le battant de bois plein d’échardes ne s’aperçut pas de l’émotion qu’elle avait suscitée. Grande, très droite, en robe blanche à bandes uniforme des Acceptées, avec des boucles d’un blond éclatant reposant sur ses épaules, elle avait l’air folle de rage. Même les traits crispés par la colère et la sueur qui ruisselait dessus, elle parvenait pourtant en quelque sorte à être belle ; c’est le don qu’avait Élayne. « Savez-vous ce qu’elles font ? Elles envoient une ambassade à… à Caemlyn ! Et elles refusent de me laisser partir ! Sheriam m’a interdit de le redemander. M’a même interdit d’en parler.

— N’avez-vous jamais appris à frapper, Élayne ? » Nynaeve remit sa chaise d’aplomb et se rassit. Se laissa tomber, en réalité ; le soulagement lui rendait les jambes en coton. « J’ai cru que vous étiez Sheriam. » Rien que l’idée d’être découverte lui creusait comme un trou dans les entrailles.

À son honneur, Élayne rougit et s’excusa aussitôt. Puis gâcha ce bel effet en ajoutant : « Mais je ne vois pas pourquoi vous étiez si affolées. Birgitte est toujours dehors et vous savez bien qu’elle vous aurait prévenues si quelqu’un d’autre s’était approché. Nynaeve, il faut absolument qu’elles me permettent de partir.

— Il ne faut absolument pas qu’elles permettent ce genre de chose », déclara Siuan d’une voix rogue. Elle et Leane étaient de nouveau assises, elles aussi. Siuan se tenait droite comme un i, selon son habitude, mais Leane était affaissée contre le dossier de son siège, en coton comme les genoux de Nynaeve. Marigan était appuyée à la paroi, la respiration haletante, les yeux clos et les mains plaquées contre le crépi du mur. Des sursauts de soulagement et de terreur absolue se succédaient alternativement par l’entremise du bracelet.

« Mais… »

Siuan n’autorisa pas Élayne à prononcer un mot de plus. « Croyez-vous que Sheriam, ou n’importe laquelle des autres, va laisser la Fille-Héritière d’Andor tomber entre les mains du Dragon Réincarné ? Alors que votre mère est morte…

— Je ne le crois pas ! s’exclama sèchement Élayne.

— Vous ne croyez pas que Rand l’a tuée, poursuivit Siuan d’un ton inflexible, et c’est différent. Je ne le crois pas non plus. Pourtant si Morgase était vivante, elle s’avancerait pour le reconnaître comme le Dragon Réincarné. Ou, si elle était convaincue qu’il est un faux Dragon en dépit des preuves, elle organiserait une résistance. Personne parmi mes yeux-et-oreilles n’en a entendu souffler mot. Pas seulement en Andor, mais ici dans l’Altara et dans le Murandy.

— Ils sont au courant, protesta Élayne. Il y a une rébellion dans l’Ouest.

— Contre Morgase. Contre elle. Si ce n’est pas aussi un faux bruit. » La voix de Siuan était aussi unie qu’une planche rabotée. « Votre mère est morte, mon petit. Mieux vaut l’admettre et en finir avec vos larmes et votre deuil. »

Le menton d’Élayne se redressa, une habitude fort exaspérante qu’elle avait ; elle était la personnification de l’arrogance glaciale, encore que la plupart des hommes aient l’air de trouver cette attitude séduisante on ne sait trop pourquoi. « Vous vous plaignez constamment du temps qu’il faut pour entrer en contact avec tous vos agents, déclara-t-elle froidement, mais je ne m’attarderai pas à discuter si vous pouvez avoir entendu tout ce qu’il y a à apprendre. Que ma mère soit ou non vivante, ma place est à Caemlyn maintenant. C’est moi la Fille-Héritière. »

Le rire sec de Siuan fit sursauter Nynaeve. « Vous avez été Acceptée assez longtemps pour savoir à quoi vous en tenir. » Il y avait mille ans que l’on n’avait pas vu de potentiel pareil à celui d’Élayne. Pas aussi prometteur que celui de Nynaeve, au cas où elle deviendrait capable de canaliser à volonté, mais cependant assez pour que n’importe quelle Aes Sedai s’émerveille. Le nez d’Élayne se plissa – elle était parfaitement consciente que serait-elle déjà sur le Trône du Lion les Aes Sedai l’auraient emmenée pour la former, en le demandant si c’était possible, en la fourrant dans un tonneau si nécessaire – et elle ouvrit la bouche, mais Siuan poursuivit sans même ralentir. « D’accord, elles ne s’offusqueraient pas que vous montiez sur le trône plus tôt que plus tard ; voilà trop longtemps qu’il n’y a pas eu de Reine ouvertement Aes Sedai. Par contre, elles ne vous laisseront pas partir avant que vous soyez une Sœur confirmée, et même ainsi, parce que vous êtes Fille-Héritière et serez bientôt Reine, elles ne vous laisseront pas approcher ce fichu Dragon Réincarné tant qu’elles ne connaîtront pas jusqu’à quel point elles peuvent se fier à lui. Surtout depuis cette… amnistie qu’il a proclamée. » Sa bouche se crispa dans un pli revêche en prononçant le mot, et Leane eut une grimace.