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– C’est ça, l’amour ! commenta Coralie, radieuse, tout en galopant au côté de Romaric.

– C’est de la folie furieuse, oui, grogna l’Écuyer.

– Mais qu’est-ce qui lui a pris ? s’étrangla Gontrand, furieux d’avoir dû abandonner sa cavalière sans plus de manière.

– C’est seulement maintenant… que vous vous apercevez… que cette fille est folle à lier ? dit Bertram qui s’essoufflait.

La course-poursuite les entraînait dans des rues de moins en moins éclairées. Ils dépassèrent bientôt les dernières maisons de Dashtikazar et se retrouvèrent au beau milieu de la lande.

– Par ici ! les héla Guillemot.

Ils rattrapèrent leur ami et coururent quelques minutes encore au milieu des bruyères, guidés heureusement par le halo lumineux de la lune. Soudain, ils entendirent Agathe hurler.

– Trop tard ! gémit Gontrand. Ambre doit être en train de l’étriper !

Puis soudain ce fut au tour d’Ambre de crier.

– En tout cas… nota Bertram hors d’haleine, Agathe a l’air… de défendre… chèrement sa vie…

Ils débouchèrent au beau milieu d’un grand cercle d’herbe brûlée. Ils stoppèrent net. Bertram et Guillemot se regardèrent.

– On dirait… haleta le jeune Sorcier, une piste de danse…

–… de Korrigans ! confirma Guillemot en jetant des regards inquiets alentour. Vite, filons !

Ils n’eurent pas le temps de faire un geste : un filet s’abattit sur eux, et bientôt une multitude de petites mains en forme de pattes de chat entreprirent de les ficeler soigneusement.

XXVIII Pris au piège

– Guillemot ! Fais quelque chose ! parvint à crier Coralie avant qu’un Korrigan ne lui pose un solide bâillon sur la bouche.

L’Apprenti était bien en peine de répondre ou d’agir. Comme Bertram, bouche close par un large morceau d’étoffe ! Que pouvait faire un Sorcier incapable d’appeler, par la voix ou par le geste, la magie susceptible de le délivrer ? Guillemot, réduit à l’impuissance, à l’instar de Bertram qui roulait des yeux furieux, dut se contenter d’assister à leur propre enlèvement par le petit peuple des Korrigans.

Les Korrigans étaient présents dans le pays bien avant que les hommes ne s’y installent. Autrefois, avant que la tempête ne détache Ys des côtes de Bretagne pour la projeter entre le Monde Certain et le Monde Incertain, les Korrigans sévissaient sur les landes bretonnes.

C’était avant que les hommes du monde réel, oubliant le Pacte Ancien, traquent et anéantissent ceux qui ne leur ressemblaient pas ; avant qu’ils désenchantent le monde dans lequel ils vivaient, pour finalement s’y retrouver seuls.

En revanche, la cohabitation des humains avec cette race très ancienne n’avait jamais posé de problème à Ys.

D’une part, parce que les habitants du Pays d’Ys, qui vivaient en harmonie avec une nature dans laquelle l’homme était considéré comme une simple créature parmi d’autres, n’avaient jamais eu l’idée d’exterminer un peuple pour prendre sa place -contrairement aux colons d’Amérique, par exemple, vis-à-vis des Indiens.

D’autre part, parce que les hommes et les Korrigans avaient en réalité peu d’occasions de se rencontrer. Les Korrigans, qui se contentaient du territoire de la lande, passaient la nuit à danser des rondes au clair de lune, et le jour à festoyer et à s’amuser dans des grottes.

Ainsi, les contacts entre les hommes et les Korrigans étaient rares. Le Prévost de Dashtikazar rencontrait de temps à autre Kor Mehtar, le roi des Korrigans, et le Grand Mage de Gifdu recevait parfois des demandes d’arbitrage de la part des Korrigans qui, unis comme les doigts de la main lorsqu’il s’agissait de s’amuser, étaient incapables de s’entendre sur des sujets sérieux.

Quant aux hommes qui s’égaraient sur la lande au mauvais moment et au mauvais endroit, ils pouvaient faire les frais du sens de l’humour très particulier du petit peuple, par exemple être obligés de danser toute une nuit, d’inventer les paroles d’une chanson ou de faire rire le roi avec une bonne blague. En échange, ils recevaient le prix de leur performance, généralement une bourse pleine de pièces d’or s’ils avaient su se montrer convaincants, et une bosse dans le dos dans le cas contraire.

Un aubergiste de Dashtikazar avait pu acheter son établissement grâce aux Korrigans. Il avait réussi à les faire rire en imitant, avec un vieux sac sur la tête, Charfalaq, le Maître de la Guilde. Le récit de sa bonne fortune avait fait le tour du pays. Un jaloux, qui avait essayé d’obtenir la même chose, était rentré chez lui avec un bras moitié plus court que l’autre ! Depuis, plus personne n’avait jamais osé tenter sa chance, et toute rencontre avec un Korrigan était devenue accidentelle !

Ce qui n’empêchait pas les écoliers d’Ys, au nom de la culture générale, et par politesse envers leurs singuliers voisins, de s’initier très tôt au korrigani, la langue des Korrigans, beaucoup plus compliquée que le ska, la langue du Monde Incertain.

Les Korrigans étaient petits (ils mesuraient entre soixante-dix et quatre-vingt-dix centimètres), rabougris et tout ridés. Leur force n’en était pas moins prodigieuse, et ils pouvaient, sans se fatiguer, transporter sur leurs épaules un gros chien pendant des kilomètres.

Ils avaient la peau sombre et ils étaient très poilus. Ils tressaient parfois leurs cheveux, ou les cachaient sous de larges chapeaux. Des boutons de cuivre brillaient sur leurs vestes noires. Un pantalon de velours bouffant et des sabots de fer complétaient leur tenue vestimentaire.

Enfin, ils arboraient sur le front deux cornes minuscules et au bas du dos une petite queue frétillante. Quant à leurs mains, elles ressemblaient à des pattes de chat.

Guillemot, Romaric, Gontrand, Ambre, Coralie, Agathe et Bertram, chacun porté par deux Korrigans, l’un tenant les pieds et l’autre les bras, furent entraînés dans la lande sous l’œil amusé de la lune. Au terme d’une marche qui parut interminable aux jeunes gens, les ravisseurs firent halte au pied d’une butte, au sommet de laquelle se dressait un dolmen.

Le meneur du groupe des Korrigans s’approcha d’un des piliers de pierre qui soutenaient l’immense dalle de granit. Il posa sa main sur un signe peint en rouge, gravé sur l’arête. Guillemot, qui observait chacun de ses gestes, ne reconnut pas ce signe. Le meneur marmonna ensuite quelque chose en korrigani. L’Apprenti ne comprit strictement rien. S’ensuivit alors un bruit effroyable, et la terre se déchira au pied du pilier, dévoilant un escalier de pierre. La colonne hétéroclite s’y engouffra.

Ils s’enfoncèrent sous terre dans une galerie étroite qui sentait le champignon et le bois moisi, à la lueur d’une torche d’ajoncs qu’avait allumée leur guide.

Guillemot, ballotté par ses porteurs, essaya une dernière fois de défaire ses liens. En vain. Il en voulait terriblement à Ambre. Qu’est-ce qui lui avait pris de vouloir étrangler Agathe ? Les deux filles auraient très bien pu s’expliquer de vive voix, quitte à en venir aux mains si elles y tenaient, mais dans des proportions raisonnables ! Ambre et Agathe se giflant et se tirant les cheveux, voilà ce qui aurait dû se produire ! Lui-même n’aurait certes pas pu éviter les cris et les reproches, mais au moins, il ne serait pas dans cette situation, au cœur du royaume korrigan, ficelé et bâillonné…

Guillemot n’avait pas peur, mais il redoutait de devoir subir avec ses amis l’humeur farceuse des petits êtres. Si seulement on lui déliait les mains !

Ils débouchèrent dans une caverne immense. Le château de Troïl aurait pu tenir tout entier à l’intérieur ! Des milliers de vers luisants, disposés dans des bocaux, au fond de petites niches creusées à même la roche, éclairaient les parois suintantes d’humidité.