– Si elle doit dire quelque chose d’intelligent dans sa vie, c’est le moment ou jamais, soupira Ambre.
Le roi frémissait d’impatience sur son trône. C’est avec une voix réjouie qu’il interrompit les réflexions de Coralie :
– Alors ma beauté,
Est-ce que tu as trouvé ?
– Oui, Majesté subtile, répondit Coralie d’une voix calme dans un korrigani parfait,
C’était en fait plutôt facile :
Cette maison du mystère, n’est autre qu’un cimetière !
Ses habitants même nombreux,
Sont tous silencieux ;
Et puisqu’il y a peu de chance qu’ils en sortent,
Pas besoin de porte !
Des cris et des gémissements emplirent la caverne. Le roi hurla de rage. L’arbitre se mit à manger son chapeau en se roulant par terre. Ambre se précipita, écarta ses amis qui se pressaient autour de Coralie pour la féliciter et lui faire la fête. Elle serra sa sœur dans ses bras.
– Comment as-tu fait ? s’étonna-t-elle.
– Je ne sais pas, avoua Coralie, confuse. Tout m’a brusquement paru facile. Même le korrigani, que j’ai un mal fou à parler d’habitude !
– Comment expliques-tu ça, Guillemot ? demanda Romaric, tout fier de l’exploit de son amie.
– Je pense que Coralie est moins bête que vous l’imaginez, c’est tout, répondit évasivement Guillemot.
L’Apprenti comprenait très bien ce qui s’était passé : Kenaz, le Graphème stimulateur des fonctions cérébrales qu’il avait lancé pour aider Agathe, avait fonctionné à retardement, et avait agi sur Coralie. C’était un mystère de plus !
« Dans le Monde Incertain, se dit-il, où le ciel n’est pas celui d’Ys, les Graphèmes et leurs pouvoirs sont différents. Mais ici, nous sommes à Ys ! Est-ce que le fait d’être sous terre affaiblit les Graphèmes ? Est-ce que les Korrigans possèdent des sortilèges capables de contrer les nôtres ? »
L’expérience lui avait appris qu’il valait mieux avoir un coup d’avance. Quitte à le désamorcer plus tard… Profitant de l’agitation générale, Guillemot construisit mentalement un Galdr complexe et le lança discrètement, à l’aide de Mudra, au centre de la caverne. Comme il s’y attendait, il ne se passa rien.
Le contraire aurait été d’ailleurs plutôt gênant ! Ses amis le poussèrent ensuite vers le trône.
– Allez, demande qu’on nous libère maintenant, exigea Ambre. La plaisanterie a assez duré !
Guillemot s’inclina devant le roi des Korrigans.
– Comme vous avez pu le voir, Majesté,
De vos épreuves nous avons triomphé.
Votre parole était sans ambiguïté :
Vous devez nous libérer !
Le roi se tordit les mains et gémit.
– Hélas, mon garçon, c’est vrai tu as raison.
Je vous avais promis la délivrance,
Comme prix de votre vaillance…
Mais je dois absolument te livrer,
À ce quelqu’un,
Qui est plus puissant qu’un souverain,
Et à qui je ne peux rien refuser !
Bien que je sois roi, je n’ai pas le choix.
– Quoi ? Mais c’est de la triche ! s’indigna Coralie.
– Vous n’avez pas le droit ! hurla Agathe.
– Je croyais que les Korrigans avaient plus d’honneur que ça, dit Gontrand méprisant.
Kor Mehtar, indifférent aux exclamations outrées des jeunes gens d’Ys, fit signe qu’on les emprisonne.
Bertram glissa encore sa main dans sa sacoche, comme pour y chercher quelque chose. Guillemot surprit son geste et lui lança un regard interrogateur. Le Sorcier rougit et la retira aussitôt, avec un air coupable.
– Bon, chuchota-t-il à l’oreille de Guillemot pour se rattraper, tu vas voir ce dont un Sorcier est capable quand ses amis sont en danger !
Bertram leva les bras et prit un air terrible.
XXXI Mieux vaut tard que jamais
– J’espère que tu as la tête dure,
Roi parjure !
Parce que, vieillard décati,
Tu vas avoir la surprise de ta vie ! cria Bertram, plus théâtral que jamais, dans un mauvais korrigani.
Avant que Guillemot ait eu le temps d’intervenir, son ami ébaucha une série de Stadha tout en murmurant un sortilège dans lequel il était question de vent balayant les Korrigans, d’éclair détruisant la caverne, et de crevasse qui leur aurait permis de déboucher à l’air libre. Enfin, Bertram lança son Galdr et se figea dans une attitude à la fois menaçante et triomphante.
Il ne se passa strictement rien.
Le Sorcier se décomposa et jeta un regard affolé à Guillemot, qui ne put rien faire d’autre que secouer la tête et écarter les bras en signe d’impuissance.
L’assemblée korrigane éclata de rire et le roi lui-même retrouva sa bonne humeur.
– La magie des gens d’Ys est redoutable, dit Kor Mehtar hilare au Sorcier déconfit,
Lorsqu’elle est pratiquée par des individus capables !
Mais rassure-toi, jeune idiot,
Tu n’es pas en cause,
Laisse-moi, en peu de mots,
T’expliquer la chose :
Les Korrigans aussi
Ont leur sorcellerie !
La vôtre est jeune et une,
La nôtre est double et ancestrale ;
La vôtre vient des étoiles,
La nôtre vient de la terre et de la lune.
Point de Graphèmes cabalistiques,
Mais des Oghams rouges et telluriques…
Je me tais : je me suis emballé, j’en ai trop dit.
Mais cesse de t’agiter : dans mon palais, pas de magie !
Les Korrigans chargés de les emprisonner, s’étant instinctivement reculés lorsque Bertram avait adopté sa posture inquiétante, s’approchèrent de nouveau.
« C’est encore trop tôt, pensa Guillemot. Ce serait une catastrophe si l’on nous faisait sortir maintenant de la caverne… Il faut à tout prix gagner du temps ! »
– Roi des Korrigans, cria-t-il pour couvrir le tumulte,
Nous sommes tes prisonniers !
Ce serait très élégant,
De nous accorder un ultime souhait !
D’autant que tu as trahi notre confiance, et que tu nous dois une confidence…
– Que veux-tu savoir,
Jeune Apprenti,
Avant de te retrouver dans le noir,
Avec tes amis ? lui répondit Kor Mehtar.
– Je veux en savoir davantage,
Sur la magie des Korrigans,
Qui vient du fond des âges,
Et qui vous rend si puissants…
Le roi observa un moment Guillemot, qui se tenait en face de lui les bras croisés. Puis il fit venir Kor Hosik, le Korrigan traducteur, et lui parla à l’oreille.
– Mon cousin, s’étonna Romaric, je sais que tu es un élève consciencieux, mais tu ne crois pas que le moment est mal choisi pour t’intéresser à la sorcellerie des Korrigans ?
– Je sais ce que je fais, répondit Guillemot bien décidé à profiter de l’absence de Kor Hosik pour avertir ses amis. Écoutez-moi : dans quelques instants, il devrait se passer quelque chose qui mettra de la pagaille dans la grotte. Tenez-vous prêts à me suivre…