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Michel Houellebecq

LE SENS DU COMBAT

I

Le jour monte et grandit, retombe sur la ville Nous avons traversé la nuit sans délivrance J'entends les autobus et la rumeur subtile Des échanges sociaux. J'accède à la présence.
Aujourd'hui aura lieu. La surface invisible Délimitant dans l'air nos êtres de souffrance Se forme et se durcit à une vitesse terrible; Le corps, le corps pourtant, est une appartenance.
Nous avons traversé fatigues et désirs Sans retrouver le goût des rêves de l'enfance Il n'y a plus grand-chose au fond de nos sourires, Nous sommes prisonniers de notre transparence.
Au long de ces journées où le corps nous domine Où le monde est bien là, comme un bloc de ciment, Ces journées sans plaisir, sans passion, sans tourment, Dans l'inutilité pratiquement divines
Au milieu des herbages et des forêts de hêtres, Au milieu des immeubles et des publicités Nous vivons un moment d'absolue vérité: Oui le monde est bien là, et tel qu'il paraît être.
Les êtres humains sont faits de parties séparables, Leur corps coalescent n'est pas fait pour durer Seuls dans leurs alvéoles soigneusement murés Ils attendent l'envol, l'appel de l'impalpable.
Le gardien vient toujours au cœur du crépuscule; Son regard est pensif, il a toutes les clés, Les cendres des captifs sont très vite envolées; Il faut quelques minutes pour laver la cellule.

APRÈS-MIDI

Les gestes ébauchés se terminent en souffrance Et au bout de cent pas onaimerait rentrer Pour se vautrer dans son mal d'être et se coucher, Car le corps de douleur fait peser sa présence.
Dehors il fait très chaud et le ciel est splendide, La vie fait tournoyer le corps des jeunes gens Que la nature appelle aux fêtes du printemps Vous êtes seul, hanté par l'image du vide,
Et vous sentez peser votre chair solitaire Et vous ne croyez plus à la vie sur la Terre Votre cœur fatigué palpite avec effort
Pour repousser le sang dans vos membres trop lourds, Vous avez oublié comment on fait l'amour, La nuit tombe sur vous comme un arrêt de mort.

CHÔMAGE

Je traverse la ville dont je n'attends plus rien Au milieu d'êtres humains toujours renouvelés Je le connais par cœur, ce métro aérien; Il s'écoule des jours sans que je puisse parler.
Oh! ces après-midi, revenant du chômage Repensant au loyer, méditation morose, On a beau ne pas vivre, on prend quand même de l'âge Et rien ne change à rien, ni l'été, ni les choses.
Au bout de quelques mois on passe en fin de droits Et l'automne revient, lent comme une gangrène; L'argent devient la seule idée, la seule loi, On est vraiment tout seul. Et on traîne, et on traîne…
Les autres continuent leur danse existentielle, Vous êtes protégé par un mur transparent; L'hiver est revenu. Leur vie semble réelle. Peut-être, quelque part, l'avenir vous attend.
Les moments immobiles que l'on vit presque en fraude Et les petites morts, petits autodafés; C'était sur les deux heures et la ville était chaude, Les bustiers fourmillaient aux terrasses des cafés
Et tout s'organisait pour la reproduction: Comportements humains, jeux de dents, rires forcés L'impossibilité permanente de l'action Morceaux de vie qu'on rêve, bientôt désamorcés.
Les humains s'agitaient dans les murs de la ville: Flots sur le boulevard, téléphones portatifs; Inquiétude sur la ligne, jeux de regards hostiles: Tout fonctionne, tout tourne, et j'ai les nerfs à vif.
Il marche dans la nuit, son regard plein de mort, Et le froid se fait vif entre les carrefours Cela fait plus d'un an qu'il n'a pas fait l'amour; Les êtres humains se croisent, on sent glisser leurs corps.
Il marche dans la ville avec un mot secret, C'est vraiment très curieux de voir les autres vivre, De regarder la vie comme on lit dans un livre Et d'avoir oublié jusqu'au goût du regret.
Il compose le code, retrouve son studio Et une main glacée se pose sur son cœur Certainement quelqu'un a commis une erreur, Il n'a plus très envie d'écouter la radio.
Il est seul, maintenant, et la nuit est immense Il frôle les objets d'une main hésitante Les objets sont bien là, mais sa raison s'absente Il traverse la nuit à la recherche d'un sens.

AU SERVICE DU SANG

Je ne pars plus vraiment en voyage Car je connais l'endroit Et je connais mes droits, Et j'ai connu la rage.
Au service de l'humanité, Assis dans la cité, Je connais bien ma chambre Je sens la nuit descendre.
Les anges qui s'envolent Dans la splendeur des cieux Et qui retrouvent Dieu, Les femmes qui rigolent.
Attaché à ma table, Assis dans la cité, La lente intensité De la nuit implacable.
La nuit dans la cité, La lente immensité, La vision très cruelle Détachée sur le ciel D'une forme qui bouge Qui palpite, qui est rouge.
Au service du sang, Des dégoûts peu conscients, Des fins d'amour cruelles Des éclats du réel;
Tout cela pour quoi faire? L'idée d'une vision La fin d'une chanson Les hommes qui désespèrent
Qui attendent la rage Et les corps éclatés Qui s'accroupissent, blessés, Dans l'espoir du carnage.
J'apporte l'aliment De la haine finale, Je fais frotter mes dents Et je ressens le mal.
Je connais bien les ruses De la chair écrasée On me dit que j'abuse, Je me sens justifié
Par l'humaine souffrance, Par les espoirs déçus Par l'écrasement dense Des journées superflues.