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«Le fleuve coule devant le vieux fort et le protège. Mais sur l’arrière et les côtés, il y avait de nombreuses portes, aussi bien dans la vieille citadelle que dans la nouvelle; il fallait toutes les garder bien entendu! Nous manquions d’hommes. Il y en avait à peine assez pour surveiller les angles des remparts et servir les pièces d’artillerie. Il était donc impossible d’organiser une garde conséquente à chacune des innombrables poternes. Un détachement de réserve fut organisé au milieu du fort, et chaque porte fut placée sous la garde d’un homme blanc et de deux ou trois indigènes. Je fus chargé de la surveillance, une partie de la nuit, d’une petite poterne isolée au sud-ouest. Deux soldats sikhs furent placés sous mon commandement; ma consigne était de faire feu de mon mousqueton en cas de danger. La garde centrale viendrait aussitôt à mon aide. Mais comme le détachement était à plus de deux cents pas, distance coupée de corridors et de passages sinueux, je doutais fort qu’il puisse arriver à temps pour me secourir en cas d’une véritable attaque.

«Eh bien, j’étais assez fier d’être chargé de cette petite responsabilité! Dame, j’étais une toute nouvelle recrue et infirme par-dessus le marché. Pendant deux nuits, j’ai monté la garde avec mes Punjaubees: deux grands gaillards au regard farouche! Mahomet Singh et Abdullah Khan, ainsi se nommaient-ils, étaient deux vétérans de la guerre et ils s’étaient battus contre nous à Chilian Wallah. Ils parlaient assez bien l’anglais mais je ne pouvais en tirer grand-chose. Ils préféraient se tenir à l’écart et jacasser entre eux toute la nuit dans leur étrange dialecte sikh. Quant à moi, je me tenais au-dessus du portail, regardant le large serpentin du fleuve s’étalant en contrebas, ainsi que les lumières clignotantes de la grande ville. Le roulement des tambours et des tam-tams, les cris et les hurlements des rebelles ivres d’opium et de vacarme, se chargeaient de nous rappeler la nuit durant, le danger qui nous guettait de l’autre côté du fleuve. Toutes les deux heures, un officier faisait la ronde pour s’assurer que tout allait bien.

«Pour ma troisième nuit de garde, le temps était sombre: il tombait une pluie fine et pénétrante; c’était pénible! J’essayai à maintes reprises d’engager la conversation avec les sikhs, mais sans grand succès. À deux heures du matin, la ronde passa, dissipant un moment la fatigue de la nuit. Désespérant de faire parler mes deux hommes, je sortis ma pipe et posai mon mousqueton à côté de moi pour gratter une allumette. En un instant, les deux sikhs furent sur moi. L’un s’empara de mon arme et la pointa sur moi, l’autre brandit un grand couteau près de ma gorge, jurant entre ses dents qu’il m’égorgerait si je faisais un pas.

«Ma première pensée fut qu’ils étaient d’accord avec les rebelles, et que c’était le commencement d’un assaut. Si notre porte passait entre les mains des cipayes, le fort tombait; quand aux femmes et aux enfants, ils seraient traités comme à Cawnpore. Peut-être allez-vous penser, messieurs, que je veux me donner un beau rôle. Je vous jure pourtant que, pensant à ce que serait un tel massacre, j’ouvris la bouche, bien que sentant la pointe du couteau sur la gorge, avec la femme intention de crier, ne serait-ce qu’une fois pour alerter la garde centrale. L’homme qui me tenait sembla lire mes pensées. Au moment où je prenais mon souffle, il murmura: «Pas un bruit! Rien à craindre pour le fort. Il n’y a pas de chiens de rebelles de ce côté» Sa voix sonnait sincère. Je savais que si j’élevais la voix, j’étais un homme mort. Je pouvais le voir dans les yeux bruns de l’homme. J’attendis donc en silence pour savoir ce qu’ils me voulaient.

«Écoute-moi, sahib, dit Abdullah Khan, le plus grand et le plus féroce des deux. Maintenant, tu vas choisir: ou avec nous, ou la mort. La chose est trop importante pour nous; nous n’hésiterons devant rien! Ou bien tu es avec nous, cœur et âme, et tu le jures sur la croix des chrétiens; ou bien, nous jetterons ton corps dans le fossé et nous rejoindrons nos frères dans l’armée rebelle. Il n’y a pas d’autre alternative. Que décides-tu? La vie ou la mort! Nous ne pouvons pas te donner plus de trois minutes, car il faut que tout soit fini avant la prochaine ronde.

«- Comment puis-je décider! dis-je. Vous ne m’avez pas dit ce que vous voulez de moi. Mais si la sécurité de la forteresse est en jeu, alors vous pouvez m’égorger tout de suite! Je préférerais cela.

«- On n’a absolument rien contre la citadelle! répondit Khan. Nous te demandons d’œuvrer avec nous pour la même chose qui amène ici tes compatriotes. Nous te demandons d’être riche. Si tu acceptes d’être avec nous ce soir, nous te jurons sur la lame du poignard et par les trois vœux qu’aucun sikh n’a jamais transgressés, que tu auras une part équitable du butin: il te reviendra un quart du trésor. Nous ne pouvons mieux te dire.

«- De quel trésor s’agit-il donc? demandai-je. J’ai envie, autant que vous deux, d’être riche. Montre-moi ce qu’il faut faire.

«- Alors tu vas jurer sur les ossements de ton père, sur l’honneur de ta mère, sur la croix de ta foi, de ne parler contre nous ou de lever la main sur nous ni maintenant ni plus tard.

«- Je le jurerai à la condition que le fort ne soit pas en danger.

«- alors mon camarade et moi te jurerons que tu auras un quart du trésor, lequel sera divisé également entre nous quatre.

«- Mais nous ne sommes que trois! dis-je.

«- Non, il y a la part de Dost Akbar. J’ai le temps de t’expliquer ce dont il s’agit en l’attendant. Tiens-toi à la poterne, Mahomet Singh et fais le guet. Je vais tout te raconter, sahib, parce que je sais que les Européens tiennent leurs serments et que je pus avoir confiance en toi. Si tu avais été un de ces vils Hindous et quand bien même tu aurais prêté serment sur tous les faux dieux de leurs temples, mon couteau serait entré dans ta gorge, et ton corps précipité dans le fleuve. Mais le sikh connaît l’Anglais et l’Anglais comprend le sikh. Écoute donc ce que je vais te dire.

«- Il existe dans les provinces du Nord, un rajah qui possède de grandes richesses bien que ses terres soient peu étendues. Il en doit la plus grande partie à son père, mais il en a accumulé lui-même, car il est avare et il préfère entasser son or plutôt que de le dépenser. Quand commença la rébellion, il s’arrangea pour rester en bons termes avec le lion et le tigre; avec les cipayes et les Anglais. Bientôt, pourtant, il lui sembla que les hommes blancs allaient être chassés. De l’Inde entière ne parvenaient des nouvelles que de leurs défaites et de leurs morts. Mais c’était un homme prudent, et il s’arrangea de telle sorte que, quel que fût le cours des événements, il ne perde pas plus de la moitié de son trésor. Il garda l’or et l’argent dans les caves de son palais. Mais il mit dans un coffre de fer ses pierres les plus précieuses et ses plus belles perles; il les confia à un serviteur fidèle qui devait se présenter ici comme un marchand et garder la cassette en attendant que la paix soit rétablie. De cette manière, si les rebelles triomphaient il lui resterait son or. Mais si les Anglais reprenaient le pouvoir, ses joyaux lui resteraient. Après avoir ainsi divisé son magot, il se rangea du côté des cipayes qui étaient en force aux frontières de sa province. Remarque bien, sahib, qu’en faisant ainsi, ses biens revenaient de droit à ceux qui sont restés fidèles.