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Il se tut et tendit ses mains attachées vers le verre de whisky que Holmes lui avait préparé. J’avoue que personnellement, cet homme m’inspirait la plus grande horreur; non seulement à cause de ce meurtre accompli de sang-froid auquel il avait été mêlé, mais plus encore par la manière nonchalante et dégagée avec laquelle il nous en avait fait la narration. Quel que fût le châtiment qui l’attendait, je ne pourrais jamais ressentir pour lui la moindre sympathie! Assis, les coudes sur les genoux, Sherlock Holmes et Jones paraissaient profondément intéressés par l’histoire; mais la même répulsion était peinte sur leurs visages. Small le remarqua peut-être, car c’est avec un certain défi dans la voix qu’il reprit:

«Bien sûr, bien sûr, tout cela est fort blâmable! Mais je voudrais tout de même savoir combien de gens, à ma place, auraient refusé une part du butin en sachant que pour toute récompense de leur vertu, ils seraient égorgés! D’ailleurs depuis qu’il avait pénétré dans la forteresse, c’était ma vie ou la sienne. S’il s’en était sorti, toute l’affaire aurait été mise en lumière. Je serais passé devant le tribunal militaire et probablement fusillé, car en ces temps troublés, les gens n’étaient pas très indulgents.

– Continuez votre histoire, coupa Holmes.

– Eh bien, nous transportâmes le corps, Abdullah, Akbar et moi. Et bon poids qu’il faisait, malgré sa petite taille! Mahomet Singh fut laissé en garde de la porte. Les sikhs avaient déjà préparé un endroit. C’était à quelque distance, à travers un tortueux passage donnant sur un grand hall vide dont les murs de brique s’effondraient par endroits. Le sol de terre battue s’était affaissé là pour former une tombe naturelle. Nous y laissâmes Achmet le marchand; nous le recouvrîmes des briques descellées. Puis nous retournâmes au trésor.

«Il était resté à l’endroit où l’homme avait été attaqué en premier lieu. Le coffre, c’est celui qui se trouve sur votre table. Une clef pendait, attachée par une corde en soie à cette poignée forgée sur le dessus. Nous l’ouvrîmes et la lumière de la lanterne se refléta sur une collection de joyaux comme j’en avais rêvé ou lu l’histoire quand j’étais un petit garçon à Pershore. Leur éclat nous aveuglait. Après nous être rassasié les yeux de ce spectacle, nous sortîmes tout du coffre pour établir la liste de son contenu. Il y avait là cent quarante-trois diamants de la plus belle eau; l’un d’eux, appelé, je crois, «Le Grand Mongol» est considéré comme la seconde plus grosse pierre du monde. Il y avait également quatre-vingt-dix-sept émeraudes et cent soixante-dix rubis, mais dont certains étaient de petite taille. Nous dénombrâmes en outre deux cent dis saphirs, soixante et une agates, et une grande quantité de béryls, onyx, turquoises et autres pierres. Je me suis documenté sur les gemmes, mais à cette époque j’ignorais la plupart de ces noms. Enfin il y avait près de trois cents perles, toutes très belles; douze d’entre elles étaient serties sur une petite couronne d’or. Je ne sais comment ces douze-là furent retirées du coffre; mais je ne les ai pas retrouvées.

«Après avoir compté nos trésors, nous les replaçâmes dans le coffre que nous apportâmes à la poterne afin de les montrer à Mahomet Singh. Là, fut renouvelé le serment solennel de garder le secret et de ne jamais nous trahir. Il fut convenu que le butin serait planqué dans un endroit sûr jusqu’à ce que la paix soit revenue dans le pays; après quoi nous le partagerions également entre nous. Il était inutile d’effectuer ce partage maintenant, car si jamais des gemmes d’une telle valeur étaient trouvées sur nous, cela paraîtrait suspect; d’autre part, nous ne disposions pas de logements personnels, ni d’aucun endroit où nous puissions les cacher. Le coffre fut donc transporté dans le hall où reposait le corps d’Achmet; un trou fut ménagé dans le mur le mieux conservé et le trésor y fut placé et recouvert par des briques. Après avoir soigneusement repéré l’emplacement, je dessinai le lendemain quatre plans, un pour chacun d’entre nous et mis au bas Le Signe des Quatre; nous nous étions en effet promis que chacun agirait toujours pour le compte de tous, afin que l’égalité soit préservée. Voilà un serment que je n’ai jamais rompu, je puis le jurer la main sur le cœur.

«Il est inutile, messieurs, de vous raconter ce qu’il advint de la rébellion. Après que Wilson se fut emparé de Delhi et que Sir Colin eut dégagé Lucknow, la révolte eut les reins brisés. Des renforts ne cessaient d’affluer. Une colonne volante sous les ordres du colonel Greathed parvint jusqu’à Agra, et en chassa les rebelles. La paix semblait lentement s’étendre sur le pays. Nous espérions tous les quatre que le moment était proche où nous pourrions partir en toute sécurité avec notre part du butin. Mais en un instant, nos espoirs s’effondrèrent. Nous fûmes arrêtés pour le meurtre d’Achmet.

«Voici comment cela se produisit. Le rajah avait remis les joyaux entre les mains d’Achmet, parce qu’il savait que celui-ci était un homme dévoué. Mais en Orient, les gens sont très méfiants. Que fit alors le rajah? Il prit un deuxième serviteur encore plus digne de confiance et le chargea d’espionner Achmet, de le suivre comme une ombre et de ne jamais le perdre de vue. Il le suivit donc cette nuit-là, et le vit passer la poterne du fort. Pensant évidemment qu’il y avait trouvé refuge, il se fit admettre le jour suivant, mais ne parvint pas à retrouver la trace d’Achmet. Cela lui sembla si étrange qu’il en parla à un sergent qui fit parvenir l’histoire jusqu’aux oreilles du commandant. Une recherche approfondie fut rapidement organisée et le corps fut découvert. Ainsi, au moment même où nous croyions tout danger écarté, nous fûmes tous quatre saisis et jugés pour meurtre; trois d’entre nous, parce que nous avions été de garde cette nuit-là et le quatrième parce que l’on savait qu’il avait été en compagnie de la victime. Il ne fut pas question des joyaux durant tout le procès. Le rajah avait été déposé et exilé et personne ne portait d’intérêt particulier à cette question. Les trois sikhs furent condamnés à la détention perpétuelle et moi à la peine de mort; ma sentence fut ensuite commuée en détention perpétuelle.

«Nous nous trouvions ainsi dans une situation plutôt bizarre! Nous étions là, tous quatre, enchaînés par la cheville et presque sans espérance alors que nous connaissions un secret qui, si nous avions pu l’utiliser, nous aurait permis de mener une existence de seigneur. Il y avait de quoi se ronger le cœur d’être à la merci des coups de pied et des coups de poing de n’importe quel garde imbécile, de boire de l’eau et de ne manger que du riz, alors qu’une fortune fabuleuse attendait simplement qu’on veuille bien la prendre. Cela aurait pu me rendre fou. Mais j’ai toujours été plutôt obstiné. J’ai tenu bon, attendant des jours meilleurs.

«Ceux-ci semblèrent enfin se dessiner. Je fus transféré d’Agra à Madras et de là à l’île Blair dans les Andaman. Ce camp comptait très peu de bagnards blancs et, comme je m’étais toujours bien conduit, j’eus bientôt droit à une sorte de régime privilégié. Il me fut donné une hutte à Hope Town, village situé au flanc du mont Harriet, et on m’y laissa relativement tranquille. C’est un endroit morne, dévasté par les fièvres et cerné de toutes parts par la jungle infestée de sauvages toujours prêts à décocher un de leurs dards empoisonnés lorsque l’occasion d’une cible blanche se présente. Il y avait des tranchées à creuser, des remblais à construire, des plantations à aménager et des dizaines d’autres choses à faire. Nous trimions donc tout le jour, mais le soir on nous laissait un peu de temps libre. Entre autres fonctions, j’étais chargé de distribuer les médicaments; j’acquis ainsi quelques connaissances médicales. J’étais sans cesse à l’affût d’une possibilité d’évasion. Mais la plus proche terre était à des centaines de kilomètres de notre île, et le vent souffle rarement par là. L’entreprise s’avérait donc très difficile.