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Assis dans le fauteuil du dirlo, mon veston accroché au dossier — ô crime de lèse-majesté ! —, je débonde le bigophone qui vient de tinter.

Le préposé de l’accueil me dit :

— Mme Mathias souhaiterait vous voir, monsieur le commissaire.

Oh ! que j’aime pas. Dans la liste des petites calamités, je la situe entre la chiasse verte et les coliques néphrétiques.

Que peut-elle me vouloir, cette infâme ogresse ? Cette impitoyable pondeuse de chiards qui a réduit en esclavage son mari et leurs enfants !

Je soupire, comprenant que je vis une période noire et qu’il faut l’assumer :

— Envoyez !

Pour asseoir mon autorité, si je puis dire, je remets ma veste. Ça clabote autour de moi. Je songe sans trêve la nuit chez les Rebuffade : la voracité de madame, le gentil cul un peu maigrichon de la bonne, la complaisance infinie de monsieur ; la manière qu’on discutait à bâtons rompus pendant que la mère Rebuffade me pompait l’asperge.

Elle entre sans frapper ! Je ne me souvenais pas qu’elle était si petite, ni si teigneuse. Ses grossesses nombreuses lui ont laissé un ventre de vache. Elle porte un jean défraîchi, une veste de couleur avec un grand châle à franges, dans lequel elle se drape frileusement.

Elle vient se camper devant le magistral bureau dont la solennité la laisse indifférente. Ses petits yeux en boutons de bottines 1900 lancent des lueurs de gyrophares.

— Où est-il ? me demande-t-elle durement.

— Qui donc, chère Angélique ?

— Xavier, mon époux !

J’ai les méninges qui déménagent.

— Comment, « où est-il ? ». Ici, je suppose.

— Vous l’avez vu ?

— Je rentre à l’instant d’une mission en province.

— Eh bien, il n’y est pas, ou bien fait répondre qu’il est absent.

Je tends la main vers le biniou et compose le numéro du labo. La voix d’une laborantine me répond. Tiens, ça se « féminise » là-haut ?

— Commissaire San-Antonio, lâché-je, passez-moi Mathias, le directeur.

Toujours faire mousser les potes aux yeux de leur mégère.

— Il n’est pas venu ce matin, commissaire.

— Il a prévenu ?

— Non, et nous sommes dans l’embarras parce qu’il avait une foule de rendez-vous.

— Dès qu’il se manifestera, dites-lui que j’ai un urgent besoin de le joindre.

— Bien, monsieur le commissaire.

— Vous êtes nouvelle ?

— J’ai pris mon service avant-hier.

— Votre nom ?

— Rosette Esperanza.

— Vous devez être très jolie avec un nom pareil.

— Je ne sais pas. Montez voir, à l’occasion !

Et elle raccroche ! Oh ! les filles maintenant, comment qu’on les fait !

La Mathias triomphe dans l’aigreur et le fiel.

— Décidément, cette maison est toujours un lupanar, grince-t-elle. Des femmes au labo, maintenant ! Et ce pâle salaud ne m’en avait pas soufflé mot, vous pensez bien ! Je vous présente sa démission, ne comptez plus sur lui désormais, il ne fait plus partie des cadres !

Je lui file le regard bienveillant qu’a la mangouste pour le serpent. Et dire que cette houri a été folle de moi ! Dire qu’elle m’a mêlé à des rêves érotiques !

Elle est belle, avec son bide arrondi sous son châle de tireuse de cartes, son visage infardé, ses petits yeux mauvais, sa bouche en boutonnière de pardessus !

— Sa démission, fais-je, il nous la présentera en personne ; même une radasse qui porte la culotte dans le ménage n’a pas qualité pour le faire à sa place !

Elle bondit :

— Vous m’insultez ?

— A huis clos et sans témoin, réponds-je, ça ne compte pas.

— Espèce de sale voyou ! C’est vous qui l’avez perverti, mon homme.

— Ah ! si cela pouvait être vrai ! Mais rassure-toi, Merde-en-branche, il est toujours aussi con et toujours sous ta coupe.

— Je m’en vais ! clame-t-elle. Vous savez que je m’en vais ?

— Mon rêve ! Tu pollues, môme ! Tu pollues ! Il va falloir que je laisse les fenêtres ouvertes pendant deux heures, après ton départ, comme pour renouveler l’air d’une pièce dans laquelle on a fumé quarante-cinq cigares ! T’es une putoise, la mère ! Tu schlingues.

Elle s’avance la main levée. Je crois à une simple menace, mais la beigne m’atterrit bel et bien sur le museau, cuisante à souhait !

— Eh bien ! Eh bien ! Que se passe-t-il ? demande le commissaire Mizinsky qui entre pile au bon moment.

— Commissaire, lui dis-je, vous venez d’être témoin de l’agression dont j’ai été victime. Il y a flagrant délit. Vous allez procéder à l’interrogatoire d’identité de cette personne et la déférerez au Parquet ! Voies de fait sur la personne d’un officier de police, c’est la prison ferme assurée.

La Mère Michu, elle sait plus si c’est du lard ou du bacon. Elle me regarde tandis que Jean-Paul Mizinsky lui passe les menottes.

— Je rêve…, elle balbutie.

— Qu’est-ce qu’on parie que non ?

— Vous n’allez pas faire une chose pareille !

— Elle EST faite, madame Mathias. Regardez vos poignets.

— Mais j’ai dix-huit enfants, dont l’aîné n’est pas encore majeur[5] et dont le dernier est au berceau ! Ils sont seuls depuis que leur père a disparu.

Au fait c’est vrai : la Mathias renaudait pour cette raison. Je feins d’être vaincu par le poids de sa gigantesque maternité.

— Bon, on va passer l’éponge. Mizinsky, ôtez-lui ses menottes.

Il.

Alors, comme dans les films de chevalerie, Angélique se jette à genoux devant moi en implorant mon pardon. Elle encercle mes jambes, pose son visage inondé de larmes sur mes genoux, me baise les rotules, les tibias, les péronés avec frénésie, remonte pour honorer mon fémur (là, le singulier, car elle ne peut baiser les deux simultanément), remonte encore jusqu’au tabernacle qu’est ma braguette, m’attrape avec ses dents, et à travers mes étoffes, le chauve à col roulé, le mordille voluptueusement.

— Bon, repos ! intimé-je en me levant.

Mon futal est barbouillé de pleurs, de salive et de morve. Mizinsky rigole sous cape. Furax, je vais me nettoyer le siège de l’amour-propre aux toilettes. Il est beau, le commissaire ! T’as l’impression qu’il a licebroqué dans ses harnais. On va croire que je fais de l’incontinence.

— J’ai un vieil imper dans mon vestiaire, me propose Jean-Paul.

J’accepte, et il va le chercher.

La pondeuse de lardons a retrouvé ses esprits. Elle hoquette sur gazon en essuyant ses yeux.

— Parlez-moi de la disparition de votre mari, Angélique.

Elle s’y met. Me raconte qu’au milieu de la nuit j’ai téléphoné au Rouquemoute.

— Moi ! sidéré-je.

— Oui, vous : j’ai décroché et reconnu votre accent. Là, je constipe de plus en plus de la comprenette.

— J’ai un accent, moi !!!

— Oui : parisien, fait en reniflant de mépris cette farouche Lyonnaise pour qui le véritable territoire français se limite à la région Rhône-Alpes.

— Vous êtes la première personne qui me le dit.

— Parce que les autres sont des fayoteurs !

Je passe.

— Or, donc, vous avez reconnu mon effroyable accent parisien, madame Cottivet[6]. Que vous ai-je dit ?

— Comme si vous ne le saviez pas !

— Répétez-le toujours, pour l’harmonie de votre voix.

— Vous avez exigé que je réveille Xavier, prétextant que c’était gravissime. Je vous l’ai donc passé. Vous lui avez déclaré que vous aviez besoin de lui de toute urgence et que vous envoyiez une voiture le prendre en bas de chez nous. Il s’est habillé à la va-vite et il est parti sous la pluie. Depuis, je suis sans nouvelles de lui. J’ai eu beau appeler au labo : il n’y est pas. Pourtant je lui avais fait promettre de me téléphoner sitôt que possible !

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5

Elle a eu par trois fois des jumeaux.

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6

Nom d’un personnage fameux du théâtre guignol. La mère Cottivet est une commère cancanière d’entre Rhône et Saône.