Le gros homme gondola du frontal et se mit à compter sur ses doigts.
— Avec le gonzier de la voirerie qu’ j’ai étalé c’morninge, ça va faire dix-huit !
— Eh oui, dix-huit, renchérit l’homme au loup. Vous êtes un tireur exceptionnel.
Le gros type se rengorgea.
— J’ai toujours cartonné de première, c’est vrai ; et pourtant, j’sus pas le genre de perdreau qui passe son temps dans les estandes d’tire av’c un monitreur. C’est comme qui dirait pour ainsi dire tiné, chez moi ! Moui : c’est tiné.
L’homme au loup sourit de ce parler pittoresque. L’inculture de son tireur d’élite l’amuse au plus haut point.
— Pourquoi refusez-vous d’abattre les sous-putes qui se donnent à ces macaques ? demande-t-il en sirotant son Cointreau.
— Pardine ! Biscotte elles sont blanches, mon général ! Moi, du bougne, du melon, tant qu’on voudra, mais du Blanc, de la gonzesse, ça non, c’est pas ma tassée de beaujolpif !
— Et cependant je vais avoir besoin de vous pour exécuter tout un lot, assure « le boss ».
— Un lot de quoi ?
— De flics, mon cher. Nous détenons des confrères à vous qui en savent trop long sur notre compte et le vôtre pour espérer mourir de vieillesse.
Le gros perd de sa force tranquille.
— Hé, dites, y a maldonne, patron ! Je vous le répète que moi, les Blancs, pas touche ! Surtout des collègues !
— Il va bien falloir, pourtant ! Votre sécurité en dépend, la nôtre également. Je ne plaisante jamais avec la sécurité. Si vous ne les exécutez pas, il me faudra les confier à mon équipe spéciale, laquelle, soit dit confidentiellement, se compose de sadiques qui vont s’en donner à cœur joie avant de les mettre à mort. C’est elle qui a accompli le premier coup de main : vous savez, ce Noir dont ils ont coupé le sexe et qu’on a égorgé sur sa petite copine ?
Le tueur-sans-gages réfléchit.
— Bon, ben c’t O.K., je les zinguerai, promet-il. C’est pour quand est-ce ?
— Pour tout de suite.
— Ça n’chôme pas, av’c vous !
— Non, ça ne chôme pas. Finissez votre verre, monsieur Bérurier, et suivez-moi, nous allons nous faire conduire sur le lieu des exécutions.
Rosette est de retour, souriante. Elle m’entraîne dans le dressing et chuchote :
— C’est quoi, ta petite cartouche de plastique ?
— Une bombe incendiaire miniaturisée.
— Elle va fonctionner quand ?
— D’ici trois minutes ça devrait jouer. Elle a le mérite de créer immédiatement un foyer très étendu ; tout le personnel, et même la direction, vont devoir s’activer ferme pour circonscrire le sinistre.
— Et toi, pendant ce temps, tu vas ?…
— Exactement.
Je l’attire dans la chambre.
A haute voix, San-Antonio l’intrépide :
— Je meurs d’envie de faire l’amour, ma chérie !
La chérie, enamourée :
— Pas tant que moi.
Bruits répétitifs de mimis mouillés, entrelardés de légers gémissements exprimant le désir incandescent (et non « un con descend », comme dit Béru, ce triste salaud).
Le lit. Je fais geindre le sommier. Tu croirais la tenniswoman Monica Céleste engageant sa première balle !
Au bout de deux minutes, je lui chuchote :
— Tu n’as qu’à continuer comme ça, en poussant des cris de bonheur.
Là-dessus, m’étant muni de ce qu’il me faut pour l’équipée que je mijote, je dépose un baiser en vrille entre les cuisses satinées de Rosette, et je m’esbigne.
Faut que je vais te dire…, comme s’exprimerait le Gros. Ce qu’il me poursuit, ce monstre ! Il reste planté dans mon subconscient comme une balayette de gogues dans le récipient qui l’héberge. Dès que j’aurai éclairci le mystère d’ici, va falloir que je m’occupe de lui ! Et sans douceur. Le payera, je te jure. Plein tarif.
Faut donc que je te dise… chaque appartement est pourvu de deux portes : la principale qui donne sur la chambre, et une seconde, plus modeste, puisqu’elle est tapissée avec le papier peint du couloir afin de mieux s’y fondre, qui livre accès au dressing-room. Ce sont ces portes secondaires que j’ai décidé de déponner avec mon sésame, manière de mieux surprendre les occupants en les visitant « par-derrière ».
La première lourde à laquelle je m’attaque s’ouvrirait avec une simple clé de boîte à sardines, voire avec un bigoudi métallique.
J’entre sans heurt à l’intérieur d’un dressing plus vaste encore que le nôtre, où on trouve même un appareil à ramer.
Inutile de tergir le verset (satanique), j’arrive chez des gens en train de faire pour de bon ce que nous venons de simulacrer, Rosette et moi. Deux amants niais. Un vieux (le patron de l’Entreprise Dupont-Durand et Martin, fil à couper le beurre, le roquefort et le bleu de Bresse), une jeune (la secrétaire, extrêmement particulière, du premier).
Dialogue :
— Tu es mon petit noiseau des îles ?
— Voui.
— Mon roudoudou ?
— Noui.
— Ma chienne en chaleur ?
— Zoui.
— Mon trou à pine ?
— Moui.
— Ma salope ?
— Foui.
— Ma pétasse lubrique ?
— Boui.
— Mon enculée de sa mère ?
— Doui.
— Ma charognerie vivante ?
— Coui.
— Mon infecte pourriture ?
— Houi.
— Mon tas de merde ?
— Joui.
— Ma conasse purulente ?
— Poui.
— Ah ! tu me rends fou : je t’adore !
— Moi aussi, Victor-Maximilien ! Tu sais parler d’amour, toi !
Je glisse sur la moquette, juste assez pour pouvoir couler un œil dans la chambre. J’avise un kroume bedonnant, entrevu naguère à la salle à manger, en train de proposer un misérable chipolata ternasse a la gloutonnerie artificielle d’une solide brune au cul de contrebasse à cordes. M’est avis que le travail va pas être fastoche et que c’est cher payer un week-end au Chevalier Noir.
Alors je m’éclipse de l’une, pour aller à l’autre.
Ma seconde visite m’apporte chez un vrai couple chenu. Du genre de ceux qui ont tant vécu ensemble qu’ils n’ont même plus la force de se haïr. Pour s’occuper, ils sont malades et soignent leurs maux séparément, sans s’occuper de ceux du conjoint. Le monsieur est en train de faire des fumigations, la dame de soigner des plaies variqueuses qui feraient dégueuler des rats d’égout atteints de dermatose herpétiforme.
T’as rien à glander ici, l’artiste ! Bonne bourre, madame et monsieur !
Troisième visite domiciliaire.
Couronnée de « suc sec » (Béru).
Depuis le nouveau dressinge, j’entends la téloche. Un feuilleton. Américain, qui pis est. Voix de doublage s’efforçant au grasseyement : « Tu ne t’en tireras pas comme ça, Dicky ! Tu as vu ce que je tiens dans la main droite[8] ?
« Cet engin fait des trous dans la viande de salaud grands comme des hublots de paquebot ! Un geste malheureux et tu es plus mort que la momie de Toutankhamon !
Je me pointe à l’angle du dressing. J’aperçois une paire de chaussures d’homme superposées sur un lit. Les pinceaux de leur propriétaire se trouvent à l’intérieur et le reste du mec suit sur la courtepointe.
Je ne distingue pas sa frime, car cela m’obligerait à trop m’avancer. Mais je vois parfaitement July 1er, assise devant la télé, de profil à moi.
Elle, par contre, a posé ses souliers et placé ses jolis petons sur un pouf capitonné. Regarde-t-elle vraiment l’écran où un grand con armé braque un gros con désarmé ? J’en doute, tant elle semble songeuse. Je voudrais attirer son attention sans me signaler à son compagnon de chambrée. Dort-il ? Lit-il ? Toujours est-il que ses arpions ne bougent pas. Peut-être rêvasse-t-il également ?
8
Réplique authentique. Au doublage on ne fait pas dire au héros : « Tu as vu ce que je tiens DE la main droite ; mais bien DANS la main droite. » A noter que la faute serait la même s’il s’agissait de la main gauche.