Impossible de me signaler par un bruit qui serait également perçu par l’autre.
« Trouve une astuce, Sana. Trouve ! Trou ou ouve ! »
Servez chaud.
Servez show.
Servez chauve.
La lumière est allumée dans le dressinge. Alors je l’éteins, tout bêtement. Comme le changement est mince, je rallume, puis éteins de nouveau. Et je renouvelle l’opération : bis repetita placenta (dirait Béru s’il parlait latin). Ce manège se lit sur l’écran du poste de téloche, mais faiblard. Néanmoins, la belle July finit par avoir son œil attiré par ce petit va-et-vient énervant. Elle regarde en direction du dressing et m’aperçoit. Je lui adresse un baiser. Elle se lève et vient dans ma direction. Les pattoches du copain invisible remuent.
— Où allez-vous ? demande-t-il en anglais.
— A la salle de bains.
Ça y est, la voilà, bien superbe dans une robe d’intérieur molletonnée, couleur feuille morte.
Elle me foudroie d’un regard intense et me désigne péremptoirement (je raffole des adverbes) la porte.
Mais Bibi, oh ! pardon, Lisette, il ne l’entend pas de cette oreille (d’ailleurs elle n’a rien dit). Au lieu de sortir, je déponne l’huis de la salle de bains et pénètre dans celle-ci. Mon premier soin est d’ouvrir en grand les deux robicos, histoire de créer un bruit de fond.
La môme Larsen entre à son tour, blême de frousse ou, qui sait ? de fureur.
Elle chuchote :
— Partez immédiatement, vous et la fille qui vous accompagne, sinon il va vous arriver malheur ainsi qu’à votre directeur.
Un temps. Elle ajoute :
— Et à moi également.
— O.K. ! Mais je ne sortirai pas avant d’avoir deux mots d’explications.
— Plus tard. Je ne peux vous parler ici. Et d’ailleurs tout cela est top secret !
— Top secret mon cul, chérie ! J’ai suffisamment joué les nigauds de service, je dois savoir ! Au moins l’essentiel.
— Ce qui est essentiel, c’est que vous filiez !
Elle veut se tailler. Je la retiens par le poignet. Elle se débat. Un flacon de gel restructurant microciblé : Future Perfect de chez Estée Lauder, qui se trouvait sur le lavabo, choit et se brise. Une flaque foutreuse s’ensuit ainsi que des chiées de menus tessons. July s’arrête, indécise.
— Parlez ! enjoins-je d’un ton coagulé.
Elle secoue la tête.
Je cherche du convaincant, mais tout va très vite : la porte s’ouvre à la volée et un mec est là, les jambes fléchies tenant un gros bidule bronzé à deux mains.
Ce garçon, d’une trente-sixaine d’années, a la distinction d’un accordéoniste de bal musette. Pantalon gris, chemise noire, cravate blanche. Pas de veston. Son arquebuse doit glavioter des noyaux d’avocados.
— Hands up ! m’ordonne-t-il calmement.
Hands up. J’avais pas dix berges que je lisais ça dans les fascicules policiers que j’achetais dans la petite boutique de Mme Buéner, la marchande de journaux-papeterie de notre quartier. L’odeur qui flottait dans son estanco me rendait fou. Rien que pour respirer ces fragrances de papier journal et d’encre fraîche, je passais lui dire bonjour. C’était une femme maigre, avec toujours un fichu sur les épaules, le teint pâle, les mains noircies par le maniement des imprimés. Elle avait un petit air triste et gentil qui m’émouvait. C’est marrant, la vie. Quand on rencontre des gens, on ne sait jamais à l’avance desquels on va se souvenir plus tard. C’est pas une question d’importance, mais de « sensations ». Il y a ceux qui s’installent en vous, discrètement, et puis ceux qui tonitruent et vous disparaissent de l’existence à tout jamais.
Alors bon : hands up, comme dans les livraisons cacateuses de Mme Buéner.
Mais Sana, dis ! Hein ? Bon, tu m’as compris. Avec lui c’est quand il veut, où il veut, comme il veut ! Sinon il travaillerait aux Galeries Lafayette, rayon des dessous féminins (tout de même !).
J’ai immédiatement noté l’espèce de barre fixe vissée en haut de l’encadrement de la lourde et qui permet aux clients sportifs d’entretenir leur musculature antérieure. Alors, dans le mouvement que j’effectue pour hands uper, j’opère une détente de tout mon être, empoigne la barre, replie mes jambes et propulse mes deux pieds dans la poitrine du gars.
L’accordéoniste à pistolet valdingue sous l’impact et se retrouve les quatre fers en l’air. Une balle écaille le plaftard. Je saute à pieds joints sur sa main toujours armée. J’entends craquer. C’est pas la pétoire, c’est son poignet.
Je ramasse l’arme et la soupèse.
— Un truc comme ça, lui dis-je, c’est bien pour buter un taureau, seulement ça déforme les poches quand tu vas dans le monde.
Et poum ! je lui en assène un coup sec sur la théière. Oh ! pas l’avalanche dans les montagnes Rocheuses ! La simple dose soporifique pour négocier la passivité d’un méchant.
Il s’endort sur place.
J’enfouille son artillerie de campagne dans mon futal et mon bénoche se met à prendre de la gîte comme s’il trimbalait une orbite double.
En garçon déterminé, je coltine julot jusqu’au plumard qu’il a eu tort de quitter et le ligo-bâillonne avec du matériel de tapissier. On ne dira jamais suffisamment combien ces gens sont précieux pour les auteurs de romans policiers !
Ce boulot achevé, je me tourne vers July.
Zob ! Elle a disparu.
Alors là, je m’enlise dans le saumâtre !
CHAT CLOWN 15
Le chat fera toujours « miaou », l’âne « hi-han » et les pompiers « pin-pon ». C’est ce que je pense en entendant survenir un gros véhicule rouge par l’allée cavalière.
Pin-pon ! Deux notes !
Les casques de cuivre brillent au soleil. Et ma pomme, le pyromane, de trouver beau ce spectacle coloré.
Tout de même je les ai à la caillette, espère ! Je ne la savais pas si redoutable, la bombinette incendiaire de Mathias ! Dire que j’adore les style Louis XIII et que je viens de bouter le feu dans un château délicieux de cette époque ! Car ça crame ferme. Le salon entier brûle et les flammes jaillissent des fenêtres qui ont explosé pour lécher la façade.
Le personnel a bien essayé de circonscrire le sinistre comme on dit puis (Béru, lui, dit circoncire), mais les extincteurs maison se sont montrés aussi efficaces que Mamie Cresson à Matignon. Fallait les pros. Ils arrivent ! On a fait sortir les habitants de l’hostellerie et ils sont tous rassemblés sur l’immense pelouse : ceux qui baisaient, ceux qui se cataplasmaient, ceux qui tricotaient, ceux qui regardaient la téloche, ceux qui…
Tous, sauf Chilou et July.
Où sont-ils ? J’ai visité chaque chambre : niente ! Dans l’une d’elles j’ai repéré une valoche du Dabe que j’ai formellement reconnue. Vuitton d’avant 14, constellée d’étiquettes de palaces en provenance du monde entier, principalement des Indes. Malle des Indes mystérieuses. Il a dû la trouver dans le coffre de sa vieille Rolls quand il l’a achetée d’occase. En tout cas il n’est plus dans sa piaule !
Et la mère Larsen, bordel ! Pourquoi a-t-elle mis les adjas quand j’ai neutralisé son garde du corps (ou son geôlier ?) ?[9]
— Ça sent le roussi ! murmure Rosette.
— Surtout pour nous, admets-je. On va profiter de ce branle-bas pour filer.
— Nous n’avons pas de voiture.
9
Je demande à mes potes de l’imprimerie de respecter ma ponctuation. Je sais que deux points d’interrogation successifs font bizarre, néanmoins ils sont justifiés puisque l’un concerne la phrase dans son ensemble et l’autre exclusivement la parenthèse. A part ça, ça va, les gars ?