« On boit toujours. N’à la fin, ce fumier m’avoue qu’il est un des bras droits du chef de F.P. ; ils ont commencé la grande croisée et n’avant les prochaines élections, y aura un chang’ment d’régime en France. L’estrême droite va faire un coup d’État et emparer le pouvoir. Veux-je-t-il faire partie d’ c’ t’noble cause ? Putain, si je bichais ! J’y rétroque que « de tout mon cœur ». Il me d’mande si j’accepterait-il de zinguer du crouille et du noirpiot ?
« Je lui affirme que c’est mon vœu l’plus cher, un régal qu’j’eusse jamais osé t’espérer. Alors, bon, aussi sec, il m’embrigade et me conduit à leur chef, un zig masqué aux façons délicates. On m’met à l’épreuve du feu. Première mission : scrafer un Noir qui s’permet des prévôtés av’c une frangine au fion brûlant.
« Moi, d’puis l’début du commenc’ment, j’songe à ce pétard qu’a inventé l’gars Mathias et qui tire des bastos d’sa décomposition : ça pénètre pas, ça pique et ça fout l’sujet en état d’tétralogie[11]. C’qui m’restait z’à faire, c’tait d’me mett’ en ch’ville avec une équipe de collègues de la voie publique. Avant d’commettre une digression contre des all blacks, j’les prév’nais et y s’t’naient prêts à interviendre pour embarquer l’ soi-disant cadav’. N’en réalité, y l’ conduisaient dans un cent’ de r’groupage où c’qu’en ce moment, dix-huit pégreleux jouent à la belote n’en attendant qu’on les délivrasse. »
Il rit gras.
— Le grand chef masqué a eu une funeste inspiration, mec. Y l’a voulu qu’ j’abattasse nos potes prisonniers. Manque de bol pour lui, y m’restait plus assez de valdas bidons. Ce con qu’insiste pour qu’j’opère au sirop d’acier, avec un feu normal, calibre éléphant ! Charogne ! Le plus esplendid carton de ma vie. Jamais j’ai praliné aussi rapidos une demi-douzaine de gus ! T’aurais vu descendre messieurs les hommes, Tonio ! Entr’ la première bastos et la dernière, pas un qu’a eu l’temps d’empoigner son composteur. Y sont morts plus vite que leur ombre ! J’croive qu’la caméra était branchée et qu’ça a enregistré mon carton géant. Un document, mec ! Un document dont y va falloir projeter dans les écoles de commissaires. On baptisererait ça : « la s’ringuée Bérurier ».
Il se tait, ruisselant de gloire et de sueur.
— A toi de terminer, Pinuche ! fais-je au Bêlant.
César s’écaille une chiassure d’œil et commence :
— Reprenons, si tu y consens, au moment où nous nous sommes séparés, après avoir pris un excellent repas chez ces gens charmants…
Joli préambule, très préambulatoire.
— Donc, poursuit le Fossilisé, je me suis rendu en l’Hostellerie du Chevalier Noir, délicieux établissement où…
— Enchaîne, j’ai lu le dépliant.
Il soupire :
— Tu es irascible, Antoine, ce qui va faire de toi, je le crains, un directeur tyrannique.
— Je ne suis pas encore directeur. Fonce !
A regret, il pousse la manette des gaz.
— J’arrive donc en cet établissement plein de charme. La bonne chère m’avait rendu somnolent, aussi me couché-je au plus vite. Mais au moment de me glisser dans les draps de mon lit à baldaquin, j’avise mes chaussures crottées de boue. Alors je décide de les mettre dans le couloir afin qu’on me les cire.
— Cirasse ! reprend Bérurier, très didactique.
— Afin qu’on me les cire, répète calmement Pinaud. Or, au moment où je me risque, en chemise, dans le couloir, qui avisé-je regagnant sa propre chambre ? Je te le donne en mille !
— Le Vieux, fais-je.
Il est déconfit.
— Ah ! bon, dit-il.
— Mais que cela ne t’empêche pas de continuer.
— Aussitôt, je cherche à te joindre. Je téléphone donc chez ce délicieux proviseur et lui demande à te parler. Il me prie de ne pas quitter et je reste en ligne une éternité sans que l’on s’occupe de moi. De guerre lasse, je raccroche, rappelle un peu plus tard, mais la ligne sonne « occupé ». Alors j’appelle la Grande Maison où je tombe sur Mizinsky. Là, j’ai beau rassembler mes souvenirs, je ne parviens plus à me rappeler exactement ce que je lui ai dit. Ce fut cependant capital, puisqu’il se méprit sur le sens de mes paroles.
— Se méprisât ! corrige Béru.
— Puisqu’il se méprit, reprend Pinaudière. Je pense que je lui déclarai que je venais de faire une découverte qui risquait de foutre une sacrée merde dans la Maison et qui le concernait. Je ne voulais pas rendre ma découverte publique, comprends-tu ? A la lumière de ce que nous savons de lui maintenant, je réalise qu’il s’est cru visé. Il a pris peur. Je ne pouvais demeurer sous le même toit qu’Achille ; il risquait de me voir à son tour et la situation se serait détérioriée. « J’ai réglé ma note, repris la route et suis arrivé au petit matin à Paris. Mizinsky m’attendait dans son bureau. Il m’a aussitôt engagé à le suivre, ce que j’ai fait sans méfiance. Une Estafette bordeaux nous attendait. J’ai alors compris, mais il était trop tard. On m’y a embarqué de force et l’on m’a soporifié d’importance. La suite, tu la connais.
Un long silence, rompu par l’arrivée de m’man qui apporte sans que je le lui ai demandé un magnum de Laurent Périer rosé. C’est Mathias qui débouche cette grande et noble bouteille, lui qui emplit des coupes. Trinquerie générale. On porte des toasts à ma promotion, à l’amitié, à la vie, à l’amour…
Ayant bu, j’expectore avec discrétion, et soupire pour donner un prolongement naturel à mon exhalaison.
— Je n’arrive pas à piger pourquoi on est venu molester maman et la bonne pour les faire avouer que Jérémie et Violette sont de la police. Mizinski ne le savait que trop !
— Justement, note Mathias, tu ne comprends donc pas qu’en agissant de la sorte, il échappait aux soupçons qui pourraient naître à son sujet ? C’est diabolique, au contraire. Qui aurait pu envisager, en cas de problème, qu’il ait fait torturer deux malheureuses femmes pour qu’elles révèlent quelque chose qu’il savait ?
Nous saluons sa perspicacité.
C’est Béru qui trouve le mieux les mots pour traduire notre admiration :
— T’es rouquin, mais ça n’t’empêche pas d’gamberger !
CHAT PITRE RIEN
L’heure légale !
On l’attend dans des véhicules banalisés. Je fais équipe avec Violette, pour changer. Béru et Pinuche ont proposé à Jérémie de se joindre à eux. Le Noirpiot a accepté sans grand enthousiasme parce que c’est leur fouzi-foula à Ramadé et à lui, et qu’il aimerait bien se retirer dans ses terres pour fêter ça avec sa bergère. Mais bon, on espère qu’il n’y en aura pas pour longtemps.
Violette me caresse le membre, distraitement.
— Qu’est-ce que ça vous fait d’être nommé directeur, commissaire ?
— Je ne crois pas que j’accepterai cette promotion, ma choute. Je ne suis pas un type de bureau et de réceptions, mais un mousquetaire de la Rousse ; un bretteur. Dans le bureau d’Achille, je m’étiolerais au milieu des paperasses.