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Susan fendit une barquette de cuisses de poulet avec un couteau. « Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? » demanda-t-elle.

Lennon s’assit sur la chaise qu’elle venait de quitter. « Tu sais bien, je devais voir le représentant de la Fédération de la police. Après, je suis allé chercher Ellen à son cours de danse.

— Elle m’a dit que tu étais arrivé en retard.

— Dix minutes. À cause de ce rendez-vous… Je ne pouvais pas le déplacer.

— L’entretien a duré, quoi… une heure ? » Elle posa le couteau sur la paillasse en évitant de croiser son regard. « Plus dix minutes pour rentrer avec Ellen. Tu étais à peine levé quand je suis partie ce matin. Qu’est-ce que tu as fait le reste du temps ? »

Lennon se passa les doigts sur le menton. L’espace d’un instant, il fut surpris par le contact de sa peau douce. Puis il se souvint qu’il s’était rasé. Pour la première fois depuis presque deux semaines.

Le silence se fit dans le salon. Les filles ne s’intéressaient plus au dessin animé. Les yeux baissés, elles contemplaient leurs mains.

« Pas grand-chose… »

Susan se tourna vers lui. « Tu t’es occupé de la lessive ?

— Non.

— Je te demande depuis des semaines de trier les affaires que tu veux donner aux bonnes œuvres. Tu l’as fait ?

— Non.

— Et ce rendez-vous chez le psy ? Tu l’as pris ?

— Non. »

Elle avait les yeux brillants, les joues rouges. « Si je comprends bien, tu n’as rien foutu de la journée ? »

Sans un mot, Ellen et Lucy s’éclipsèrent dans leur chambre.

Lennon ne put s’empêcher de rire bêtement. Un rire qui se commua aussitôt en une quinte de toux, vite contenue. « Eh bien, je… »

Elle frappa la paillasse. « Moi, je bosse, et toi tu restes ici à glander. »

Lennon parla plus fort qu’il n’en avait eu l’intention. « Je n’ai pas envie de…

— Je ne suis pas ta mère, Jack. Tu n’es pas un môme, et j’aimerais bien que tu commences enfin à te comporter comme un adulte. »

Il partit vers le salon. « Je ne veux pas me disputer avec toi.

— Combien de cachets tu as pris ? »

Il attrapa la télécommande sur la table basse. « Je te l’ai dit, je ne m’en souviens pas.

— Tu ne devrais pas en prendre du tout. Tu n’as même pas d’ordonnance. À se demander où tu…

— J’en ai besoin pour calmer la douleur.

— Foutaises. » Elle avait lâché le mot avec mépris. « Tu t’en sers comme d’une béquille. Moi aussi, je suis une béquille que tu utilises. »

Sans répondre, il s’assit et fit défiler les chaînes. Ils ne parlèrent pas pendant que Susan allait chercher les filles dans la chambre et leur servait à dîner. De sa place, Lennon écouta le cliquetis des couverts sur les assiettes. Ni Lucy ni Susan ne lui souhaitèrent bonne nuit au moment de se coucher. Mais Ellen vint l’embrasser avant de le laisser seul, et il en fut heureux.

10

Rea attendit sa mère, assise sur l’escalier, là où elle lui avait dit au revoir plus tôt dans l’après-midi, si bien qu’en entrant, celle-ci dut penser que sa fille n’avait pas bougé pendant tout ce temps.

« Alors, qu’est-ce qui t’arrive ? » demanda Ida en fermant la porte derrière elle. Elle avait l’air de s’être habillée en hâte. Un souffle d’air poussa le battant vers l’intérieur. Ida fit claquer sa langue avec agacement et referma la porte, plus fort. Cette fois, le loquet s’enclencha.

« Tu as dit que tu ne connaissais pas vraiment ton frère », commença Rea.

Ida fronça les sourcils. « C’est vrai.

— Qu’est-ce que tu savais de lui, exactement.

— Ce que je t’ai raconté. Plus ou moins.

— Comment est morte sa femme ? »

Ida vint s’appuyer à la rampe. « C’était très triste. En fait, elle avait un problème avec l’alcool. Elle avait bu énormément de sherry la nuit où elle est morte. Elle est tombée dans l’escalier et s’est fracassé la tête. »

Ida regarda ses pieds, comme réalisant qu’elle se tenait à l’endroit même où le crâne de Carol Drew s’était fendu en deux.

« On ne s’est jamais interrogé ? demanda Rea.

— Interrogé sur quoi ?

— Sur la manière dont elle est morte. Personne ne s’est demandé s’il y avait autre chose ?

— Quoi ? Quelque chose de louche, tu veux dire ?

— Oui. »

Ida secoua la tête. « Non, non, rien de tout ça. Absolument pas. Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Au lieu de répondre, Rea lança une autre question. « Et quand vous étiez gosses ? Comment il était à l’époque ?

— Je ne sais pas, dit Ida en s’asseyant deux marches plus bas que Rea. Je ne le voyais pas beaucoup. Ce n’était que mon demi-frère, rappelle-toi. Il vivait en partie chez une tante, la sœur de son père. C’était une vieille bique acariâtre, jamais un mot aimable pour personne. Elle n’a pas pardonné à ma mère de s’être remariée si vite après la mort du père de Raymond. Il habitait avec nous de temps en temps, mais mon père et lui ne se sont jamais bien entendus. Et puis, il y a eu les petits ennuis avec la police. »

Rea se pencha en avant. « La police ? »

Ida baissa les yeux, noua ses mains l’une à l’autre, comme si elle avait libéré un terrible secret. « À plusieurs reprises, en fait.

— Pour quelle raison ?

— Au début, pour des broutilles. Des bonbons qu’il volait dans les magasins, des cigarettes, tout ce qui pouvait tenir dans sa poche. Ensuite, il y a eu le clochard qu’il a malmené. Il a juré à notre mère que celui-ci l’avait attaqué. Il aurait pu aller en prison cette fois-là, mais l’affaire n’a pas été jugée parce que le clochard refusait de parler à la police, et puis Raymond n’était encore qu’un adolescent, bref, ça ne tenait pas.

« Après ça, mon père l’a mis dehors, il lui a dit de retourner vivre chez sa tante et de ne plus jamais se pointer à la maison. Sauf qu’elle ne voulait pas de lui non plus, alors il s’est retrouvé à la rue. Au bout de plusieurs semaines, comme personne n’avait plus aucune nouvelle de lui, ma mère a obligé mon père à prendre la voiture pour le chercher. Ils l’ont déniché près de l’usine à gaz, il vivait dans des cartons.

— Et ils l’ont repris avec eux ?

— Maman n’a pas trop laissé le choix à papa. Soit il acceptait que Raymond revienne, soit elle partait, et elle m’emmenait. Donc il est revenu, et il s’est bien comporté pendant un moment. On formait presque une vraie famille, à cette époque. Mais ensuite, les cambriolages ont commencé. Un ou deux par semaine, dans un rayon d’un kilomètre carré autour de chez nous. Les coupables ne prenaient presque rien, mais les tiroirs étaient fouillés, le linge intime renversé et éparpillé partout. Parfois, ils faisaient même leur commission dans les lits. »

Rea retint un rire. « Quoi ? Ils chiaient, tu veux dire ? »

Ida la fustigea du regard. « Surveille ton langage. Tu n’es pas trop grande pour recevoir une claque derrière l’oreille. Mais oui, c’est ça. Et d’autres choses. »

Rea préférait ne pas imaginer ces « autres choses ».

« Bref, continua Ida. Ça a duré des semaines, une douzaine de maisons ont été cambriolées. Et puis un gros gaillard qui travaillait au chantier naval a surpris ton oncle Raymond en train d’escalader le mur de son jardin. Il lui a mis une raclée terrible, au point de l’envoyer à l’hôpital. Ensuite, bien sûr, Raymond est parti en maison de correction. Maman avait le cœur brisé, et papa ne voulait plus entendre parler de lui. Il n’est jamais revenu chez nous. Il s’est engagé dans la marine marchande le lendemain de ses seize ans. »