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— Je ne vois pas de quoi vous parlez, répliqua-t-elle, un léger tremblement dans la voix.

— Si, vous voyez. » Plus près maintenant. Assez près pour qu’elle perçoive l’odeur de son eau de toilette. « Ne jouons pas à cache-cache. Nous savons tous les deux de quoi il s’agit, nous sommes entre adultes. Je peux être un bon ami, figurez-vous. Ou bien je peux vous rendre la vie très difficile ici. C’est vrai, il suffit de regarder Jack. »

Flanagan déglutit, baissa les yeux. Elle sentait son haleine sur sa peau.

« Allons, dit Hewitt. Prenez la bonne décision. Vous ne voulez pas de moi comme ennemi, je vous assure. »

Flanagan lâcha un juron étouffé, un soupir faible et vain. Elle décrocha la clé de sa ceinture, ouvrit le tiroir de son bureau et recula d’un pas. L’épais dossier dépourvu d’indications reposait sur un tas de papiers en vrac.

Hewitt regarda l’objet convoité, puis Flanagan.

« Allez-y, dit-elle rageusement, crachant les mots. Prenez-le et fichez le camp. »

Il avança la main droite.

Le piaillement aigu qu’il émit lorsqu’elle lui claqua le tiroir sur les doigts procura à Flanagan une immense joie, telle qu’elle n’en avait pas éprouvé depuis des semaines.

Elle maintint la pression. Voyant que Hewitt tentait d’agripper le tiroir de sa main libre, elle poussa de tout son poids avec sa hanche, et lui arracha un autre cri, plus fort, plus long.

Il voulut sortir son Glock 17 de l’étui à sa ceinture, mais elle fut plus rapide, lui déroba l’arme et pressa le canon sous sa mâchoire.

« Espèce de sale conn… »

Flanagan approcha les lèvres de son oreille, au point de l’effleurer de ses dents, et murmura : « Si vous essayez encore une fois de me faire peur, je vous tranche vos putains de couilles. C’est clair ? »

Elle donna encore un coup dans le tiroir, soutirant à Hewitt un dernier jappement qu’elle trouva délicieux, puis le libéra. Il recula en chancelant contre le mur, serrant sur son ventre ses doigts sanglants dont les jointures étaient déjà enflées.

Flanagan ouvrit la fenêtre et examina, plus bas, le toit de gravier du bâtiment voisin. Le pistolet de Hewitt rebondit trois fois avant de s’immobiliser près d’un vasistas. Elle jeta ensuite le chargeur.

« Quelqu’un de la maintenance pourra sûrement vous prêter une échelle. »

Hewitt la dévisageait fixement, son beau costume taché de sang.

« À présent, vous allez me faire le plaisir de foutre le camp. »

Il partit en silence, sans se retourner.

Flanagan se laissa tomber dans son fauteuil, une vague d’adrénaline déferlant jusqu’au bout de ses doigts.

42

La BMW s’arrêta devant la maison de Deramore Gardens. Roscoe Patterson considéra le ruban de la police qui barrait la porte d’entrée.

« Hé, c’est là que cette femme a été tuée ?

— Oui, répondit Lennon en ouvrant la portière passager.

— Tu ne peux pas entrer.

— Je n’en ai pas l’intention. »

Lennon ferma la portière et traversa la rue. Le panneau de l’agence immobilière, indiquant LOUÉ, se dressait toujours dans le jardin à l’abandon de la maison d’en face. Là où s’était tenu un homme qui l’observait, trois jours plus tôt. Un homme d’environ soixante ans, avec des traits fins et des yeux bleus.

Il entendit la portière du conducteur claquer.

« Où tu vas ? lança Patterson derrière lui.

— Attends-moi.

— J’aime pas ça. J’ai pas besoin de ce genre d’ennuis. »

Lennon tourna vaguement la tête. « Je jette un coup d’œil, c’est tout. J’en ai pour une minute. »

Patterson resta debout, appuyé contre la voiture d’un air résigné. Lennon ouvrit le portail de l’allée carrossable. Le vantail pivota silencieusement sur ses gonds. Une maison de briques rouges, reflet presque identique de celle que Rea avait héritée de son oncle.

Lennon s’engagea sur les dalles de ciment et s’approcha de la fenêtre. Il scruta le salon à l’intérieur. Vide, plancher de bois nu, pas de meubles, rien aux murs hormis les fantômes des tableaux décrochés.

Contournant la maison, il atteignit le haut portillon en bois qui permettait d’accéder au jardin de l’autre côté. Entre les lattes, il distingua une remise branlante, la pelouse négligée, de grands pots envahis de mauvaises herbes. Les feuilles de l’année précédente s’entassaient un peu partout. Il put passer la main par un trou à hauteur de la taille et tirer le verrou. Le portillon s’ouvrit en grand, il dut le retenir pour l’empêcher de heurter le mur.

Il s’avança prudemment vers les fenêtres de la cuisine construite en saillie à l’arrière de la maison. À nouveau, il colla son nez à la vitre pour épier l’intérieur. Vide aussi, avec des espaces béants à l’endroit de la cuisinière et du réfrigérateur.

Contrairement à son attente, la poignée tourna lorsqu’il essaya d’ouvrir. La porte soupira en s’écartant doucement du chambranle.

Lennon hésita. Avait-il le courage ? Puis il pensa à Rea et poussa le battant du bout des doigts.

L’air froid de la maison le toucha au visage. Il pénétra dans le silence, traversa la cuisine en faisant aussi peu de bruit sur le vieux linoléum que le lui permettait sa claudication. Plus loin, le vestibule, une porte ouverte, un salon vide.

Lennon inspecta chaque pièce dans ses moindres recoins. Parvenu au bas de l’escalier, il leva les yeux vers le palier plongé dans l’obscurité.

Personne ici, pensa-t-il. Personne.

Il posa le pied sur la première marche. En montant, il prit conscience de son cœur qui cognait dans sa poitrine, de son souffle court. Il marqua une pause, avala sa salive, attendit que la tension retombe. Puis il reprit son ascension.

En haut, il se trouva face à quatre portes. Au fond, supposa-t-il, celle de la salle de bains. Il l’ouvrit et resta en retrait. Rien, à part la poussière et une goutte qui tombait régulièrement du pommeau de la douche sur l’émail de la baignoire. Une couche de tartre tapissait la cuvette des toilettes.

La deuxième porte s’ouvrit en grand dans la pièce. Une moquette usée et tachée. Une vieille armoire contre un mur, dont les portes bâillaient sur leurs gonds tordus. Il entra et alla à la fenêtre, qui donnait sur le jardin.

Deux autres pièces sur le devant de la maison. L’une, ouverte, une sorte de débarras à peine assez grand pour contenir un lit une place. De la fenêtre, ici, il avait une vue dégagée sur la maison de Raymond Drew et les mouvements dans la rue tout autour. Roscoe Patterson, toujours appuyé contre la voiture, fumait une cigarette.

À la dernière porte, Lennon hésita, redoutant ce qu’il pourrait trouver, même s’il n’avait aucune raison d’imaginer autre chose qu’une pièce vide. Il tourna la poignée et poussa le battant.

Un grand registre relié en cuir était posé au centre sur la vieille moquette.

Lennon déglutit. Une odeur âcre flottait dans l’air, une odeur masculine, où la sueur se mêlait à l’humidité. Un sac de couchage dans le coin, quelques boîtes de conserve vides, de l’eau en bouteille, une sacoche marron, des crayons et des feuilles de papier.

Un iPhone, l’écran noir. Il savait à qui il appartenait, et, à cette pensée, un froid le transit.

Des motifs aux murs, dessinés au crayon. Le trait était grossier, mais le talent suffisant pour que Lennon reconnaisse la femme représentée sur chaque panneau. Debout à une fenêtre ou sur le seuil d’une porte, regardant dehors, observée à distance. Rea Carlisle ressuscitée par une palette de gris.