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Mais là, aujourd’hui, son esprit obéissait.

L’Étincelle regarda sa montre. Onze heures cinquante-quatre. Il aurait aimé arriver plus tôt, mais le bus avait été retardé à cause de travaux sur la voirie. Il accéléra le pas.

Moins d’une minute plus tard, au coin sud-est de Victoria Square, il atteignit l’entrée du grand magasin par lequel on pénétrait dans le centre commercial. Il franchit les portes, grimpa une courte volée de marches et déboucha dans un labyrinthe de présentoirs cristallins, sacs à main, gants, écharpes. De jeunes vendeuses trop maquillées rôdaient entre les étalages pour débusquer les clients. Il les évita et continua son chemin, délaissant les escalators qui menaient aux étages supérieurs, prêt-à-porter masculin, décoration pour la maison.

Au fond du magasin, la rangée de portes vitrées donnant sur l’atrium du centre commercial. À peine en eut-il poussé une que l’Étincelle remarqua aussitôt le changement sonore. D’un côté, des murmures assourdis et une discrète musique d’ambiance, de l’autre, les voix d’enfants et de leurs parents amplifiées par l’immense coupole de verre.

Autour de l’espace central, les étages s’élevaient comme les ponts d’un paquebot reliés par des escalators et des passerelles, dominés par l’observatoire tout en haut. L’endroit grouillait de monde, une armée de fourmis qui cherchaient désespérément à gaspiller leur argent.

L’argent. La seule chose dont il avait besoin maintenant.

L’Étincelle s’engagea dans le grand escalier central en spirale. À mi-hauteur, il consulta sa montre.

Encore deux minutes. Il ralentit l’allure, prit tout son temps pour monter. Patience, prudence.

54

« À l’entresol, dit Calvin. Il vient de monter. Je suis en haut avec Beattie, à côté du cinéma. On n’a pas eu le temps de bien voir, mais il me semble que ça pourrait être lui. »

Menton incliné vers le col de sa veste, Lennon répondit dans son micro. « Nous sommes en face de vous. Je n’ai aucune visibilité ici… Comment est-il habillé ? »

Il se dirigea vers l’escalator, Flanagan sur ses talons.

« Casquette de base-ball noire ou bleu marine, jean foncé, veste grise. Sac à dos rouge et noir sur l’épaule, de marque Adidas, je crois.

— On descend », dit Lennon, qui avait déjà atteint le niveau 2.

Tandis qu’il se frayait un chemin parmi la foule, Flanagan lui lança : « Doucement, Jack. Rappelez-vous ce qu’on a dit.

— Je ne le toucherai pas. »

À nouveau, la voix de Calvin dans son oreille. « Que personne ne bouge jusqu’à confirmation… »

Le sergent demanda à Flanagan : « Vous voulez que je vous rejoigne ?

— Pas encore, mais tenez-vous prêt. »

Une bande de jeunes garçons qui auraient dû être à l’école barrait l’accès à l’escalator conduisant au niveau 1. Lennon les bouscula, insensible à leurs imprécations. Flanagan fit de même et le suivit. Il descendit encore, jusqu’à l’entresol.

Elle se heurta à lui quand il s’immobilisa au pied de l’escalator. Seuls ou en groupes, des gens de tous âges déambulaient dans la galerie. Lennon chercha la casquette de base-ball.

« Où est-il ?

— Près des ascenseurs, répondit Calvin. Sur la droite, contre la rambarde. »

Lennon l’aperçut. Un homme mince, de dos, cheveux grisonnants qui dépassaient de la casquette.

« C’est lui ? interrogea Flanagan.

— Je ne sais pas. Je ne vois pas son visage. Peut-être… »

Flanagan lui prit le bras. « S’il a peur, il s’enfuira. On ne peut pas courir ce risque. »

Ils s’approchèrent de la rambarde, une dizaine de mètres derrière l’homme. Lennon s’avança encore.

« Alors… ? » La voix de Flanagan était à peine audible dans le brouhaha général.

« Je ne sais pas », répéta-t-il. Il se pencha par-dessus la rambarde pour essayer de voir l’homme de profil. « Je crois… Je ne suis pas sûr.

— Merde, dit Flanagan. Attendez. »

Retenant à nouveau Lennon par le bras, elle parla dans son micro. « Calvin, descendez.

— Vous l’avez identifié ? demanda Calvin.

— Pas à cent pour cent, mais dépêchez-vous. »

55

L’Étincelle consulta sa montre une dernière fois.

Midi et une minute.

Graham Carlisle n’était pas venu. Il ne viendrait pas.

L’Étincelle éprouva une brusque tristesse. Pour lui-même. Un peu comme du chagrin.

Cette émotion le surprit. Il s’était toujours dit, ainsi qu’il l’avait écrit, qu’il accueillerait la fin le cœur joyeux. Que l’éruption ultime de sa lumière signerait son propre ravissement. Peut-être s’était-il trompé. Trop tard pour s’en préoccuper maintenant.

Sans argent, il n’avait pas les moyens de s’enfuir. Il ne voulait pas en arriver là, mais c’était le choix de Graham, pas le sien. Lui n’aurait pu être plus clair. L’argent ici à midi, sinon il commettrait un acte terrible.

Il soupira, une longue expulsion d’air qui le laissa à court de souffle. Il pensa à Raymond et aux noirs plaisirs qu’ils avaient partagés en secret. Raymond, seul parmi tous les humains, l’avait compris. Si l’Étincelle avait cru en Dieu, en des lieux situés au-dessus ou au-dessous de celui-ci, il aurait pu espérer le revoir. Dans un coin de l’enfer, allongés côte à côte, ils auraient chuchoté pendant la nuit éternelle.

Mais il ne croyait pas à ses choses. En revanche, il estimait important de tenir parole. Il posa le sac par terre, contre la rambarde, s’accroupit et y plongea la main. Le contact du pistolet était agréable. Comme une promesse entre ses doigts.

L’Étincelle se releva et jeta un regard autour de lui.

Qui ?

Dans cet ultime péché, qui réduirait-il au silence ?

Alors, il vit la réponse.

56

Flanagan dégagea son Glock de l’étui et le tint le long de sa cuisse, canon pointé vers le bas.

Allez. Maintenant.

« Howard Monaghan ! »

L’homme n’eut aucune réaction.

« Je croyais qu’on devait attendre, dit Lennon.

— Restez où vous êtes. »

Elle appela l’homme à nouveau. Pas de réponse.

Flanagan s’approcha de lui. Lennon avança de l’autre côté, prêt à le prendre à revers s’il tentait de s’enfuir.

Elle leva son arme, à deux mains, et mit en joue le dos de l’homme. Indifférente aux murmures d’effroi, aux exclamations étouffées qui jaillissaient tout autour.

« Howard Monaghan », lança-t-elle encore une fois, assez fort pour altérer sa voix.

L’homme réagit enfin. Il se retourna lentement, comme un cobra qui étudie sa proie, et découvrit le pistolet.

« Oh, putain ! »

Il leva les mains.

« Bon sang, ne tirez pas, ne tirez pas, ne… »

Malgré la force de la supplique, Flanagan entendit distinctement Lennon. « Ce n’est pas lui. »

Elle ne détacha pas ses yeux de l’homme qu’elle visait en plein front. « Vous êtes sûr ?

— Oui. »

Elle baissa l’arme. « Eh merde ! »

Tout tremblant, l’homme gardait les mains en l’air. Il regarda alternativement Flanagan et Lennon. « Qu’est-ce que vous… »