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Les moujiks qui montent à l’assaut souffrent pareillement et gèlent sur place avant d’avoir pu gueuler leurs « Hourré pobiéda ». Un même martyre enveloppe les deux adversaires qui voudraient crier grâce. Le métal des armes casse avec une facilité surprenante. Les chars soviétiques avancent à l’aveuglette dans l’éclairage blafard des fusées qui donnent un éclat bleuté encore plus rigoureux à l’ensemble. Ils finissent stupidement sur les mines qui balisent encore le bord des Schutzgraben à trente mètres des premières lignes, ou sous les impacts des Tigre qui tirent sans bouger. L’infanterie rouge, pieds et mains gelés, échoue et se replie en désordre sous le feu que nous maintenons malgré la martyrisation de nos mains. Les Russes espéraient nous trouver paralysés de froid et incapables de défense. La situation de leurs propres troupes frappées de congestion les indiffèrent. Ils étaient sans doute disposés à ce sacrifice pourvu que nos lignes soient débordées. La guerre n’a pas avancé.

J’ai préservé mes mains du gel en les introduisant, gantées, dans deux boîtes de conserve. Les cartouches ont réussi à monter au spandau. Les mitrailleurs, et tous ceux qui durent faire usage de leurs mains, se retrouvèrent à l’infirmerie avec des gelures impressionnantes. Des amputations eurent lieu.

Le froid intense persiste trois semaines. Les Russes se contentent de nous diffuser de la musique destinée à nous faire regretter le foyer familial et des discours nous engageant à nous rendre.

Vers la fin de janvier, le froid perd du terrain et devient supportable. Le jour, le thermomètre remonte parfois à -15, les nuits sont encore meurtrières, mais avec des relèves plus fréquentes nous tenons le coup. Il n’en faut pas plus pour que l’offensive rouge reprenne de la force. Une nuit, ou plutôt un matin vers 4 ou 5 heures, les sifflets nous expédient à nouveau dans les postes d’interception.

Une masse de chars Staline T‑34 et Sherman s’avance à grand fracas. Un bombardement d’artillerie les précède et cause surtout des dégâts à Boporoeivska, provoquant l’exode définitif des Ukrainiens déjà pétrifiés par l’appréhension. Les chars allemands, environ quinze Tigre, dix Panthère et une douzaine de Mark‑2 et 3, ont réussi à faire tourner leurs moteurs constamment chauffés au cours de leur veille. Au début de l’offensive deux chars Mark‑2 périssent côte à côte sous le bombardement russe. Le front de Boporoeivska tremble maintenant sous les déflagrations. Les landser, immobiles dans leur trou, guettent, en plissant les paupières, l’infanterie rouge qui ne va sans doute plus tarder à déferler. Pour le moment leurs armes automatiques et leur Panzerfaust se taisent. Le ciel appartient à l’artillerie proprement dite et à celle des chars.

Adroitement camouflés, les Tigre attendent, immobiles, moteur au ralenti, que passe à leur portée le gibier à rivets. Leurs coups stridents et nets, allument presque chaque fois un incendie à bord des chars russes qui s’avancent lentement, sûrs d’eux, en tirant vraiment au hasard. Leur tactique de démoralisation ferait son effet si nous ne voyions pas autant de panaches noirs grimper dans le ciel clair de février. Les 37 et les Panzerfaust, armes destinées à être utilisées presque à bout portant, n’ont pratiquement pas eu à intervenir. La première vague blindée soviétique se consume à cent cinquante mètres des premières positions. Elle a été clouée sur place par le tir incroyable des Tigre, des Panthère et de la défense antichars lourde.

Le Tigre est une forteresse étonnante. Les coups ennemis semblent n’être d’aucun effet sur sa carapace qui atteint au frontal 14 centimètres. Un seul point sensible, sa mobilité. Mais voici la seconde vague, plus dense que la première et accompagnée d’une infanterie grouillante qui a bien du mérite. La partie devient sérieuse.

Les crosses se calent au creux des épaules, les grenades à manche sont à la portée de la main, prêtes à être saisies. La bouche est sèche et le pouls accélère son rythme.

Mais voilà que du ciel choit le miracle. Une trentaine d’avions à croix noires surgissent dans un grand hurlement de moteurs. L’escadre de Vinitza, promise, accourt et se rue sur la masse ennemie. Objectif facile à atteindre, chaque bombe fait son ouvrage.

Un « Vive la Luftwaffe ! » immodéré monte de toutes les poitrines au point qu’on se demande si les aviateurs ne l’entendent pas. Toutes les armes allemandes rugissent à la fois sur l’offensive russe qui progresse lentement au prix de pertes suffoquantes. Les blindés allemands quittent leur retraite et foncent sur l’ennemi médusé avec une ardeur digne de l’avance de 41.

Le vacarme devient insupportable. L’air est aigre de fumée, d’odeur de poudre, d’essence brûlée. Les hourras des Allemands se mêlent à ceux des Russes qui faiblissent sous le choc inattendu.

On peut suivre du regard la progression magnifique des Tigre qui pulvérisent au fur et à mesure l’ennemi chenillé qui n’a pas encore fait demi-tour. La Luftwaffe s’acharne au rocket et au canon de 20 sur la débandade russe que nous masque un incroyable mur de fumée lumineux à sa base.

L’artillerie russe persiste à faire pleuvoir des obus sur nos lignes, causant des morts que l’on ne remarque pas. Bientôt elle se tait à son tour devant le reflux de ses propres troupes.

Une autre vague aérienne allemande survient comme un luxe supplémentaire parachevant la débâcle rouge. Les landser se serrent mutuellement dans leurs bras. La joie éclate chez ces hommes qui, depuis un an, se replient devant un ennemi toujours plus puissant. Lensen hurle comme un possédé :

— Je vous l’avais bien dit ! Je vous l’avais bien dit !

Nous eûmes droit aux communiqués spéciaux. Le front de la frontière roumaine tient. Après un mois d’attaques consécutives, et par un froid terrible, les troupes allemandes et roumaines ont repoussé pour la nième fois l’offensive russe et anéanti un matériel considérable.

La masse de ferraille jonchée de morts qui s’étalait devant nous, justifiait assez ces dires. Sur un front de 350 kilomètres, l’armée rouge venait effectivement de lancer seize attaques depuis un mois. Compte tenu des trois semaines de silence où toutes les opérations furent quasi impossibles, les seize assauts avaient porté sur une seule semaine. Cinq points précis subirent ces coups de bélier. Une seule de ces attaques faillit d’ailleurs réussir. Le front fut enfoncé au sud mais la poche fut colmatée et les unités rouges furent faites prisonnières ou anéanties.

De notre côté tout le monde avait tenu bon et nous en étions très fiers. Nous venions de donner la preuve qu’avec un matériel adéquat, un minimum de préparation et des troupes nettement inférieures en nombre, nous pouvions tenir tête à un ennemi dont les efforts insensés n’étaient, à vrai dire, jamais employés à bon escient.

L’ancien, Wiener, avait fait bien souvent cette réflexion dans les moments difficiles. À la vue d’un char ennemi en flammes, il découvrait toujours ses dents de loup en un large sourire.

— Quel con ! disait-il. S’être fait si bêtement avoir ! Seul leur nombre nous submergera un jour !

Il y eut trente Croix de Fer pour la « Gross Deutschland ». Autant pour le petit effectif du régiment de chars qui ne les avait pas volées.