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Der Heller ward zu Wasser Der Batzen ward zu Wein

Peu importe, ici le choix est déjà fait. Le vin est absent et l’eau doit être consommée avec restriction.

Heidi, Heido, Heida ! – Heidi, Heido, Heidal – Heidi – Heido – Heida ! Ah, ah, ah, ah !

Kompanie, marsch, marsch, marche encore. Tu ne chantes plus pour personne sinon pour toi. Et tu connais déjà la chanson.

Puis le soir tombe. Il tombe d’ailleurs très tard. Il tombe sur le bivouac et sur la plaine, sur laquelle il ne nous semble pas avoir avancé. Il tombe sur les visages couverts de poussière, sur les muscles endoloris. Les hommes harassés dorment déjà. Il y a un silence impressionnant qui semble venir du bout du monde.

La marche a repris avec le jour. Depuis des heures, le long vallonnement qui se prolonge à l'horizon reste toujours à la même distance. Nous avançons sur une plaine rocailleuse où le plus haut monticule atteint à peine la taille d’un homme. Des boqueteaux comme je me souviens en avoir vu sur des photos de l’Afrique parsèment cette espèce de désert. C’est curieux, ces arbres courtauds semblent plutôt être faits pour vivre en altitude. Partout, cette poussière rouge qui voltige. Elle semble provenir d’un univers de briques pilées. Il y a belle lurette que nous avons rompu le rang par trois, formation réglementaire des troupes en marche. Nous nous sommes inspirés des partisans. Notre foule, notre troupeau s’est distendu en groupes plus ou moins denses. Les hommes de tête ne s’y trouvent que le temps d’être rattrapés par ceux de la queue, qui, sans forcer le rythme, rejoignent les leaders fatigués. Car l’allure baisse.

Les petites conversations ont cessé. Mieux vaut garder son souffle et ses forces pour mettre un pied devant l’autre. Combien de milliers de pas devrons-nous encore faire ? Les bottes couleur de l’univers poussiéreux progressent sur la plaine rocailleuse qui ne semble plus mener nulle part. Le vent léger apporte la poussière rouge dans nos tignasses dépeignées et abondantes. Nous fixons des choses qui semblent éternellement immobiles à l’horizon. Le rythme, le bruit, le vent, tout devient monotone. De temps à autre, un gargouillement monte du grand creux que nous conservons à hauteur de l’estomac.

Après la pause de 11 heures, après avoir entamé l’ultime provision de mil, un incident survient et trouble la monotonie de notre marche. Dans le ciel bleu de chauffe, apparaissent deux bimoteurs que nous avons heureusement le temps de voir avec une confortable avance. L’horizon est vaste, tout ce qui surgit du ciel est repérable cinq minutes avant que d’être sur nous. Dispersion d’usage, formation antiaérienne, quelques-uns d’entre nous vont mourir… Ce sont deux bombardiers légers, ou avions de reconnaissance bolcheviks, il n’y a pas à s’y tromper.

Les deux zincs nous survolent à deux cents mètres environ. Le ronflement de leurs moteurs déchire le vent léger et résonne jusqu’au fond de nos estomacs qui réclament.

Les deux popovs essuient le tir de nos F.M. sans rien nous lâcher sur la gueule. Ils décrivent un large cercle que nous suivons de nos yeux angoissés. Le deuxième passage sera le bon.

Pourtant, le deuxième passage en question ne laisse dans son sillage qu’une myriade de papillons blancs qui voltigent et miroitent sur le bleu du ciel.

Les avions s’éloignent, et déjà quelques landser vont récupérer les tracts.

Quelqu’un en brandit une douzaine en criant :

— Ivan ignore que nous n’avons plus rien à évacuer, il nous envoie du papier pour chier.

Nous prenons connaissance de la prose communiste.

Soldats allemands, vous êtes trahis… Rendez-vous à nos unités qui vous réhabiliteront… La guerre est perdue pour vous.

Puis, pour nous remonter le moral, de très mauvaises photos de ruines anonymes qui prétendent être des villes allemandes écrasées sous les bombes. Et encore des photos de prisonniers allemands souriants. Sous chacune de ces photos, un petit texte :

Camarades, la captivité temporaire que nous subissons n’a rien à voir avec les mensonges que l’on nous avait racontés sur le monde communiste. Nous avons été agréablement surpris de la bienveillance de nos chefs de camp. Lorsque nous songeons que vous autres, malheureux camarades, vous pataugez dans les Graben pour préserver le monde capitaliste, nous ne saurions trop vous conseiller de déposer les armes.

Et que sais-je encore !

Là-bas, un type, qui a réussi à s’enfuir de Tomvos en faisant le mort, hurle sa colère :

— Les fumiers ! Quand je pense que je suis peut-être le seul survivant de la fosse de Tomvos !

Écœuré, il jette au vent les miettes du papier qu’il a déchiré et redéchiré.

La marche a repris. Les tracts circulent encore de main en main. Les mots « guerre perdue », « trahison », « villes écrasées » tournent dans la tête comme une ronde noire.

Oui, bien sûr, c’est la propagande communiste. Il n’y a qu’à voir l’évadé de Tomvos pour savoir qu’ils mentent. Mais il y a aussi les villes allemandes que tous les permissionnaires ont pu voir. Et puis il y a aussi nos retraites successives et douloureuses. Il y a aussi l’absence de transports, d’essence, de nourriture, de courrier, de tout. La guerre serait-elle perdue ? Non, non, ce n’est quand même pas possible !

Il y a la plaine russe sous nos bottes. La plaine russe que nous piétinons. Donc… Donc… Est-elle toujours à nous ? Ne nous regarde-t-elle pas seulement mourir à petit feu ?

Non, ça ne se peut pas. Au large les idées noires, au large, ce n’est qu’un mauvais moment de plus à passer.

Demain, le ravitaillement arrivera. Demain tout rentrera dans l’ordre. Demain… Demain ?

Allons, secoue la tête, landser. Chasse les papillons noirs. Aujourd’hui le soleil brille, allons…

Des groupes entament avec violence un chant de marche.

Auf der Heide blüht ein kleines Blümelein Und das heisst Erika Heiss von hunderttausend kleinen Bienelein Wird umschwärmt, Erika.

C’est la deuxième fois que Halls me réveille. Malgré la fatigue qui vous rendort rapidement, c'est énervant de se sentir arraché à ce sommeil de plomb.

— Je te dis qu’on entend le canon, insiste-t-il.

J’écoute… Rien, rien que la nuit scintillante et très pâle.

— Fous-moi la paix, Halls, ne me réveille pas pour rien, bon Dieu ! Demain il faudra encore marcher. Et je suis crevé.

— Je te dis que, par moments, on entend le canon ; tu vois bien que d’autres types se sont également dressés.

J’écoute encore… Rien, toujours rien que le souffle léger de l’air.

— C’est possible, après tout, et alors ? Ce n’est pas la première fois que tu entends le canon. Roupille, ça vaut mieux.

— Je ne peux pas roupiller le ventre vide. J’en ai marre, il faut que je trouve quelque chose à bouffer.

— Et c’est pour cela que tu empêches les autres de ronfler !

Quelqu’un s’approche de nous, c’est Schlesser qui est de garde.

— Vous avez entendu, les gars ? C’est le canon, ça.

— C’est ce que j’essaie de dire à cette tête de bois, s’exclame Halls en me désignant.