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— Il a été blessé ?

— Oh ! un éclat dans le cou, trois fois rien. Il a eu la chance d’être ramassé parmi les grands blessés. Il nous a affirmé être resté deux heures sans connaissance. Il exagère sûrement.

— Et Lensen ?

— En pleine forme, il change une chenille là-bas, fit Olensheim.

Laus arriva. Instinctivement nous nous collâmes au garde-à-vous.

— Heureux de vous revoir, les enfants, oui, vraiment heureux !

Le vieux singe nous serra la main. Visiblement sa face de vieux militaire était animée d’un sincère bonheur. Puis il recula de trois pas :

— Annoncez-vous à haute et intelligible voix, comme je vous l’ai appris.

Nous nous pliâmes au règlement avec bonne humeur. Bonne humeur uniquement due à la camaraderie profonde qui existait déjà entre nous. À part cela, tout le reste continuait à être gris. Le ciel traînait des nuages sombres, menaçants de pluie, et, aux quatre points cardinaux, des éclairs blancs précédaient d’un millième de seconde des geysers de terre molle et de gravats.

Un peu plus tard, Lensen, qui était beaucoup plus fort que moi, me soulevait à bras-le-corps en gueulant la joie de nos retrouvailles. Malgré le service que nous dûmes assurer tout le restant de cette journée, celle-ci se passa dans la joie de s’être retrouvés et dans le récit de mille anecdotes. Deux jours plus tard, je réussis à aller jusqu’à Trevda, situé à environ quarante kilomètres du front. Un camarade me céda sa place à bord d’un D.K.W. qu’il devait convoyer. C'est ainsi que je retrouvai ce grand lascar de Halls, gueulant à perdre haleine des chansons de marche, au beau milieu d’une foule d’éclopés. Le printemps avait décidé de se montrer et ces grands malades se pavanaient entre deux allées de poiriers sauvages.

Halls ne ménagea pas sa démonstration de joie. Je fus porté en triomphe par des demi-manchots saupoudrés de sulfamide et enduits d’onguent gris. Ce grand gueulard me fit avaler tout ce qui restait dans le fond des bouteilles qu’ils avaient liquidées ces temps derniers. Les exclamations se prolongèrent tellement que je ne pus me rendre au rendez-vous que m’avait fixé le gars charitable du camion. Las d’attendre, il partit, bien entendu, sans moi. Je fus ramené, tard dans la nuit, par un motard en service à mon cantonnement, quelque part dans la merde aux abords de Kharkov. Halls m’avait fait jurer de revenir le voir. Malheureusement, aucune autre occasion ne se représenta et c’est lui qui, quelques jours plus tard, nous rejoignit. Le docteur militaire l’avait brusquement trouvé apte au service et l’avait renvoyé retenter sa chance à travers les derniers coups de canons qui clôturaient la troisième bataille de Kharkov.

Halls n’apprécia guère la cave sordide où nous avions établi nos quartiers. C’est ainsi qu’à sa suite, j’entrai volontairement dans l’infanterie motorisée. Nous étions si dégoûtés de manier la pelle et de servir de bonniches à toute l’armée que cette perspective nous sembla un bon filon. Cette décision faillit ensuite nous coûter si souvent la vie que je n’aurai pas le temps de tout raconter ! Toujours est-il que, maintenant que j’en suis sorti, je puis dire que je ne regrette pas d’avoir servi dans cette unité combattante où, en dépit de tout, je trouvai une étonnante camaraderie jamais retrouvée nulle part ailleurs. C’est une chose inexplicable qui tient à tout, au moindre instant.

DEUXIÈME PARTIE

LA GROSS DEUTSCHLAND

(printemps 1943 – été 1943)

Chapitre IV

La permission

Berlin-Paula

Par un beau matin du printemps ukrainien nous fûmes réunis à Trevda, où Halls avait passé des jours si heureux. Deux autres compagnies nous rejoignirent sur une colline recouverte d’herbe courte et moussue – cette herbe rase, drue au point que chaque brin semble vouloir écarter l’autre, est tellement vigoureuse qu’elle devient une savane un mois plus tard. Nous étions environ neuf cents. Au sommet de cette colline, sur le plateau d’un véhicule démoli, quelques officiers de l’infanterie nous tinrent un petit discours. Autour d’eux, une vingtaine d’hommes avaient dressé des drapeaux ainsi que les fanions de leurs régiments. Le discours fut très courtois. Ces messieurs nous félicitèrent même de notre attitude passée – attitude que, paradoxalement, le moindre compte rendu du front nous reprochait quotidiennement. Nous en ouvrions des yeux démesurés. C’était à cause de cette attitude exemplaire que, ce jour-là, on faisait l’honneur à ceux qui le désiraient de les incorporer dans l’armée combattante. Il y eut tout de suite des volontaires, une vingtaine environ. Les officiers, connaissant notre « timidité », voulurent nous mettre plus à l’aise. Le discours se prolongea dans le même style. Certains hauts faits furent même racontés par le détail. Quinze autres volontaires sortirent des rangs. Parmi eux, Lensen qui, d’une façon évidente, était né pour la bagarre.

Puis, nos sauveurs nous parlèrent de quinze jours de permission. Il y eut au moins trois cents volontaires. Alors des lieutenants descendirent de la plate-forme et parcoururent nos rangs. Un capitaine continuait à haranguer les troupes de la Rollbahn puis les lieutenants désignèrent et invitèrent beaucoup d’entre nous à faire les trois pas fatidiques en avant.

Leur choix s’était porté surtout parmi les plus grands, parmi ceux qui avaient les meilleures mines, parmi les plus forts. Un index, ganté de peau noire, fut soudain pointé, droit comme le canon d’un mauser, sur le front de mon meilleur copain, de mon frère dans toute cette guerre. Comme hypnotisé, Halls fit trois grandes enjambées et le bruit que firent ses talons, lorsqu'ils se heurtèrent, ressembla au claquement d’une porte qui se ferme : une porte menaçante qui allait peut-être me séparer à jamais du seul vrai ami que j’aie jamais eu, de la seule raison de vivre qui, finalement, me tenait à cœur au milieu du désespoir que j’avais déjà traversé.

Après un court instant d’hésitation, je fus sur le rang des volontaires sans y avoir été forcé. Mon regard, bête de confusion, croisa un instant celui de Halls dont les joues rosirent comme celles d’un gosse à qui on vient de faire plaisir et qui ne sait comment l’exprimer.

À l’avenir, mes coordonnées seraient les suivantes :

Gefreiter Sajer.G.

100/1010 G4. Siebzehntes Bataillon Leichtinfanterie

Gross Deutschland Division SUD.G.

À la fin de la journée, nous avions regagné les sordides abris que nous occupions précédemment. Rien apparemment n’était changé. Nous savions seulement que nos noms avaient été inscrits sur les listes de recrutement d’infanterie. C’était, pour l’instant, la seule différence entre la vie que nous menions hier comme convoyeurs et celle d’aujourd’hui en temps que fantassins. Nous restâmes un peu perplexes sur l’attitude nouvelle que nous aurions dû prendre. Nos sous-offs ne nous laissèrent guère le temps de méditer sur notre situation. Durant plusieurs jours nous fûmes attelés au décrottage et à la remise en état du matériel qui avait souffert pendant la dernière bataille. Celle-ci semblait s’être calmée, quoique de vigoureuses contre-attaques soviétiques aient rallumé parfois de nombreux incendies au nord-est de la ville, à Slavianks. Nous fûmes employés également au répugnant travail qui consistait à ensevelir les milliers de morts que coûta la bataille pour Kharkov.

Effectivement, un matin, pour ne pas dire en pleine nuit tant l’aube était pâle, nous fûmes constitués « section d’ensevelissement ». Ce fut Laus qui nous annonça évidemment la bonne nouvelle au lieu des quinze jours de perm promis et tellement attendus. C’était surtout aux prisonniers russes qu’incombait le travail de relever les macchabées. Malheureusement, ils pillaient, parait-il, les corps des landser et volaient les alliances ou autres babioles.