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Chapitre VI

Et ce fut Bielgorod

Nous nous retrouvâmes, par une chaude soirée de l’été 1943, dans les environs immédiats du front. Bielgorod était retombé récemment aux mains des rouges qui, depuis lors, avaient installé leurs avant-postes au-delà des faubourgs de la ville dans nos propres fortifications. Le calme du front était à peu près général, de Kharkov à Koursk, en passant par Bielgorod. Les Russes, après une épuisante campagne qui n’avait pratiquement pas cessé depuis que nous avions été obligés d’évacuer le triangle Bielgorod-Voronej-Kharkov, reprenaient leur souffle et relevaient leurs morts innombrables, avant de déborder une fois de plus nos positions en septembre. Kharkov demeurait entre nos mains à la suite du carnage de Slaviansk, et la percée du front de l’extrême sud avait enfin été stoppée dans un immense piétinement quelque part autour de Krémentchoug et de la mer d’Azov.

Les Soviets avaient repris du poil de la bête et obligé les troupes roumaines et allemandes à se retirer de la plaine des Kalmouks et du Caucase. Ils nous avaient rejetés au-delà du Donetz, mais la situation n’était pas encore entre leurs mains et des contre-attaques retentissantes pulvérisèrent souvent leurs efforts insensés. Dans l’histoire de ces contre-attaques de l’armée du Reich, figure celle de Bielgorod qui fait suite à celles de Kharkov et de Stalino. Soixante mille feldgrauen participaient à la bataille de Bielgorod à laquelle je fus mêlé. Dix-huit mille « Hitlerjugend » étaient venus tout spécialement depuis les casernements de Silésie pour recevoir leur baptême du feu dans cet inégal combat où le tiers d’entre eux fut massacré.

Je me souviens de leur arrivée en colonnes fringantes, prêts à tout.

Certaines unités arboraient des fanions où l’on pouvait lire, brodée en lettres d’or, l’inscription : « junge löwen » ou encore « le monde nous appartient. » On vit arriver des sections de mitrailleurs, des régiments d’infanterie aux poitrines bardées de cartouchières alourdies de grenades, des motorisés avec leurs lourds attelages. La plaine était couverte de feldgrauen, et pendant trois ou quatre jours il en arriva, il en arriva…

Puis tout se calma. Les régiments, les sections, les groupes furent dirigés sur des points précis. Et ce fut la pose, la veillée d’armes. Une fois de plus, je parle comme si nous avions été au courant de la future attaque. En fait, nous assistions à tous ces préparatifs comme s’il se fût simplement agi de l’agitation normale et quotidienne du front.

Avec mes compagnons, nous continuions à être employés régulièrement, comme par le passé, à trente-six mille corvées qui nous rappelaient un peu le temps de la Rollbahn. Il faisait une chaleur insupportable, et l’herbe jaunie et desséchée de la steppe ne parvenait pas à fixer les nuages de poussière que le moindre déplacement provoquait.

Le soir, nous nous réunissions autour de vastes feux de camp pour discuter ou chanter. Le front se trouvait à environ vingt-cinq kilomètres, et personne ne nous interdisait de faire du feu. À cette époque, j’eus l’occasion d’échanger un courrier abondant avec ma petite Paula que j’étais loin d’avoir oubliée.

Puis, un après-midi, ce fut le grand rassemblement pour notre groupe. On nous distribua cent vingt cartouches par fusil et quatre grenades offensives. Nous fûmes constitués groupe de choc et de protection avec huit autres camarades et un sous-off. Halls – (nous faisions tout pour demeurer ensemble) – s’était vu intituler mitrailleur ; notre groupe était donc formé de deux F.M. Spandau, trois fusils dont le mien, deux grenadiers armés de mitraillette et d’un lourd colis de grenades, et un sous-off. Nous fûmes dirigés en silence et avec mille précautions vers un des nombreux abris, près d’une grosse ferme, à proximité immédiate de la ligne de front. Une section blindée de la « Gross Deutschland » s’y trouvait également. De lourds engins chenillés du type Tigre et de gros obusiers tractés, admirablement camouflés, étaient là, immobiles sous des feuillages réels ou artificiels. Nous passâmes devant une table installée près des bâtiments où un scribouillard en uniforme relevait nos matricules sur un gros registre. À une autre table, un oberleutnant de cavalerie étudiait une carte, entouré de ses officiers de Panzer et de quelques sous-offs, au garde-à-vous. Toujours avec précision, et comme l’indiquait le papier sur lequel notre destinée avait été tracée, nous fûmes conduits hors de la ferme. Tout de suite à la lisière d’un bois je reconnus les larges tranchées d’acheminement qui menaient aux graben des premières lignes. Chacun d’entre nous pensa sans doute la même chose : cette fois nous y sommes ! Partout des groupes allaient prendre position.

Nous formions la compagnie n° 5. À angle droit nous empruntâmes une tranchée d’acheminement qui nous mena dans le sous-bois. Les gars du génie avaient dû en baver pour ouvrir ce layon à travers toutes ces racines. Partout nous croisions des sections stationnées dans un quelconque abri qu’elles étaient en train de perfectionner. Il était à peu près 6 heures du soir et la chaleur épuisante de la journée commençait à s’atténuer.

Nous suivîmes la tranchée qui sortait du bois et zigzaguait à travers un petit vallonnement au sommet duquel d’autres futaies s’élevaient. Un officier, plongé dans la lecture d’une carte, nous indiqua notre chemin. Nous bifurquâmes sur la gauche, nous trouvant à nouveau sous le couvert des bois. Il faisait là une chaleur encore pire qu’à terrain découvert. Partout, des gars transpirant se bousculaient et cherchaient leurs positions respectives. Nous arrivâmes enfin à un grand abri à moitié couvert bondé de jeunes soldats des jeunesses hitlériennes.

— Halt ! commanda le sous-off qui nous conduisait. Répartissez-vous par ici, vous irez prendre vos positions quand l’ordre vous en sera donné. Votre feldwebel vous expliquera votre rôle.

Il nous salua et nous laissa avec les « Hitlerjugend ». Ceux-ci, serrés les uns contre les autres, assis par terre ou accroupis, conversaient gaiement. Je rejoignis Halls qui venait de déposer son MG‑42 et qui essuyait la sueur de son front.

— Merde, fit-il, j’avais moins de mal avec mon mauser, ce bon Dieu d’engin pèse son poids.

— Je reste auprès de toi, Halls, nous faisons partie du même groupe.

Et nous comparâmes nos deux mains gauches sur lesquelles avait été inscrit au tampon encreur le même « 5 K. 8 ».

— Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Olensheim qui venait de s’approcher.

— Numéro de groupe, gefreiter, plaisanta Halls. Si tu n’es pas du huitième nous ne te connaissons pas.

Inquiet, Olensheim regarda sa main.

— N° 11, grand salaud, tu es dans le secret militaire ?

— Moi non, fit Halls sur le même ton rigolard, mais demande au caporal Lensen, il doit être au courant.

— Nous allons à un pique-nique, ricana Lensen, tout de même assez mécontent que son grade ne lui permette pas d’être dans le secret des dieux.

Un jeune hitlérien, beau comme une fille (une belle fille évidemment) s’approcha.

— Est-ce que les Soviets sont loyaux au combat ? questionna-t-il comme un footballeur qui se renseigne sur l’équipe adverse.

— Très ! fit Halls sur le ton d’une vieille dame dans un salon de thé.

— Je vous demande cela parce que je pense que vous êtes des anciens, fit-il alors que nous étions certainement du même âge.