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Et puis, il y eut les cris des officiers et des sous-officiers tentant à travers le séisme de regrouper leurs sections, leurs compagnies. C’est ainsi que, nous entendant appeler, nous pûmes prendre part à la progression et atteindre les faubourgs nord de Bielgorod en suivant les nuages de poussière soulevés par nos chars. Tout fut dépassé, tout fut de nouveau allemand ou mort. Devant les Panzers et les Panzer-grenadiers, une marée de soldats rouges se replia une fois de plus sur leurs étendues sans fin.

Il y eut une myriade de prisonniers. Les pro-allemands qui déposèrent immédiatement dans les mains des combattants indifférents les preuves écrites de ceux que nous devions fusiller. Il y eut le parc de véhicules russes dans lequel se dissimulèrent deux ou trois mille soldats ennemis qui décidèrent de nous ralentir. Il y eut le spandau de l’ancien et moi qui continuais à faire monter les cartouches. Celui de Halls. Ceux du groupe dix, décimé et reformé qui tirèrent en riant pour venger leurs camarades. Une pluie d’obus de Pak sur le parc, les hurlements des Soviets qui n’osaient plus ni bouger, ni se rendre, ni attaquer, puis l’incendie ravagea l’ensemble et nous obligea à nous éloigner tant la chaleur était intolérable.

Vers midi, les Soviets commencèrent à réagir et firent pleuvoir sur les vagues montantes des Jungen Löwen une pluie dévastatrice. Mais rien momentanément n’arrêtait les jeunes lions, et Bielgorod calciné tomba le deuxième soir entre les mains des survivants.

Nous, la tête en folie, nous continuions, sans avoir pratiquement pris de repos, à élargir latéralement le coin qu’avaient enfoncé les troupes allemandes dans la masse du front central soviétique : cent cinquante mille hommes, selon nos services prétendus de renseignement. En fait, c’est quatre ou cinq cent mille Ruskis que bousculèrent les soixante mille feldgrauen engagés.

Au soir du troisième jour, alors qu’à travers le fracas, nous n’étions parvenus qu’à prendre, de-ci de-là, quelques demi-heures de sommeil, nous connûmes la rage des forcenés. Le Tchèque et le sergent manquaient dans notre groupe, et tandis qu'ils gisaient blessés ou morts dans les ruines, deux grenadiers dispersés s’étaient joints à nous. Notre groupe, d’ailleurs, en formait trois. Le 11 où Olensheim survivait toujours et le 17 qui nous avait rejoint. Un lieutenant menait l’ensemble. Nous eûmes pour mission de réduire les nids de résistance qui s’étaient vus dépassés mais qui continuaient, bien malgré eux, à se défendre (n’ayant probablement plus de commandement) à travers les cendres d’une banlieue du nom de Deptréoka, je crois. Peu importe : des ruines qui se consument n’ont plus besoin de nom.

Sur l’étendue déserte où nous avancions, à demi dressés, nos gueules souillées de poussière, de crasse et de sueur cherchaient plutôt un coin pour dormir au milieu de ce paysage d’apocalypse. Derrière nous, les échos de la bataille de progression nous parvenaient sans cesse et compressaient sans arrêt nos poitrines affaiblies. Personne ne parlait. Seul un Halt ! ou un Achtung ! nous jetaient sur la terre brûlante. Éreintés, nous nous relevions lorsque le feu de nos armes automatiques avait eu raison de quelques isolés qui tentaient l’impossible depuis un trou retranché. Parfois, c’était un, deux ou plusieurs prisonniers qui sortaient d’une planque en levant les bras au ciel. Chaque fois la même tragédie se répétait. Kraus en abattit quatre sur les ordres du lieutenant, le Sudète deux, le groupe 17 neuf. Le petit Lindberg, terrorisé depuis le début de l’offensive et qui n’avait cessé de pleurer de peur ou de rire d’espoir, emprunta la mitraillette de Kraus et poussa deux bolcheviks dans un entonnoir d’obus. Les deux malheureux, assez âgés, implorèrent à plusieurs reprises la pitié du gamin. J’entendrai longtemps leurs Pomotsch ! Pomotsch ! implorants. Mais le gamin dans sa rage incontrôlée tira, tira, tira sans arrêt jusqu’à ce que les deux moribonds se fussent tus.

Et puis, il y eut la maison du pain, baptisée ainsi parce que nous y recueillîmes après le massacre quelques pauvres galettes sans sel que nous dévorâmes, désireux de profiter au maximum de ce que la guerre nous obligeait à faire.

Nous étions fous, harcelés, fatigués, anéantis physiquement, et seuls nos nerfs tendus à l’extrême nous permettaient de faire face aux alertes successives. Nous ne pouvions faire de prisonniers qu’à notre retour. Nous savions aussi que les Russes n’en faisaient pas. Nous avions sommeil et nous savions que nous ne pourrions pas dormir tant qu’un bolchevik serait en vie dans les parages. C’était eux ou nous. Et c’est ainsi que mon camarade Halls, moi-même et l’ancien, nous balançâmes des grenades, par les fenêtres de la maison du pain, sur des Russes qui avaient essayé de brandir un drapeau blanc.

Lorsqu’au bout de notre progression, nous nous retrouvâmes écroulés au fond d’une fondrière, nos regards ahuris et pitoyables se croisèrent longtemps avant que l’un d’entre nous ne puisse émettre un son.

Nos uniformes étaient défaits, troués, couverts d’une poussière qui les confondait avec le sol, une odeur de brûlé flottait dans l’air qui continuait à gronder. Quatre des nôtres étaient encore tombés et nous traînions cinq ou six éclopés dont Olensheim. Dans la gigantesque cuvette produite par une explosion, une vingtaine de soldats anéantis essayaient de regrouper leurs pensées, mais leur regard hébété continuait à errer sur la terre brûlée et leurs têtes restaient vidées de tout sentiment.

Les communiqués annoncèrent à grands sons de trompe que l’offensive sur Bielgorod avait été couronnée de succès et marquait la reprise de notre progression vers l’est.

Le troisième ou le quatrième soir, nous avions, sans le savoir, dépassé Bielgorod. Les vagues d’assaut reprenaient leur souffle, et d’interminables rangées de fantassins dormaient sur la vaste prairie défoncée. De bonne heure, nous fûmes placés à bord d’un véhicule pour être conduits à une position clef. Je ne saurais dire pourquoi ce hameau démantelé présentait un intérêt stratégique, mais je crus comprendre que c’était de cet endroit, parmi tant d’autres, que devait repartir l’offensive. Des lignes de défense ou des tremplins d’assaut s’étalaient un peu partout à travers les vergers qui s’étendaient au loin sur une terre relativement plate. Je dis des vergers parce que les arbres courts ressemblaient aux pommiers ventrus que l’on peut voir en Normandie. Des rangées de saules jalonnaient également de petites rivières ou peut-être des canaux d’irrigation. La région n’était pas sauvage et évoquait des coins de France que je connais bien.

Nous prîmes place parmi des pauvres maisons presque détruites qui formaient le hameau et commençâmes à aménager nos positions. Nous dûmes sortir de la pierraille une trentaine de cadavres bolcheviks qui avaient répandu leur sang un peu partout sur le sol de leur patrie, et les jeter, pêle-mêle, dans un jardinet qui avait sans doute été cultivé jadis. Il faisait lourd. Un soleil orageux projetait des ombres nettes et éclairait d’une lumière crue nos visages creusés, nous obligeant à cligner des yeux. La même lumière inondait les gueules des crevés russes dont les yeux fixes restaient démesurément ouverts. C’en était dégueulasse.