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Diane s’appuya contre le bureau. Les reflets bleutés des clichés vacillaient sur les traits du médecin. La chaleur de cette salle, accentuée par le rayonnement des néons, était insupportable.

— Vous… vous ne pouvez rien faire ?

— Nous avons implanté sous le crâne un second drain, qui nous permet de sonder en permanence la pression du cerveau. Si celle-ci augmente encore, nous ouvrirons le conduit et évacuerons quelques millilitres de liquide céphalorachidien. C’est la seule façon de soulager l’organe.

— Mais le cerveau ne va pas se dilater indéfiniment ?

— Non. Ces crises vont s’atténuer, puis disparaître. A nous de les gérer, jusqu’au moment où les choses reprendront leur cours normal.

— Docteur, soyez franc : Lucien… enfin… il peut s’en sortir ? Reprendre conscience ?

Nouveau geste vague.

— Si la pression intracrânienne diminue rapidement, ce sera gagné. Mais si les dilatations se répètent trop souvent, nous ne pourrons plus rien faire. La mort cérébrale sera inévitable.

Il y eut un silence. Daguerre conclut :

— Il faut attendre.

Depuis neuf jours, Diane attendait.

Depuis neuf jours, chaque soir, elle finissait par rentrer chez elle, quittant une solitude pour une autre, dans son appartement de la rue Valette, près de la place du Panthéon, dont le désordre ne lui renvoyait plus que l’image de son propre abandon.

Elle traversa la cour principale de l’hôpital. Le campus formait une véritable ville, avec ses bâtiments, ses boutiques, sa chapelle. Le jour, il régnait dans ces lieux une agitation trompeuse, qui faisait presque oublier la raison d’être des bâtiments — les soins, la maladie, la lutte contre la mort. Mais la nuit, lorsque l’espace s’abandonnait au silence et à la solitude, les édifices retrouvaient leur morgue funèbre et semblaient cernés au plus près par l’inquiétude, les maladies, l’anéantissement. Elle emprunta la dernière allée qui menait au grand portail.

— Diane.

Elle s’arrêta et plissa les yeux.

Sur les globes de lumière de la pelouse, l’ombre de sa mère se détachait.

9

— Comment va-t-il ? demanda Sybille Thiberge. Je peux monter le voir ?

— Tu fais ce que tu veux.

La petite silhouette, toujours auréolée de son chignon trop pâle, reprit doucement :

— Qu’est-ce qu’il y a ? Je suis en retard ? Tu m’attendais plus tôt ?

Diane fixait un point vague, très loin, au-delà de Sybille. Elle finit par dire, en toisant son interlocutrice de toute sa hauteur — elle la dépassait de vingt bons centimètres :

— Je sais ce que tu penses.

— Qu’est-ce que je pense ?

Imperceptiblement, la voix de Sybille était montée d’un cran. Diane déclara :

— Tu penses que je n’aurais jamais dû adopter cet enfant.

— C’est moi qui t’ai conseillé cette solution !

— C’est Charles.

— Nous en avions parlé ensemble.

— Peu importe. Tu penses que non seulement j’aurais été incapable de l’élever, de le rendre heureux, mais que je l’ai carrément tué.

— Ne parle pas comme ça.

Diane hurla tout à coup :

— C’est pas la vérité, peut-être ? C’est pas moi qui n’ai pas bouclé sa ceinture ? Qui me suis foutue dans la glissière ?

— Le chauffeur du camion s’est endormi. Il l’a admis lui-même. Tu n’y es pour rien.

— Et l’alcool ? Si Charles n’avait pas été là pour étouffer les résultats de l’alcootest, je serais peut-être en taule !

— Bon sang, parle plus bas.

Diane inclina la tête et palpa les pansements qui lui barraient le front, les tempes. Elle se sentait défaillir. La faim, la fatigue rompaient les assises de son équilibre. Elle prenait la direction du grand portail sans même saluer sa mère quand, brusquement, elle revint sur ses pas et dit :

— Je veux que tu saches un truc.

— Quoi ?

Deux infirmières passèrent en poussant un lit. On distinguait vaguement un corps, sous un plaid, relié à une perfusion.

— Je veux que tu saches que tout ça, c’est ta faute.

Sybille croisa les bras, prête pour l’affrontement.

— Comme c’est facile, dit-elle.

Diane haussa de nouveau le ton :

— Tu ne t’es jamais demandé pourquoi j’étais dans cet état-là ? Pourquoi ma vie était un tel naufrage ?

Sybille prit un ton ironique :

— Non, bien sûr. Je vois ma fille sombrer depuis quinze ans, mais je m’en moque totalement. Je l’emmène voir tous les psychologues de Paris, mais c’est pour sauver les apparences. Je m’évertue à lui parler, à la sortir de son mutisme, mais c’est pour me donner bonne conscience. (Elle criait maintenant.) Je cherche depuis des années ce qui ne va pas chez toi ! Comment peux-tu dire ça ?

Diane ricana :

— C’est l’histoire de la poutre dans l’œil de l’autre.

— Que dis-tu ?

— C’est dans ton jardin que se trouve la pierre.

Il y eut un nouveau silence. Les feuillages bruissaient dans l’obscurité. Sybille ne cessait de tripoter son chignon, signe manifeste de son trouble.

— Tu en as trop dit, ma chérie, trancha-t-elle. Explique-toi.

Diane fut prise d’un vertige. Le passé allait enfin jaillir à la lumière.

— Je suis dans cet état-là à cause de toi, souffla-t-elle. A cause de ton égoïsme, de ton mépris radical pour tout ce qui n’est pas toi…

— Comment peux-tu me balancer ça ? Je t’ai élevée seule et…

— Je te parle de ta vérité profonde. Pas du rôle que tu joues en surface.

— Que connais-tu de ma vérité profonde ?

Diane avait l’impression de suivre un fil brûlant — elle continua :

— J’ai la preuve de ce que j’avance…

Un temps d’arrêt. Un temps d’alerte. La voix de Sybille frémit.

— La… preuve ? Quelle preuve ?

Diane s’efforça de parler lentement : elle voulait que chaque syllabe porte.

— Le mariage de Nathalie Ybert, en juin 1983. C’est là que tout s’est joué.

— Je ne comprends rien. De quoi parles-tu ?

— Tu ne t’en souviens pas ? Ça ne m’étonne pas. Pendant un mois nous nous étions préparées, nous ne parlions que de ça. Et puis, à peine arrivée là-bas, tu te casses je ne sais où. Tu me plantes là, avec ma robe, mes petites chaussures, mes illusions de jeune fille…

Sybille paraissait incrédule.

— Je me souviens à peine de cette histoire…

Quelque chose se brisa dans le corps de Diane. Elle sentit monter en elle des larmes qu’elle réfréna aussitôt.

— Tu m’as laissée tomber, maman. Tu es partie avec je ne sais quel mec…

— Avec Charles. Je l’ai rencontré ce soir-là. (La voix monta de nouveau.) Il aurait donc fallu que je te sacrifie toujours ma vie personnelle ?

Diane répétait, avec obstination :

— Tu m’as laissée tomber. Tu-m’as-purement-et-simplement-laissée-tomber !

Sybille parut hésiter, puis elle s’approcha en ouvrant les bras.