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— Puisse ce vin que je bois maintenant se muer en poison mortel si jamais je trahis sciemment et volontairement mon serment de loyauté.

Sa voix résonna dans la grande salle. Puis le silence se fit.

D’un geste assuré, il porta le crâne à sa bouche, sentit l’os desséché entrer en contact avec ses lèvres. Il ferma les yeux et, inclinant le récipient, avala de longues gorgées de vin. L’ayant vidé jusqu’à la dernière goutte, il reposa le calice.

Aussitôt, il eut l’impression que ses poumons rétrécissaient, son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine.

Ils m’ont démasqué !

Mais la sensation disparut aussi subitement qu’elle était venue.

Une tiédeur agréable se diffusa dans ses veines. L’initié soupira, souriant intérieurement tandis qu’il levait de nouveau la tête vers l’homme qui l’avait naïvement accueilli dans le plus haut rang de sa confrérie.

Bientôt, tu perdras tout ce qui t’est cher !

1.

L’ascenseur Otis du pilier sud de la tour Eiffel était plein à craquer. Dans la cabine bondée de touristes, un homme à l’air sévère baissa les yeux sur le garçon à ses côtés.

— Tu as l’air pâle, fiston. Tu aurais mieux fait de rester en bas.

— Non, ça va, répondit l’enfant, qui peinait à contenir son anxiété. Mais je descendrai à l’étage suivant.

Je n’arrive plus à respirer !

L’homme se pencha vers lui.

— Je croyais que tu avais vaincu ta phobie, dit-il en lui caressant affectueusement la joue.

Le garçon s’en voulait de décevoir son père, mais le sifflement dans ses oreilles devenait insupportable et occultait toutes ses pensées.

Je ne peux plus respirer... il faut que je sorte de là !

Le liftier racontait quelque chose de rassurant sur les pistons articulés et la structure en fer puddlé. Loin en contrebas, les rues de Paris s’étendaient dans toutes les directions.

On y est presque ! songea le garçon en levant la tête vers la plateforme panoramique qui approchait. Encore un peu de courage !

Sur la dernière portion du trajet, le puits de l’ascenseur se redressait brutalement pour former un étroit tunnel vertical.

— Papa, je ne crois pas que...

Soudain, une série de craquements résonnèrent au-dessus de leurs têtes. Une secousse agita la cabine, qui oscilla de manière peu rassurante. Des câbles déchirés fouettèrent l’air tels des serpents furieux. Le garçon tendit la main vers son père.

— Papa !

Ils échangèrent un regard terrifié qui ne dura qu’une seconde.

Et ce fut la chute.

Robert Langdon se réveilla en sursaut. Ébranlé par ce cauchemar, il se redressa sur son siège en cuir. Il était le seul passager à bord du Falcon 2000EX, un avion d’affaires spacieux qui était en train de traverser une zone de turbulences ; les deux réacteurs Pratt & Whitney ronronnaient à l’extérieur. Tout allait bien...

— Monsieur Langdon ? grésilla une voix dans l’interphone. Nous amorçons notre descente.

Se redressant, Langdon rangea ses notes dans son sac en cuir. Il était plongé dans le texte de sa conférence sur les symboles maçonniques quand son esprit s’était doucement mis à dériver. S’il avait rêvé de son père décédé, c’était sûrement à cause de l’invitation inattendue qu’il avait reçue le matin même de la part de Peter Solomon, son mentor de longue date.

La seconde personne au monde que je ne voudrais pas décevoir...

Le philanthrope, historien et scientifique de cinquante-huit ans, avait pris Langdon sous son aile près de trente ans auparavant, comblant à plus d’un titre le vide laissé par la mort de son père. Langdon avait trouvé chez Peter Solomon une humilité et une bienveillance qui ne s’étaient jamais démenties malgré son immense fortune et le pouvoir considérable de sa famille.

Par le hublot, Langdon vit que le soleil s’était couché. Il parvint néanmoins à distinguer la silhouette effilée du plus grand obélisque du monde, qui se dressait sur l’horizon telle l’aiguille d’un cadran solaire antique. Le monument en marbre de 170 mètres de hauteur était édifié au cœur même de la nation, au centre d’une géométrie méticuleuse de rues et de bâtiments historiques.

Même depuis les airs, Washington était auréolé d’une puissance presque mystique.

Langdon adorait cette ville. À l’instant où les roues touchèrent la piste, il se sentit euphorique à l’idée de ce qui l’attendait. L’avion roula jusqu’à une zone de stationnement privée de l’aéroport international de Washington-Dulles.

Après avoir rassemblé ses affaires et remercié les pilotes, Langdon émergea de la cabine luxueuse et descendit les marches escamotables. L’air froid de janvier le calma aussitôt.

Respire, Robert ! pensa-t-il en se réjouissant de retrouver l’air libre et les grands espaces.

La nappe de brouillard qui recouvrait le tarmac donnait à la piste des airs de marécage.

Une voix chantante perça la brume.

— Bonjour ! Professeur Langdon !

Levant la tête, il aperçut une femme d’une quarantaine d’années, munie d’un badge et d’un bloc-notes, qui s’approchait d’un pas vif en agitant joyeusement le bras. Ses cheveux blonds bouclés dépassaient d’un bonnet en laine.

— Bienvenue à Washington, professeur !

— Merci, fit Langdon en souriant.

— Je suis Pam, du service passager de la compagnie, déclara-t-elle avec une exubérance presque dérangeante. Si vous voulez bien me suivre, une voiture vous attend.

Tous deux se dirigèrent vers le terminal Signature, qui était cerné de jets privés scintillants.

Une borne de taxi pour gens riches et célèbres ! songea Langdon.

— Pardon de vous importuner, hasarda la femme timidement, mais vous êtes bien le Robert Langdon qui écrit des livres sur les symboles et la religion ?

Après un instant d’hésitation, il hocha la tête.

— J’en étais sûre ! Dans mon club de lecture, nous avons lu votre livre sur le féminin sacré et l’Église. Vous avez provoqué un de ces scandales ! C’était absolument merveilleux ! Vous aimez donner des coups de pied dans la fourmilière, vous !

— Ce n’était pas vraiment mon intention.

La femme sentit que Langdon n’était guère enclin à discuter de son travail.

— Je suis désolée. Toujours en train de jacasser. Vous devez en avoir assez que les gens vous reconnaissent. Mais c’est de votre faute, dit-elle en désignant ses vêtements d’un geste taquin. Votre uniforme vous trahit.

Mon uniforme ?

Langdon baissa les yeux : il portait l’un de ses habituels cols roulés gris anthracite, une veste Harris Tweed, un pantalon de toile et des mocassins en cuir. Sa tenue standard pour les cours, les conférences, les photos officielles et autres sorties en société.

— Vos pulls sont complètement démodés, expliqua la femme en gloussant. Vous auriez l’air beaucoup plus chic avec une cravate.

Pas question, je n’aime pas les nœuds coulants !

À l’époque où Langdon fréquentait la Phillips Exeter Academy, il était obligé de porter des cravates six jours sur sept. Le directeur de l’université avait beau attribuer à la cravate l’origine romantique de la fascalia en soie que les orateurs romains portaient pour se réchauffer les cordes vocales, Langdon savait que le mot cravat était dérivé étymologiquement d’une bande de mercenaires « croates » sans pitié qui partaient au combat avec un foulard noué autour du cou. Des siècles plus tard, cet accessoire était devenu l’attribut des guerriers modernes qui menaient leurs batailles dans des salles de réunion, avec la même volonté d’intimider l’ennemi.